Daniel Dufour deux fois Champion du Monde

     C’est tout un paradoxe que nous offre Daniel Dufour qui réside à Amqui, localité située en amont de la vallée de la Matapédia en Gaspésie. Âgé de 40 ans, cet opérateur de machinerie lourde, qui conduit une chargeuse dans la cour de la compagnie Bois Cépédia de Sainte-Florence, vient d'être déclaré, pour la deuxième fois en cinq ans, champion mondial du montage des mouches à saumon de création! Imaginez-vous tout le décalage qu'il doit accomplir entre la rudesse de son travail quotidien et la délicatesse de son passe-temps.

Daniel Dufour deux fois Champion du Monde
     Ce printemps, lors du congrès annuel de la Fédération québécoise pour le saumon atlantique (FQSA), Dufour a été le grand gagnant du 8e championnat mondial de montage des mouches à saumon avec sa création «Belle Dame». En tout, 93 participants provenant de 15 pays ont soumis 208 mouches aux juges. Dufour, qui a participé à six championnats depuis 1986, a déjà été déclaré champion mondial en 1987 et a obtenu des prix lors de chacune de ces participations. Chaque année, depuis huit ans, les médias d'information spécialisés du monde entier constatent que les artisans monteurs de mouches à saumon du Québec sont parmi les meilleurs du globe.

     C'est dans de bien curieuses circonstances que Daniel Dufour s'est consacré à la pêche du saumon et au montage de mouches, lorsqu'il était âgé de 17 ans. Alors qu'il péchait la truite dans la rivière Matapédia, il a pris son premier saumon... qui pesait 36 livres (16,3 kilos)! «J'te garantis que j'ai pogné la saumonite dret là!», m'a-t-il confié. Il y avait de quoi...

     Pourtant, rien ne le destinait à devenir un «mordu» de la pêche du saumon: «Je ne connaissais pas ça. La pêche en rivière ne m'attirait pas vraiment. Mon travail ne me permettait pas tellement de loisirs. Mon père n'avait jamais pris une canne à moucher dans ses mains et ne m'avait jamais initié à cette pêche-là».

     Daniel Dufour a alors amassé quelques dollars pour acheter des mouches à saumon montées par «Poune» Roy d'Amqui; malheureusement, il les perdit lorsque son coffret tomba de sa poche. «Je n'avais plus d'argent pour en acheter d'autres et je décidai alors d'amasser mes sous pour faire venir des outils et du matériel de montage de mouches de la compagnie américaine Herter's. J'ai appris tout seul à faire mes mouches, en copiant les modèles dans le catalogue. Je te dis que j'en ai fait et défait des mouches: je suis un perfectionniste dans tout ce que je fais et je ne pouvais tolérer que mes mouches ne soient pas belles et parfaites! J'ai développé des techniques de montage jusqu'à ce que je sois satisfait de mon travail. Ensuite, je me suis mis à monter entre 2 000 et 3 000 mouches à saumon par année, mais je me suis vite rendu compte qu'il n'y avait pas d'argent à faire là!...»

     Daniel Dufour m'a confié qu'il avait pris la décision, au printemps, de ne plus participer au Championnat mondial de montage de mouches à saumon: «J'ai prouvé ce que je voulais démontrer, c'est-à-dire que je suis l'un des meilleurs au monde dans ce domaine-là. Quand on m'a déclaré champion mondial pour la première fois, en 1987, je croyais que c'était une chance unique; mais, le championnat mondial de 1991 est venu me reconfirmer et ça ferme le dossier pour moi. D'autant plus que plusieurs excellents monteurs de mouches à saumon m'ont avoué qu'ils ne participeraient pas au Championnat mondial tant que je m'y inscrirais. Le seul autre pas que j'aimerais maintenant franchir dans ce domaine-là, ce serait d'être juge de ce concours mondial».

     La force de Daniel Dufour. depuis 1986, ça toujours été de présenter des mouches à saumon de sa création: «Ça ne m'a jamais attiré de soumettre au concours des mouches imposées, des modèles inventés par d'autres qu'il faut recopier à la perfection. Je n'aime pas refaire l'ouvrage déjà accompli par un autre: je tiens à produire une oeuvre qui m'appartient totalement». Les créations de Dufour, qui sont exposées en permanence dans les bureaux de la FQSA à Québec ou bien prêtées par la FQSA pour des expositions spécialisées, sont de véritables oeuvres d'art: des mouches très compliquées, à ailes en plumes mariées, aux couleurs chatoyantes, montées dans la tradition des artisans des siècles passés des îles britanniques.

     Dufour consacre toujours beaucoup de temps à échafauder chacune de ses créations et à la réaliser. «Je ne fais pas qu'inventer des mouches compliquées pour participer à des concours et à des expositions: je pêche avec mes créations». Son rêve serait de faire publier un livre, dans lequel il expliquerait ses techniques de montage et dans lequel il exposerait la parure de chacune de ses créations. «Mais ça prend beaucoup de fric et je n'en ai pas! En attendant, je ne demande pas mieux que d'initier des copains au montage des mouches à saumon: je reçois actuellement à la maison deux ou trois élèves qui ont l'étoffe de futurs champions mondiaux». La relève semble donc assurée! »

Références

» Texte & Photos: André-A Bellemare (Septembre 1991).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.
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