Coho, Chinook et Steelhead en Eaux Vives! par Jacques Juneau

     De nombreux sportifs québécois se rendent chaque automne à Salmon River (Pulaski) dans l'État de New York pour y récolter ces trois espèces qui pullulent littéralement dans la rivière. Notre collaborateur Jacques Juneau a eu l'occasion d'y aller à 5 reprises...

Coho, Chinook et Steelhead en eaux vives!
     Nombreux sont les Québécois qui, dès la fin septembre, prennent la direction des États-Unis, plus précisément le nord de l'État de New York, où, à quelques heures à peine de voiture, une manne sans pareil les attend. Pour les amateurs de pêche du saumon, c'est alors l'occasion de s'en donner à cœur joie à taquiner les coho, chinook et steelhead qui abondent dans les cours d'eau rapides de la région, telle la Salmon River et Sandy Creek.

     Vers la fin des années 70, le gouvernement américain construisait une pisciculture des plus modernes, la Salmon River Hatchery, au coût de 11 millions de dollars. Celle-ci produit annuellement environ 4,5 millions de salmonidés, lesquels sont relâchés dans les rivières avoisinantes où ils entreprennent leur périple vers le grand lac Ontario. Après un séjour de quatre à cinq ans dans ce plan d'eau, l'instinct de reproduction s'imposant alors à eux, ils reprennent le voyage, à rebours cette fois, vers leurs rivières d'origine. C'est alors que, dès la fin septembre, les gros géniteurs font leur apparition massive dans la Salmon River.

     Évidemment, la rentrée aussi impressionnante de ces gros salmonidés dans les rivières déclenche une réaction en chaîne et c'est de partout qu'on vient pêcher le saumon du Pacifique et, la perle rare, le steelhead, joyau halieutique hautement estimé par les gens de l'ouest du pays.

     La capture de ces poissons s'avérant cependant difficile à l'aide des méthodes sportives conventionnelles, la plupart pratiquent la technique de pêche dite du «snatching» ; celle-ci consiste à tenter de piquer le poisson en actionnant sa canne par saccades. Si plusieurs pêcheurs repartent satisfaits de leur séjour et heureux d'avoir expérimenté une nouvelle approche pour la pêche de ces espèces, d'autres s'en retournent amèrement déçus, se jurant bien de ne plus remettre les pieds dans ces lieux de foire où les gros géniteurs peuvent parfois même se capturer à mains nues.

     Il existe cependant une troisième catégorie de gens fréquentant assidûment les rives de la Salmon River. Un peu plus discrets, ces pêcheurs se fondent dans la masse imposante des pêcheurs fréquentant cette rivière. Ce sont les professionnels, ou tout simplement les habitués de la pêche sportive des steelhead, coho et chinook. Ces pêcheurs, contrairement à la majorité, s'entêtent à faire valser leurs mouches au bout de leurs longues cannes flexibles... et à provoquer l'attaque vorace de cette gent aquatique, à l'instar des autres espèces sportives. Et laissez-moi vous dire qu'un chinook de plus de 13 kilos (30 livres) ou un steelhead de 7 kilos (15 lb) se débattant au bout d'une canne à mouche peut éreinter les plus robustes et dérider les plus frustrés.

     Je fréquente moi-même la Salmon River depuis cinq ans et, d'année en année, je constate un engouement croissant des Québécois pour ce coin de pêche. À la lueur de cette popularité, je crois qu'il serait opportun de faire connaître aux fervents pêcheurs à la mouche les techniques et observations propres à la pêche de ces salmonidés et, ainsi, contribuer au succès de leur voyage dans ce site enchanteur et prolifique.

La Salmon River

     Rivière prestigieuse et poissonneuse, s'il en est une, la Salmon est de fait la plus importante de ce coin de pays. Un barrage hydro-électrique érigé sur son cours contribue à concentrer les gros géniteurs dans une portion de la rivière longue de dix milles et comprise entre le barrage et le lac Ontario. C'est ainsi que, lors de leur fraye automnale, ces salmonidés font leur apparition, à tour de rôle, dans la Salmon River. C'est le coho qui ouvre le bal avec son arrivée dès le début de septembre, suivi d'une seconde montée à la mi-octobre, alors que le chinook, le plus gros des saumons du Pacifique, s'y pointe à la fin de septembre.

     Pour sa part, le steelhead y effectue deux montées, dont une première à la fin d'octobre alors qu'une grande quantité de gros géniteurs suivent les chinooks retardataires, se nourrissant des œufs de ces derniers. Ceux-ci séjournent pour la plupart tout l'hiver dans la rivière pour y frayer le printemps venu. L'autre montée se produit au printemps alors que l'appel de la fraye se fait présente.

Qui est le steelhead ?

     Le steelhead n'est nul autre qu'une truite arc-en-ciel des côtes du Pacifique qui, à l'instar du saumon de l'Atlantique, séjourne en mer. Dans l'État de New York, c'est le grand lac Ontario qui fait office de mer intérieure où notre poisson profite rapidement en dévorant éperlans et gaspareaux.

     Ce poisson argenté qui, soit dit en passant, est le plus beau et le plus sportif des occupants de la Salmon River, en est un qui peut être qualifié de frais — lorsqu'il arrive nouvellement en rivière — à l'instar du saumon de l'Atlantique lorsqu'il arrive de la mer.

     Sa robe, des plus éblouissantes, affiche un dos foncé dans les teintes variant du bleu acier à l'olive, des flancs fortement argentés aux reflets bleus et roses, un ventre blanchâtre et des joues roses. La queue de cette espèce, de forme carrée et mouchetée de brun olive, procure force et vigueur à ce géniteur qui n'hésite pas à franchir chutes et cascades pour atteindre son site de reproduction. Après un séjour de quelques mois en rivière, il revêt alors sa tenue nuptiale; le rouge de ses flancs s'intensifie et la couleur argentée fait place au jaune et à l'olive.

     Le steelhead et le saumon de l'Atlantique possèdent certaines similitudes au niveau de leur mode de vie. Ainsi, à l'instar de ce dernier, le steelhead fraye deux fois dans son existence, ce deuxième voyage vers les frayères étant l'ultime; c'est là qu'il terminera son existence. Lors de leur premier périple, les géniteurs pèsent entre 3,6 et 4 kilos (8 et 10 lb), et ils atteignent un poids de 6,8 à 9 kilos (15 à 20 lb) â leur seconde et dernière montée, poids relativement identiques à ceux du saumon de l'Atlantique. Toutefois, en rivière, ces deux espèces affichent des comportements différents. Après avoir franchi de nombreux obstacles, le saumon de l'Atlantique aime se reposer au creux des fosses tranquilles où il s'y stationne souvent de nombreuses heures. Il est alors relativement facile de le pêcher à la mouche.

     Le steelhead, quand à lui, affectionne l'eau vive, les rapides, les cascades et les chutes qu'il franchit en ponctuant sa course folle de temps de repos sur le dessus de ces rapides, que l'on appelle la queue de la fosse, pour reprendre de plus belle sa chevauchée. De plus, il aime se reposer sur le lit de la rivière où les eaux sont les plus tumultueuses.

La pêche du steelhead

     Les fosses ou sections de rivière les plus productives pour la pêche du steelhead sont évidemment celles où il se repose entre deux déplacements. On le recherchera donc au pied ou à la tête d'une cascade, où il s'accorde parfois un moment de répit entre deux sections de rapide, mais on le localisera toutefois plus volontiers dans les eaux vives qu'il affectionne particulièrement. Les déplacements de ce salmonidé se faisant durant le jour, nous retrouvons deux périodes d'activité intense, soit le matin entre 8 h et 10 h, et en fin de journée entre 16 h et 18 h.

     Il s'agit alors de pêcher selon la technique de la dérive contrôlée. Pour ce faire, on aura pris soin de pincer un nombre suffisant de plombs fendus sur le bas-de-ligne, à deux pieds de la mouche, de façon à ce que celle-ci puisse descendre et demeurer sur le fond.

     Après avoir lancé votre mouche, entraînée par le poids des plombs, en angle de 45° environ 6 mètres (20 pi) en amont du site de localisation de votre steelhead dans le rapide, levez le scion de votre canne, ou toute la canne si cette position vous semble plus facile, de façon à contrôler la descente de la mouche et à conserver une tension continue sur le monofilament.

     Lors de l'impact de vos pesées sur le fond, soulevez légèrement la pointe de la canne afin que ces dernières n'accrochent pas au fond et qu'elles s'y déplacent dans un mouvement de danse plutôt que de roulade. Cette tension, qu'on peut aussi appliquer avec la main, sert également à contrôler la vitesse de déplacement de la mouche, un steelhead attaquant rarement une artificielle qui évolue librement à la vitesse du courant, surtout en eaux vives. Il faut donc ralentir sa vitesse et l'immobiliser quelques secondes, à l'endroit de tenue du poisson convoité. Ce bref arrêt est suffisant pour que le steelhead s'empare de votre mouche, délicatement mais franchement, et arque votre canne à la façon d'un saumon de l'Atlantique.

     Concentration constante sur la vitesse de déplacement de l'artificielle et observation continue du trajet de cette dernière, afin qu'elle ne déroge pas du corridor emprunté par le steelhead, telles sont les deux qualités pour s'assurer une pêche réussie. Sachant que ce poisson ne franchit habituellement pas de grandes distances pour attaquer une mouche, il faut donc placer, et maintenir, cette dernière au bon endroit, soit au-dessus de son nez. Toutefois, lorsque la température de l'eau est plus élevée ou se réchauffe graduellement, le steelhead peut à l'occasion effectuer un déplacement de 1,5 à 2 mètres (5 à 6 pi) pour gober l'artificielle, et même parfois se pointer en surface pour venir voir cette dernière.

     Les fosses d'eau rapide de la Salmon River étant généralement moins larges que celles à courant lent, des lancers de 6 à 9 mètres (20 à 30 pi) suffisent pour pêcher ces premières et permettent un bon contrôle sur le déplacement de l'artificielle. Le pêcheur se poste de façon à ce que le ferrage du poisson, qui se fait solidement, se produise en face ou à quelques pieds en aval de sa position. Il n'est pas recommandé de plomber les mouches, celles-ci devant se déplacer à quelques centimètres du fond, et non s'y ancrer. Le contrôle du monofilament s'exerce bien en passant ce dernier entre les doigts et la poignée de la canne, et en modifiant les distances de l'autre main ; on doit sentir les vibrations sur la canne et les doigts.

Equipement

     Pour pêcher le steelhead, une canne à moucher de 9 pieds, rigide et légère et pourvue d'une bonne poignée de rallonge, est appropriée. Comme matériau, le graphite est le plus recommandé, quoique la fibre de verre, moins dispendieuse, soit conseillée aux débutants. Le chinook habitant les mêmes fosses que le steelhead, il peut arriver qu'une canne de graphite se rompe sous l'attaque violente de ce poisson extrêmement fort.

     Comme moulinet, celui employé pour la pêche du saumon altantique convient très bien. On prendra soin cependant de troquer la soie contre 180 mètres (600 pi) de monofilament de 20 à 30 lb de résistance. Le steelhead reposant sur le lit des rivières dans les secteurs d'eau extrêmement vive, la plupart des soies ne descendent pas assez rapidement et n'offrent pas un contrôle suffisamment direct et sensible pour permettre la capture de cette espèce dans un tel milieu. Et, de grâce, ne gardez pas vos doigts près de la poignée; l'attaque du steelhead étant aussi robuste et rapide, sinon plus, que celle du saumon atlantique, ça «décolle»!

     Pour ce qui est des artificielles, celles-ci s'avèrent évidemment un atout majeur pour la capture du steelhead. Plus que leur style de montage, il semble toutefois que ce soit leurs couleurs qui exercent le plus d'attrait sur ce poisson. Il existe une variété infinie de mouches à steelhead, n'ayant de limites que celles de l'imagination débordante des monteurs qui les créent pour tenter de plaire à ce poisson magnifique. Au départ s'inspirant des mouches en poils pour la pêche du saumon atlantique, elles évoluèrent au fil des ans pour arborer aujourd'hui des couleurs vives et fluorescentes.

     La couleur préférée de ce salmonidé est le chartreuse (jaune verdâtre fluorescent). Après quelques captures cependant, il se peut que le steelhead se lasse de cette teinte. Une variante consiste alors à agrémenter celle-ci d'une touche d'orange fluorescent ou à utiliser seule cette dernière couleur. Le steelhead en raffole!

     Un autre style de montage des plus effectifs est celui qui imite les œufs de saumon dont le steelhead se nourrit avidement. Dans cette catégorie, on retrouve les Babine River Spécial, Sperm Fly, Polar Shrimp, Glo Bug Fly, etc. Les mouches lourdes de type «Cornets» ne laissent pas insensible cette arc-en-ciel qui repose près du fond.

     Voici une liste des artificielles les plus susceptibles de séduire les steelheads, cohos et chinooks de la Salmon River: la Glo Gub Fly chartreuse, vert tendre (moss) ou orange fluorescent (flame) ; la Cornet Flaming Boss orange fluorescent ou chartreuse ; la Sperm Fly vert fluorescent ou chartreuse surmontée d'une tête orange ou rouge orangé fluorescent; la Polar Shrimp chartreuse ou chenille rouge saumon; la Wooly Worm; la Skunk à queue rouge, corps noir et ailes blanches. Cette mouche montée avec un «bout» vert fluorescent s'avère efficace quand la clarté diminue ; la Spring's Wiggler, une mouche de style Woolly Worm employée par les pêcheurs des rivières du Michigan et très recommandable dans les couleurs fluorescentes, chartreuse et «Hot Pink»; la Thor et, enfin, la Skykomish Sunrise.

     Toutes ces artificielles doivent être montées sur de solides hameçons N° 4 ou 6, le steelhead étant un puissant adversaire. Lorsque vous péchez dans les fosses également fréquentées par les chinooks, utilisez des artificielles attachées sur des hameçons à forte tige, tel le Mustad Limerick 7970 N° 4 ou 6 ; ce poisson ouvre facilement les hameçons utilisés pour la pêche du saumon de l'Atlantique.

Combat mémorable

     Le steelhead offre un combat inoubliable. Aussitôt ferré, il se propulse hors de l'eau, vous dévoilant sa livrée étincelante, pour aussitôt entreprendre une course folle à contre-courant. Rendu sur le ciré à la queue de la fosse, il s'élance à nouveau hors de l'onde et effectue un virement de bord pour se diriger subitement vers le bas du rapide. 

     Lorsqu'un tel poisson s'empare de l'artificielle, le pêcheur doit donc réagir promptement en rebobinant aussitôt le monofilament, au risque de perdre sa belle capture s'il y a du mou dans sa ligne. La canne doit être tenue bien haute, légèrement derrière l'épaule (à une heure), de façon à former un «U» renversé sous la tension.

     À l'instar du saumon de l'Atlantique, le steelhead peut vous offrir de nombreuses minutes de combat; bien stationné dans le courant, il reprend des forces et se laisse difficilement contrôler. Le danger cependant d'une longue échauffourée est qu'il mène souvent à la perte delà capture potentielle, la mâchoire de cette truite étant plus fragile que celle de son confrère et l'hameçon s'en dégageant plus facilement. Il faut donc épuiser le steelhead dans les cinq premières minutes, sans toutefois précipiter la tentative de le passer dans l'épuisette, au risque de voir son poisson reprendre de la vigueur et regagner rapidement le rapide. Aussitôt qu'il se rapproche de la rive, reculez loin de la berge et traînez-le vers le rivage; quelques centimètres hors de l'eau et ce poisson s'échoue de lui-même.

     Le coho et le chinook offrent également au pêcheur un combat spectaculaire. Le coho, le plus acrobatique des deux, bondit plusieurs fois hors de l'eau et remonte parfois le courant avant d'entreprendre, à l'instar de son confrère, sa course vers le bas de la rivière. Ces saumons sortent facilement 180 mètres (600 pi) de ligne et vous payent «une bonne traite». Prenez cependant votre mal en patience, car vous ne pourrez les puiser que lorsqu'ils tournent le dos et se laissent approcher de la rive.

Et pour finir

     Comme vous pouvez le constater, un voyage de pêche à la Salmon River vous promet des sensations riches et diversifiées. Il faut cependant être préparé adéquatement pour faire de cette expédition une aventure inoubliable et non décevante. Pour ce faire, trois conditions sont essentielles : bien connaître la rivière pour localiser les steelheads, utiliser la bonne technique de dérive en contrôlant adéquatement la tension du monofilament et le déplacement de l'artificielle, et présenter les bonnes artificielles de couleurs appropriées.

     Le meilleur temps pour se rendre à la Salmon River est vers la fin d'octobre et au début de novembre, alors que la pression de pêche a beaucoup diminué et que les montées sont quand même très abondantes. Et n'oubliez pas que la concentration et l'observation sont la clé de la réussite. Une si belle capture vaut bien un peu de travail et de patience!

Pour plus d'information...

     Les sportifs désireux de se rendre pêcher en ces endroits peuvent obtenir le « Salmon guide » publié par la Chambre de Commerce de Pulaski. On peut se le procurer gratuitement en écrivant à : Chamber of Commerce, 7437 Lake Street, Pulaski, New-York, 13142, Tél. : (315) 298-2213. Ce petit dépliant vous renseignera sur les hôtels et motels du coin, les endroits où se procurer les permis de pêche, guides, terrains de camping, restaurants, marinas, boutiques de pêche spécialisées, etc.

     Les lecteurs auraient aussi avantage à consulter l'article intitulé: Le lac Ontario, pour de la pêche sensationnelle, paru dans l'édition de mars 1987 de Sentier Chasse-Pêche à la page 88, où on retrouvera une foule de détails pertinents sur le sujet.

Références

» Texte & Photos: Jacques Juneau (Août 1987).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

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