Le Baiser d’Adieu

     Le baiser a toujours eu une signification particulière à travers l'histoire et les peuples. Que l'on pense à Judas qui a trahi Jésus par un baiser. Que l'on songe aux amoureux qui se bécotent dans des endroits publics sous les regards jaloux des couples plus âgés. La télévision et le cinéma nous gavent maintenant de scènes amoureuses au cours desquelles les tourtereaux s'embrassent à en perdre presque le souffle. En France, on se fait la bise quand on rencontre des amis. Eh bien, voici maintenant le baiser du saumonier.

Le Baiser d’Adieu
     En effet, au cours de l'été 1993, j'accompagnais un ami à la pêche sur les rives de la rivière Cap-Chat, dans un décor féerique de feuillage verdâtre, de scintillement sur l'eau, de reflets de formes poissonneuses. Dans ce contexte bucolique, nous pouvions conserver les madeleineaux, mais nous devions remettre à l'eau les géniteurs plus gros. C'est souvent dans ces moments privilégiés où le pêcheur est plus détendu qu'il connaît le plus de succès. Il sent moins la pression de vouloir prendre absolument un saumon pour maintenir sa réputation ou pour avoir l'impression de ne pas avoir raté sa journée. Il prend même davantage le temps d'échanger avec ses amis maniaques comme lui puisqu'il sait qu'une grosse prise aura la chance d'aller s'éclabousser de nouveau.

     Nous avions fait des essais infructueux depuis déjà plusieurs minutes et mon compagnon décide alors de s'allonger dans l'herbe tendre pour se reposer. Une heure plus tard, il s'étire lentement, saisit sa perche, y attache une artificielle de sa création et s'active dans la fosse. Étant un peu en retrait, je suis surpris par le bruit hystérique d'un moulinet. Je réalise vite que mon copain vient de « s'accrocher » et qu'il devra vivre quelques minutes de bonheur en combattant un saumon respectable. Ce dernier veut sans doute nous démontrer qu'il a fait un peu d'aérobie en remontant la rivière. Raymond savoure ces instants pendant que je capte des scènes palpitantes sur pellicule. Le combat est royal et loyal, mais le saumon s'avoue finalement vaincu au fond du filet. 

     Rapidement, nous nous préparons aux manoeuvres de remise à l'eau pour libérer notre valeureux combattant. Ces instants sont excitants puisque le pêcheur, à proximité de sa capture, la voit respirer, lui masse le coeur et surveille ses moindres mouvements. C'est alors que Raymond se penche et donne un baiser d'adieu à sa fiancée de quelques instants, qui reprend place gracieusement dans la fosse. Oui, il faut être amoureux de la pêche et respectueux du poisson pour lui donner une seconde vie. C'est ainsi qu'une tradition est maintenant née entre nous. 

     Depuis, j'ai eu la chance d'expérimenter cette intimité amoureuse avec le saumon et c'est la grâce que je vous souhaite au cours de la prochaine saison...

référence

» Texte et photo Claude Couture
» Salmo Salar #43, Été 1996.
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