CHAPITRE II
PREMIÈRES EXPÉRIENCES ANGLAISES

Les monteurs qui ont accès aux documents anciens traitant des mouches à saumon réalisent que cet Art s'est énormément diversifié depuis l'époque du classicisme. Les livres que nous ont laissés Sir Herbert Maxwell, Pryce Tannatt, Francis Francis, George Mortimer Kelson et les autres regorgent d'illustrations en couleurs. Les plus impressionnantes, nous les retrouvons certainement dans le volumineux ouvrage de G.M. Kelson, "The Salmon Flies", publié en 1895, dans lequel il nous dévoile une collection de quelque trois cents mouches dont il recommande l'utilisation.
On se rend vite compte qu'il s'agit là de mouches d'un seul et même type, qui se différencient seulement par des variantes dans les proportions et les couleurs. De nos jours, la couleur importe beaucoup moins que la variation des modèles, des formes et des dimensions. De toute évidence, les pêcheurs de l'Époque victorienne se limitent aux mouches noyées, mais utilisent des variantes dans la couleur, afin d'obtenir une plus grande gamme de possibilités pour berner le saumon. Les saumoniers de cette époque ne savent rien des mouches sèches, qui font partie intégrante de la boîte à mouches d'aujourd'hui.
Nous dissertons sur les motifs qui incitent Salmo salar à mordre à la mouche. Nous devrions ajouter aux motifs déjà attendus que, si le désir de s'alimenter est absent chez le saumon dès son entrée en eau douce, l'instinct de la chasse, lui, demeure intact. Et cet instinct ne se limite pas seulement à ce qui se trouve dans l'eau, car comme nous le savons aujourd'hui, Salmo salar attaque aussi bien ce qui se présente en surface ou juste au-dessus de l'eau.
Nous utilisons une vaste gamme de couleurs dans le montage de nos mouches noyées; cela est, selon moi, beaucoup moins utile pour les mouches sèches. Généralement, les corps sont de couleur uniforme, palmés ou non, de manière peu contrastante, arborant une aile simple ou double, en delta "V", de couleur, là aussi, uniforme. Pour la mouche sèche, le plus important est la flottabilité et l'ombre que ces mouches projettent. Mis à part ces considérations primordiales, il est impératif de se munir de mouches de formes et de dimensions variées, autant de très petites (#16) que de très grandes (#2/0).
La conception et le développement de la pêche à la mouche sèche pour le saumon sont, il faut le dire, presque exclusifs à l'Amérique du Nord. C'est un fait reconnu par tous les saumoniers. Alors pourquoi cette technique est-t-elle encore aujourd'hui négligée par les pêcheurs de saumon européens?
Les quelques expériences relatées par certains auteurs britanniques auxquels nous pouvons encore nous référer aujourd'hui ne nous donnent pas d'informations aussi importantes et aussi détaillées sur ces mouches artificielles et moins encore sur les techniques d'utilisation. Cependant, il ne faut pas négliger les quelques annotations de certains de ces auteurs.
Isaak Walton, auteur de "The Complete Angler" publié en 1653, reconnaît à Oliver Henley les talents de pêcheur émérite, tant à la truite, à la truite de mer qu'au saumon. Henley fit la preuve que les deux espèces peuvent être capturées sur une ligne en crin de cheval, avec une canne de bois qui était cependant encombrante.
Thomas Barker, écrit en 1657, dans "Barker Delight of the Art of Angling": «Si vous pêchez avec une mouche sur laquelle il montera comme une truite .... » Ceci porte à croire que le pêcheur du XVIIe siècle expérimente déjà cette méthode. Toutefois, l'équipement dont les pêcheurs disposent à l'époque nous laisse sceptiques quant à la possibilité de faire de nombreuses captures.
Richard Frank, dans "Northern Memoirs", rédigé en 1658, mais publié seulement en 1694, parle avec le plus grand des respects de Isaac Owldham, «l'homme qui pêche le saumon avec seulement trois poils sur l'hameçon».
William Scope devient le premier à accorder une certaine importance à la pêche au saumon à la mouche sèche, et nous pouvons lire dans "Days and Nights of Salmon Fishing on the Tweed", publié en 1843: «j'ai dit qu'il n'y a aucune bestiole dans la nature susceptible d'offrir quelque ressemblance avec nos mouches à saumon; mais j'ai capturé un poisson qui était certainement persuadé qu'il attaquait une "bibite" qui avait déjà volé. Cet événement s'est produit quand j'étais encore novice. Walter Donalson s'occupait de moi, et nous marchions le long des rives de la Elm, dans le secteur du Pavillon. Walter avait pris une légère avance quand mon attention fut attirée par le vol d'un papillon blanc au-dessus des eaux, qui faisait de brèves pauses à la surface. Un saumon attaqua soudain cette proie, mais sans succès. Je me souvins alors que j'avais apporté avec moi quelques spécimens de mouches à grandes ailes blanches montées sur des hameçons à saumon. Ces mouches sont habituellement utilisées pour la truite, et on les nomme je ne sais pourquoi, COACHMAN. (COACHMAN: Mouche attribuée à un cocher du nom de Tom Bosworth, qui était au service de la Couronne britannique et qui conduisit trois monarques, et ce jusqu'à leur mort: George IV, en 1830, William IV, en 1837 et Victoria, en 1901. La première mention de cette mouche remonterait à 1814, dans "Angler's Guide", de Salter.) J'en attachai une immédiatement, et le saumon, confondant sans doute cette offrande avec le papillon précédemment attaqué, réapparut rapidement et je le capturai. L'étonnement de Walter à la vue de la mouche responsable de cette capture fut grand, et il ne se coucha ce soir-là qu'après avoir monté une demi-douzaine de COACHMAN.»
William Scope devient le premier à accorder une certaine importance à la pêche au saumon à la mouche sèche, et nous pouvons lire dans "Days and Nights of Salmon Fishing on the Tweed", publié en 1843: «j'ai dit qu'il n'y a aucune bestiole dans la nature susceptible d'offrir quelque ressemblance avec nos mouches à saumon; mais j'ai capturé un poisson qui était certainement persuadé qu'il attaquait une "bibite" qui avait déjà volé. Cet événement s'est produit quand j'étais encore novice. Walter Donalson s'occupait de moi, et nous marchions le long des rives de la Elm, dans le secteur du Pavillon. Walter avait pris une légère avance quand mon attention fut attirée par le vol d'un papillon blanc au-dessus des eaux, qui faisait de brèves pauses à la surface. Un saumon attaqua soudain cette proie, mais sans succès. Je me souvins alors que j'avais apporté avec moi quelques spécimens de mouches à grandes ailes blanches montées sur des hameçons à saumon. Ces mouches sont habituellement utilisées pour la truite, et on les nomme je ne sais pourquoi, COACHMAN. (COACHMAN: Mouche attribuée à un cocher du nom de Tom Bosworth, qui était au service de la Couronne britannique et qui conduisit trois monarques, et ce jusqu'à leur mort: George IV, en 1830, William IV, en 1837 et Victoria, en 1901. La première mention de cette mouche remonterait à 1814, dans "Angler's Guide", de Salter.) J'en attachai une immédiatement, et le saumon, confondant sans doute cette offrande avec le papillon précédemment attaqué, réapparut rapidement et je le capturai. L'étonnement de Walter à la vue de la mouche responsable de cette capture fut grand, et il ne se coucha ce soir-là qu'après avoir monté une demi-douzaine de COACHMAN.»
COACHMAN (# 007); Fil de montage: noir 6/0 ou 8/0; Ferret: lame dorée; Ailes: 2 segments de rémiges d'oie, blanches. Les monter à 90° avec la hampe de l'hameçon; Corps: frange d'une plume de la traîne du paon; Couronne: daguettes de coq, brun coachman.- Les enrouler derrière, entre et devant les ailes; Tête: noire.
NOTE: Dans la description originale de la toilette, la couleur donnée pour les daguettes de la couronne est rouge (red). Cependant, il faut savoir que, dans le monde des éleveurs de coqs de pêche, le rouge est un brun tirant sur le roux, car il n'y a pas de rouge naturel chez les volailles.
Sir Herbert Maxwell, dans "Salmon and Seatrout", publié en 1898, relate la capture d'un saumon sur la Inver, en Écosse, avec une imitation de MAYFLY.
A.H. Craytor, dans la troisième édition de "Letters to a Salmon Fisher's Sons", parue en 1925, ajoute un chapitre, "Dry Fly and Surface Fly Fishing for Salmon". On y relate l'évolution de la pêche au saumon à la mouche sèche et on attribue celle-ci à Mr. Edward R. Hewitt et à George LaBranche.
Cependant, l'ouvrage qui donne le plus de renseignements sur la pêche au saumon avec une mouche sèche est "A Fisherman's Log" du Major G.L. Ashley-Dodd, publié en 1929. Livre à succès à l'époque, cet ouvrage rassemble des articles qui parurent dans la presse halieutique anglaise au cours des années 20.
Les articles choisis par Ashley-Dodd portent spécialement sur la pêche à la mouche pour diverses espèces de poissons, dont l'achigan à petite bouche, le brochet et quelques autres. Mais ce qui a attiré spécialement ma curiosité, c'est le chapitre traitant de la pêche à la truite de mer et au saumon avec une mouche sèche. Cet article semble être le premier portant spécifiquement sur ce sujet dans la littérature britannique.
Certains auteurs accordent au Major J.R. Fraser (1906) les premières tentatives sérieuses de la pêche au saumon avec des mouches sèches en Grande Bretagne. Ce chapitre du livre du Major G.L. Ashley-Dodd me paraît d'un très grand intérêt et je vous propose de vous en donner un sommaire.
D'après ce qu'il raconte, l'idée de s'intéresser sérieusement à ce type de pêche lui vint après qu'un saumon eut pris une mouche de mai, alors qu'il pêchait la truite sur les parcours d'aval de la Test. Reconnu pour un habile monteur, il crée une série de mouches sèches qui s'apparentent aux mouches de mai, mais qui sont un peu plus" costaudes". Il Y incorpore certaines des plumes qui, depuis très longtemps, sont reconnues pour être les plus efficaces comme matériaux pour le montage de mouches à saumon.
«En pêchant la truite dans la basse Test, nous attachions habituellement un fort bas de ligne à mouche de mai et une ou deux de ces mouches, les utilisant tout à fait comme des mouches de mai ordinaires, quand nous avions des raisons de soupçonner la présence d'un saumon à notre portée. _ Au début, nous eûmes beaucoup de déceptions, et en voici les causes, que je vous énumère. Nos lignes étaient constamment brisées en raison de la légèreté de nos cannes à truites et de nos lignes à mouches sèches ordinaires, sans lignes de réserve. Les saumons étaient souvent très gros et le lit de la Test encombré d'herbiers. Le remède évident était l'emploi d'une canne un peu plus forte, avec ligne allongée d'une ligne de réserve, enroulée sur un moulinet de plus grande contenance, une canne en bambou refendu de onze pieds et environ cinquante verges de ligne de réserve, nous parurent faire l'affaire. _ Nous manquions souvent le saumon qui montait sur la mouche; nous nous aperçûmes finalement que le ferrage trop rapide en était la cause, le saumon, pour je ne sais quelle raison, ferme les mâchoires sur la mouche plus lentement qu'une truite, et demande de ce fait un ferrage plus lent. _ Comme il monte généralement en montrant tête et queue quand il prend une sèche, on a habituellement tout son temps, particulièrement vers l'amont, et ma règle personnelle est de ne pas ferrer avant de voir la ligne se tendre ou le saumon disparaître en retournant vers l'aval. La monter tête et queue est l'un des principaux attraits de ce style de pêche, et je pense que tout saumonier conviendra avec moi que la "photographie mentale" de saumons qui sont montés sur une mouche de cette manière est gravée de façon indélébile dans leur mémoire comme une des plus grandes émotions que ce très noble poisson puisse procurer. _ En raison de la nécessité d'avoir un hameçon fin de fer (pour mouche sèche), nous trouvâmes que les modèles ordinaires étaient susceptibles de lâcher prise, particulièrement quand une masse d'herbes reposait sur la ligne, et finalement notre choix se tourna vers un hameçon double avec l'oeillet tourné vers le haut. _ Encore un mot de la pratique de la mouche sèche pour le saumon. Je ne peux pas avancer un seul instant qu'elle puisse être une méthode standard à utiliser en toutes occasions, mais j'affirme certainement qu'une mouche sèche, utilisée comme il convient, prendra à l'occasion un saumon alors que d'autres appâts resteraient absolument inefficaces. _ Prenons comme exemple une journée chaude par un soleil éclatant sur une eau basse, quand un saumon est visible, se reposant sous un arbre ou derrière une roche, en eau relativement peu profonde: le pêcheur ordinaire aura un regard résigné pour ce poisson, estimera son poids et passera son chemin, sachant que, dans cette position et dans cette lumière, aucune mouche ou crevette ne le fera bouger. Mais pas le pêcheur à la mouche sèche. Il lancera sa mouche sèche et son fin bas de ligne, sollicitera le saumon comme une truite et aura une chance réelle de prendre le saumon, alors que les autres pêcheurs pensent que cela ne vaut pas la peine. _ Une fois, dans des conditions presque exactement semblables, Fraser a pris quatre saumons dans une journée, de vingt-deux livres pour le plus gros, et cela sans tenir compte d'un bon nombre de truites, alors que d'autres pêcheurs au même endroit se racontaient ce qu'ils feraient quand la crue viendrait. _ Il y a une différence radicale entre la pêche à la mouche sèche de la truite et du saumon, s'il se produit quelque dragage de votre mouche lorsque vous la présentez à une truite, celle-ci s'enfonce, mais très souvent, c'est le contraire qui se produit quand une mouche drague au-dessus d'un saumon; il monte! _ Selon mon expérience personnelle, je recommanderais volontiers de présenter une mouche une ou deux fois sans dragage; de toute façon, ceci n'effraiera probablement pas le saumon, même si cela ne l'intéresse pas. Puis, s'il n'a eu aucune réaction, changez quelque peu de position; réalisez un sillage aussi artistique que possible devant son nez et maintenez le dragage tant qu'il se produit, souvent, il se retournera et prendra la mouche longtemps après qu'elle l'ait dépassé. _ En pêchant dans une rivière assez large, la même règle s'applique au saumon et à la truite, à savoir qu'il n'est pas toujours nécessaire de vous trouver à l'aval du poisson. Vous pouvez être presque à son niveau ou même, si vous voulez réaliser un dragage, en amont, mais vous devez être hors de sa vue et surtout de manière qu'il ne perçoive pas le reflet de votre avançon. Mais celui qui a pêché dans les eaux vives du Sud n'a besoin d'aucun conseil en cette matière. Cela lui viendra naturellement à l'esprit, et je ne prétends pas donner dans ce chapitre des instructions sur la pêche à la mouche sèche telle qu'on la pratique habituellement sur des rivières comme la Test, l’Itchen, la Kennet, la Wylye, etc. _ Un des plus grands attraits de l'utilisation de la mouche sèche pour le saumon est que, peu importe le temps ou l'eau, si l'on excepte le tonnerre, il y a toujours une chance de capturer un poisson. Ceci est à prendre en grande considération, surtout si l'on a payé une bonne somme pour un séjour de pêche en août en Écosse et que l'eau est trop basse, et ce, pendant des semaines, pour prendre un saumon de la façon normale, bien que les saumons soient là, chaque jour plus apathiques et boudeurs. _ J'ai aussi pris beaucoup de truites de mer sur des mouches sèches à truite conventionnelles dans des conditions semblables, particulièrement quand j'ai bénéficié d'une brise soufflant vers l'amont. À peu près toutes les mouches sèches montées sur hameçon #14 ou #15 conviennent bien, mais les modèles que je préfère sont les différentes palmers, l'HEATHER MOTH, la WICKHAM'S FANCY, la GREENWELL'S GLORY et l'ALDER.»
Vous trouverez ci-dessous l'habillage de ces quatre mouches.
HEATHER MOTH (# 008); Fil de montage: blanc 6/0 ou 8/0; Ferret: lame argentée; Queue: quelques barbes d'une plume bronzée du plastron du colvert mâle; Palmure: daguettes de coq, grises.- Les cheniller sur toute la longueur du corps; Corps: bourre de fourrure du lièvre; Tête: noire.
WICKHAM'S FANCY (# 009); Fil de montage: noir 6/0 ou 8/0; Queue: pointes de daguettes de coq, brunes; Ailes: 2 segments de rémiges du colvert mâle.- Les monter à 90° avec la hampe de l'hameçon; Palmure: daguettes de coq, brunes.- Les cheniller sur toute la longueur du corps; Corps: lame dorée; Couronne: daguette de coq, brune.- L'enrouler derrière, entre et devant les ailes; Tête: noire.
GREENWELL'S GLORY (# 010); Fil de montage: noir 6/0 ou 8/0; Palmure: daguettes de coq, cock-a-bondhu.- Les cheniller sur toute la longueur du corps; Ailes: 2 segments de rémiges du merle noir.- Les monter à 90° avec la hampe de l'hameçon; Corps: filoselle jaune citron; Tête: noire.
NOTE: Mouche créée en 1854 par Canon Greenwell et James White.
ALDER (# 011); Fil de montage: noir 6/0 ou 8/0; Ailes: pincée de barbes d'une plume de couverture de poule, brune.- Les monter à 90° avec la hampe de l'hameçon. Les diviser en 2 parties égales; Palmure: daguettes de coq, noires.- Les cheniller sur toute la longueur du corps; Corps: franges d'une plume de la traîne du paon; Tête: noire.
Le reste du chapitre ne concerne pas notre sujet, il traite de la mouche sèche en bassin et de la truite de mer. Ce texte a un impact réel avant la Deuxième Guerre mondiale n’est reproduit dans les catalogues de Farlow des années 30, et cette maison a commercialisé les mouches sèches à saumon du Major Fraser. Ces mouches sèches à hameçon double sont en fait une très mauvaise idée, car leur flottabilité est précaire. Toutes les autres observations et conseils d'Ashley-Dodd restent judicieux malgré l'épreuve du temps. Un point important a cependant échappé à notre auteur: la répétition des présentations défavorables pour la truite est généralement une nécessité pour Salmo salar.
Les saumons de Fraser ne sont pas les tout premiers pris intentionnellement à la mouche sèche comme le croit Ashley-Dodd; il ignore certainement les expériences canadiennes.
Les saumons de Fraser ne sont pas les tout premiers pris intentionnellement à la mouche sèche comme le croit Ashley-Dodd; il ignore certainement les expériences canadiennes.
