De la Truite au Saumon

UNE TRANSITION SANS DOULEUR

     Au moment d'écrire ces lignes, nous en sommes à la conclusion de ce j'appelle la "saison des salons". À l'aube d'une saison 1996 qui s'avérera, je l'espère, plus fructueuse que la dernière, il serait bon de rappeler certains principes dont l'observation ne pourra que faciliter la tâche à tous ces courageux pêcheurs de truites qui s'aventureront cet été sur les magnifiques rivières à saumon du Québec pour la première fois.

LE MATÉRIEL

     Au cours des dernières années, j'ai eu l'occasion de conseiller un grand nombre de pêcheurs apprentis dans l'achat de leur matériel. Or j'ai souvent été estomaqué de voir jusqu'à quel point ils avaient été influencés par leurs lectures ou par les conseils de quelques vendeurs sans scrupules.

     Lorsque l'on débute dans quelque domaine que ce soit, il est inutile de se lancer dans de folles dépenses. Si vous avez déjà une canne de neuf pieds avec une soie #7 à action moyenne ou rapide, vous n'avez pas besoin d'un autre engin pour pêcher le saumon dans des conditions normales. Il est donc tout à fait inutile d'hypothéquer votre demeure ou votre vie conjugale en achetant une batte de dix pieds avec soie #9 quoi qu'en disent certains "spécialistes".

DE LA TRUITE AU SAUMON UNE TRANSITION SANS DOULEUR
    Il en va de même pour le moulinet. Il y a quelques années, j'ai été témoin de la capture un peu inusitée d'un magnifique saumon de 25 livres dans la fosse Breeder de la rivière Dartmouth. Or l'heureux pêcheur, dont c'était le premier saumon, utilisait une canne à truite de 8 1/2 pieds avec soie #6 munie d'un moulinet à truite qui ne semblait contenir que 25 mètres de fil de réserve. Évidemment vous me direz que son nom était gravé sur le saumon mais ça c'est une autre histoire... Quoi qu'il en soit, un moulinet solide comportant un frein à disque convient très bien s'il contient au moins 75 mètres de fil de réserve. À défaut d'un frein à disque, assurez-vous d'utiliser un moulinet que vous pourrez freiner à l'aide de la paume de la main au cas où vous seriez chanceux.

LA TECHNIQUE

S'il y a une question qu'il faut démystifier, c'est bien celle-là. Dites-vous bien que si vous savez pêcher la truite, vous possédez déjà la plupart des techniques qui vous permettront de capturer votre premier saumon; il suffit de les adapter.

     Je ne connais aucun pêcheur de rivière qui ne sache lancer un streamer à 45° dans le courant. Cette technique est tout à fait efficace au saumon. Au cours des cinq dernières années, j'ai en effet capturé 90% de mes saumons de début de saison en utilisant des streamers. Ces mouches à truite sont à ce point efficaces que je n'utilise des mouches à saumon qu'en période d'étiage lorsque la pêche à la sèche devient difficile.

     Il en va de même pour la pêche en surface. Si vous êtes capable de déjouer une vieille brune en lui présentant une mouche sèche, vous n'aurez pas trop de difficultés à capturer un saumon de la même manière. Il y a toutefois une légère différence entre les deux; ce dernier est en général plus lent qu'une truite, il ne faut donc pas ferrer trop vite. En effet, 90% des apprentis saumoniers ratent leurs premiers saumons en raison d'un ferrage intempestif. Relaxez et admirez le paysage, le saumon se ferrera souvent tout seul.

     Un autre aspect qu'il ne faut pas négliger est l'expérience que vous avez acquise en péchant ce que j'appelle des "poissons intermédiaires". Si vous avez capturé des achigans avec des poppers vous n'aurez pas trop de peine à lancer ces fameuses "Minounes" qui ornent le chapeau de teint de saumoniers. J'ai toujours détesté ces mouches d'abord parce qu'elles se lancent mal et surtout parce que leur utilisation ne répond à aucune logique. Avez-vous déjà vu un insecte qui ressemble à une souris avec des ailes? C'est pourtant ce que des milliers de saumoniers présentent pendant des centaines d'heures à des saumons qui n'en ont souvent rien à branler. Je crois qu'il y a des mouches sèches bien plus efficaces. Essayez une Trottinette ou une Perlex, vous m'en donnerez des nouvelles!

     Si vous avez péché la Ouananiche, c'est encore mieux. Ce poisson se comporte en effet exactement comme un Saumon atlantique si vous le péchez à l'automne. C'est d'ailleurs en le péchant que j'ai acquis l'expérience qui m'a permis d'obtenir certains succès lors de mes périples en Gaspésie. La plupart des streamers que j'utilise sont d'ailleurs dérivés de modèles créés dans le Maine pour la pêche à la Ouananiche.

     Comme vous pouvez le constater, en ce qui concerne la technique et le matériel, vous n'êtes pas tout à fait dépourvus. Il vous suffira cet été de les adapter aux conditions d'eau et de négliger d'écouter ces vieux saumoniers qui vous diront sans doute que la pêche à la truite n'a rien à voir avec la pêche au saumon. Ne vous laissez pas berner, en général, ils n'aiment ni la concurrence ni les innovations.

LE GUIDE

     Vous êtes maintenant prêts pour la grande aventure. Avant de vous lancer, vous devez cependant planifier votre voyage soigneusement.

     Si vous avez un ami qui connaît la musique, ça ne pourra que vous faciliter la tâche. Je serai éternellement reconnaissant à madame Hazel Maltais et à monsieur Paul Leblanc de m'avoir initié à ce monde merveilleux. Je ne pouvais avoir de meilleurs professeurs même si j'accusais souvent Paul d'être un très mauvais pédagogue. Je suis allé à la dure école mais j'ai bien appris.
 
     À défaut d'avoir de telles relations, vous devrez avoir recours aux services d'un guide. J'imagine déjà vos réticences mais vous devez comprendre que certaines rivières coulent sur des dizaines de kilomètres et que les saumons ne cessent de se déplacer au cours de la saison. Le choix d'un bon guide s'avère donc primordial. L'argent que vous investirez facilitera grandement votre initiation. Un bon guide, ça coûte cher mais l'expérience et le savoir d'un Michel Beaudin à Gaspé, d'un Dial Arsenault sur la Bonaventure ou de Marc Leblanc et Dave Bishop sur le Petite-Cascapédia n'ont pas de prix.

     Je voudrais cependant apporter quelques précisions en ce qui concerne le choix du guide. Les meilleurs ont une réputation qui les précède mais vous devez parfois leur expliquer le genre d'expérience que vous voulez vivre. Si vous voulez un saumon à tout prix, vous pouvez être de retour à l'hôtel à six heures du matin avec un beau saumon de 10 livres; vous n'aurez cependant, dans bien des cas, rien appris. Certains guides sont d'excellents pourvoyeurs mais de bien piètres pédagogues. Il est donc important de bien mettre les choses au clair dès le début de vos négociations. Je préfère de loin le principe du compagnon-guide. Quoi de plus agréable en effet que de passer une merveilleuse journée en rivière avec un compagnon qui en connaît les moindres secrets?

     Comme vous pouvez le constater, la pêche au saumon n'a rien de bien sorcier. Il suffit de faire preuve de discernement et de savoir profiter de l'expérience acquise. Cessez avant tout de prêter attention à ceux qui vous parleront de l'enfer de certaines rotations sur la Matane, des complications extrêmes du système de réservation ou des prix prohibitifs. Renseignez-vous auprès de saumoniers aguerris et s'il vous prenait l'envie de laisser tomber, regardez bien la photo qui accompagne ces lignes. Le saumon de plus de trente livres que vous y voyez a été capturé dans un secteur non-contingenté d'une des rivières de Gaspé où le droit d'accès n'est que de 30.00 $ par jour. Nous n'étions que deux pêcheurs dans cette fosse et cela un 18 juin. La mouche utilisée n'avait rien d'une mouche à saumon (Streamer Tube Saranac). Je n'ai effectué qu'un lancer d'une quinzaine de pieds avec une canne à truite (9' #7). Je n'avais alors que deux ans d'expérience et je n'avais jamais capturé de saumon de plus de vingt livres. Évidemment vous me direz que mon nom était gravé dessus, mais ça c'est une autre histoire...

Bonne pêche!

références

Texte & Photos Claude Bousquet
Pêche à la mouche Québec (Atos) Mai 1996.
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