La Ouananiche du lac Saint-Jean a Échappé à l'Extinction!

     M. Marcel Léger, ministre québécois de l'Environnement, a fait savoir, au tout début de 1978, que le gouvernement du Québec était prêt à consacrer une somme d'argent, pouvant aller jusqu'à six millions de dollars ($6,000,000.00) pour empêcher que la future papeterie de la compagnie Donohue, à Saint-Félicien (au nord du Lac-Saint-Jean) ne pollue la rivière Ashuapmouchouane qui sert de frayère à la presque totalité des ouananiches (Salmo Salar ouananiche) du lac Saint-Jean.

La Ouananiche du lac Saint-Jean a échappé à l'extinction!
     Cette excellente nouvelle, accueillie avec joie par les pêcheurs sportifs du lac Saint-Jean et les pêcheurs sportifs de saumons du Québec en général, signifie que l'ouananiche est presque assurée d'échapper à l'extinction à laquelle la condamnait presque la mise en fonction prochaine de cette future usine de pâtes et papiers de la compagnie Donohue à Saint-Félicien.

     La mesure annoncée par le ministre Léger consiste en l'installation d'un conduit souterrain (de plus d'une dizaine de milles de longueur) par lequel les eaux usées de l'usine de la Donohue seront transportées de l'usine de Saint-Félicien jusqu'à la rivière Mistassini (située plus à l’est). Ce long détour des eaux polluées de l'usine de la compagnie Donohue permettra de sauver la qualité de l'eau de la rivière Ashuapmouchouane, sur les rives de laquelle sera construite l'usine de la Donohue et dans les eaux de laquelle viennent à peu près 80% des saumons d'eau douce du lac Saint-Jean.

     L'usine de pâtes et papiers de la compagnie Donohue est installée à une quinzaine de milles de l'embouchure de la rivière Ashuapmouchouane, ce qui signifie que les ouananiches auraient été obligées de parcourir une longueur d'une quinzaine de milles dans l'Ashuapmouchouane polluée avant de rejoindre leurs frayères situées plus en amont. On comprend facilement que la pollution des premiers 15 milles de l'Ashuapmouchouane entre l'embouchure et l'usine de la compagnie Donohue, aurait pu éventuellement empêcher les ouananiches d'emprunter ce cours d'eau et de se diriger vers leurs frayères, ce qui aurait signifié l'extinction de cette magnifique espèce de saumons d'eau douce qui a fait jusqu'à maintenant la réputation du lac Saint-Jean dans le domaine halieutique, à plus ou moins long terme.

     L'usine de la Donohue, installée dans la région de Saint-Félicien au coût global de trois cent millions de dollars environ (5300.000,000.00), créera plus d'un millier d'emplois directs là où le taux de chômage atteint 30%. Le gouvernement québécois ne voulait donc pas sacrifier la construction d'une si importante usine; mais, d'autre part, le gouvernement ne voulait pas non plus qu'on risque l'extinction de l'ouananiche dans le lac Saint-Jean pour quelques millions de dollars représentant un pourcentage tout de même minime du coût global de construction de l'usine.

     Avant de prendre une décision concernant la rivière Ashuapmouchouane, les Services de protection de l'environnement du ministère québécois de l'Environnement de M. Léger se sont appuyés sur une étude appronfondie menée par les biologistes André Martel et René Lesage. Ce groupe de travail a même réalisé des recherches sur des rivières à saumons en Colombie-Britaniques, afin de juger de l'impact des eaux usées sur le saumon du Pacifique.

     Les biologistes Martel et Lesage concluent, entre autres choses, que:

          1- 80% des ouananiches du lac Saint-Jean remontent l'Ashuapmouchouane pour frayer "à cause de la qualité exceptionnelle des eaux de cette rivière". Plus de 100,000 saumons s'y reproduisent annuellement, selon eux.

          2- la rivière Ashuapmouchouane ne peut accepter aucun nouveau polluant sans mettre en danger l'existence des poissons qui la remontent.

          3- les effluves rejetées par la future usine de la Donohue à Saint-Félicien, à 15 milles en amont de l'embouchure de l'Ashuapmouchouane, équivaudraient à la pollution d'une population de 66,000 personnes.

     En conséquence, les Services de protection de l'environnement du Québec ont interdit à la compagnie Donohue de rejeter les eaux usées de sa future usine de Saint-Félicien dans l'Ashuapmouchouane et lui ont donné l'ordre de construire le fameux souterrain d'une longueur de plus d'une dizaine de milles pour transporter ces eaux dans un endroit où elles seront inoffensives pour l'ouananiche.

     Pour justifier cette "subvention spéciale" pouvant atteindre quelque six millions de dollars, le ministre Léger a fait savoir à des journalistes de Montréal que le gouvernement actuel doit payer les pots cassés de l'administration précédente, qui avait alors forcé les Services de protection de l'environnement à autoriser le déversement dans l'Ashuapmouchouane malgré l'opposition initiale des fonctionnaires de ces Services.

    "Même si les fonctionnaires ont eu assez de conscience professionnelle pour formuler cette approbation en des termes très vagues, nous nous trouvions maintenant dans une situation juridique ambiguë et la compagnie pouvait plaider avec vraisemblance que je ne pouvais plus retirer une autorisation déjà donnée par l'ancien gouvernement", a expliqué M. Léger aux journalistes.

     "Par contre, je ne pouvais, en conscience, permettre de déversement dans la rivière Ashuapmouchouane. La solution de compromis qui a été finalement trouvée tient compte des erreurs gouvernementales passées, de la rentabilité peut-être moins assurée de la future usine, des pressions des milieux financiers et elle atteint quand même l'objectif le plus important, c'est-à-dire la protection du milieu naturel", as-t-il aussi dit.

référence

» par André-A Bellemare
» Salmo Salar, Avril 1978.
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