Le Lancer à la Mouche; Une Nouvelle Approche

Éléments Fondamentaux du Lancer à la Mouche

     En 2004, j’ai écrit un article sur les principes du lancer à la mouche. À cette époque, c’était nouveau au Québec de parler du lancer de cette façon. Plutôt que de simplement dire ce qu’il faut faire et décrire le mouvement, j’expliquais les règles générales qui font qu’un lancer fonctionne ou non. Depuis un certain temps, je désirais reprendre ce texte afin d’y apporter quelques modifications et mises à jour.

     Je n’ai pas découvert ces principes moi-même, j’en avais pris connaissance quelques années plus tôt dans le livre de Ed Jaworowski The Cast. J’en ai fait la base de mon enseignement du lancer. Rapidement, j’ai modifié ces quatre principes originaux, non dans leur contenu, mais dans leur formulation afin de les détailler et de les compléter. Les trois premiers n’ont pas subi de modifications importantes, mais le quatrième est maintenant très différent. Il me laissait insatisfait parce qu’il y avait des aspects importants qui n’étaient pas inclus.

     Après dix années d’expérimentation, j’en suis venu à une version qui, pour l’instant, me satisfait. J’y ai ajouté deux nouveaux éléments que j’ai nommés GBS pour Gros Bon Sens. Ce ne sont pas des principes de base, parce que l’on peut exécuter un beau lancer sans en tenir compte. Mais comme leur nom l’indique, il serait très sage et utile de les appliquer pour se simplifier la vie et ne pas dépenser de l’énergie inutilement.

Les Principes du Lancer

     L’intérêt d’expliquer le lancer à la mouche à partir de ces principes, est qu’en plus de s’appliquer à toutes les situations de pêche, tous les styles de lancer et à tous les genres d’équipements, ils permettent de comprendre ce qui cause des difficultés et par conséquent, de pouvoir y remédier.

La Soie doit être sous Tention Avant et Pendant le Lancer

     Pour exécuter un bon lancer, la soie doit être sous tension avant et pendant le lancer. La première partie du lancer sert à mettre la soie sous tension : c’est l’amorce du mouvement ou « arraché ». Ce geste doit se faire lentement, jusqu’à ce que la mouche sur l’eau se mette à bouger. On ne doit pas mettre d’énergie dans le mouvement tant que l’on n’a pas établi ce contact direct avec la mouche.

     La principale erreur du débutant et de beaucoup d’habitués est de débuter le lancer la canne haute. Dès le départ, il faut récupérer le mou dans la soie sinon, lorsque la tension sur la ligne est établie, la canne se retrouve en position verticale sans qu’elle soit suffisamment fléchie pour pouvoir propulser la soie efficacement. Le résultat est que le lanceur finit son geste trop loin à l’arrière et la mouche frappe le sol à cause de la trajectoire descendante de la soie (troisième principe). Dans ce cas il est totalement inutile de répéter de ne pas fléchir le poignet. Premièrement parce que c’est un geste réflexe et, deuxièmement, parce que ce n’est pas la cause du problème, mais le résultat d’un mauvais départ. Dans la majorité des cas, le fait de récupérer le mou dans la soie et de commencer le lancer bas corrige automatiquement le problème du poignet et de la trajectoire. Il y a plusieurs façons de lancer en partant la canne haute, mais il faut toujours commencer par mettre la soie sous tension.

     Pour exécuter un lancer efficace, il faut aussi maintenir la tension sur la soie pendant le lancer. Un bon exemple de perte de tension pendant le lancer est lorsque la soie fait une courbe entre le premier anneau de la canne et la main qui la tient. La soie doit rester tendue entre ce premier anneau et la main et cette longueur doit rester la même tout le long du lancer. Clarifions le rôle des deux mains. Un droitier tient et contrôle l’action de la canne avec sa main droite pendant que la gauche tient et contrôle la tension sur la soie. Cela semble évident et un peu simpliste, mais tant que la main gauche ne peut maintenir une tension constante sur la soie pendant le lancer et la main droite manipuler adéquatement la canne, il est prématuré de pratiquer des mouvements plus complexes, comme la double traction. Désolé.

     Une autre situation de lancer inefficace est lorsque la main qui tient la soie fait un mouvement trop ample, souvent dans la mauvaise direction. Là encore, nous sommes en présence d’un geste réflexe. Sans tension sur la soie, on ne sent rien et la main gauche réagit alors de façon exagérée pour tenter de reprendre le contrôle du lancer.

     Enfin, très fréquemment la tension sur la soie est réduite par un lancer avant qui démarre trop tôt. Toute perte de tension sur la soie représente une perte de contrôle équivalente. C’est le premier point à regarder lorsqu’on veut améliorer son lancer.

Le Mouvement désiré est une Accélération Progressive suivi d'un Arrêt Net

     Une façon très simple de faire un bon lancer est de mettre la soie sous tension et d’accélérer doucement pour retirer la ligne sans troubler l’eau. Non seulement cela évite d’alerter le poisson, mais cela amorce le lancer de la façon souhaitée car, si on démarre trop brusquement, la succion de la soie dans l’eau fait fléchir la canne trop rapidement. Lorsque la soie quitte l’eau, la résistance diminue soudainement et la canne perd sa flexion tout en provoquant une série de mouvements parasites dans la soie qui perd sa tension.

     La canne agit comme un bras de levier mais aussi comme un ressort. La flexion maximale doit être à la fin du mouvement et l’arrêt le plus net possible. La faute la plus commune consiste à faire un geste trop rapide au départ et ralentir ensuite, tout en continuant sur son élan initial. Le résultat est que la canne, très fléchie au début, se redresse pendant le lancer et termine sa course droite, perdant ainsi toute son énergie. Non seulement la puissance de la canne disparaît, mais le scion suit une trajectoire concave produisant ainsi une boucle croisée (tailing loop). C’est le cause principale des noeuds dans les bas de ligne (wind knots), lesquels ne sont pas causés directement par le vent, mais par le fait que lorsqu’il vente, le lanceur force son mouvement, ce qui augmente la probabilité de faire des boucles croisées. Dans le vent, il ne faut pas lancer plus fort, il faut lancer mieux!

     Une étape extrêmement importante est l’arrêt de la canne à la fin du mouvement, alors que l’énergie emmagasinée dans la flexion de la canne est libérée lorsque la canne se redresse. Se manifeste alors toute la puissance de la canne: un arrêt flou gaspille cette énergie. Pour faire un arrêt net, il faut serrer la poignée à la fin du lancer : c’est le seul moment où l’on doit mettre l’énergie de façon ferme dans un lancer. Cette action dure une fraction de seconde et doit être suivie d’un relâchement immédiat de la pression sur la poignée, ce qui produit deux effets. Premièrement, cela absorbe les vibrations de la canne après sa brusque détente, mais surtout cela nous ramène à l’état initial décontracté que nous recherchons. Tout au long du lancer, on tient la canne sans serrer la poignée: cela évite de se fatiguer mais, surtout, pour pouvoir serrer la poignée au bon moment, il faut d’abord l’avoir relâchée.

     Une autre raison pour relâcher la pression sur la poignée après l’arrêt, surtout après le lancer arrière, est qu’il est à peu près impossible de donner un coup vers l’avant au départ, cause de boucles croisées, si votre main est décontractée au début du mouvement.

La Soie va Reproduire la Trajectoire du Bout de la Canne Avant, Pendant et Après l'Arrêt

     Comme mentionné plus haut, la canne agit à la fois comme un bras de levier et comme un ressort. C’est la subtile combinaison de ces deux composantes qui va déterminer la trajectoire du bout de la canne. Dans certaines situations, c’est une trajectoire en ligne droite qui est désirée, dans d’autres, c’est une trajectoire courbe qui est préférable. Si l’objectif visé est la distance et la performance, la trajectoire rectiligne doit être priorisée. Lorsqu’une présentation particulière doit être utilisée, la deuxième option doit être considérée, surtout en présence d’obstacles. Qu’ils soient exécutés de façon volontaire ou non, tous les lancers possibles entrent dans ces deux catégories. En regardant la forme de la boucle, on peut savoir exactement comment le mouvement a été exécuté. La partie supérieure de la boucle représente la trajectoire du bout de la canne avant l’arrêt et la partie inférieure de la boucle ce qui s’est passé après l’arrêt.

     Pendant l’arrêt ? ! Eh oui ! L’avant de la boucle représente l’arrêt lui-même. Cette action qui se déroule en approximativement 1/10 ième de seconde, selon l’action de la canne, va déterminer si nous avons un avant de boucle rond ou pointu. Cette dernière est la solution idéale pour lancer dans le vent. Or, pour obtenir cette pointe, il faut arrêter la canne de façon nette en serrant la poignée.

Générer et Utiliser l'Énergie Juste, et ce de Façon Optimale

LE LANCER À LA MOUCHE; UNE NOUVELLE APPROCHE
     Voici le principe qui a subi le plus de modifications. Au départ, Ed Jaworowski expliquait que pour faire un petit lancer, je n’ai besoin que d’un petit mouvement. Plus la distance désirée augmente, plus je dois augmenter l’amplitude de mon geste. Cette plus grande amplitude favorise une meilleure répartition de l’effort. Introduire la notion d’utilisation de l’énergie dans le lancer est une innovation qui a le mérite d’envoyer à la poubelle les heures et le cadran souvent utiliser dans l’explication du lancer. Pour une longueur de soie donnée, utiliser l’énergie juste signifie transmettre à la soie uniquement l’énergie qu’il faut pour qu’elle se déploie, ou plus ou moins d’énergie afin quelle réagisse différemment. La soie va se comporter de façon prévisible, ce dosage permet donc d’exécuter toute une variété de lancers. Peu de pêcheurs accordent de l’attention à cet aspect du lancer. La règle étant généralement de mettre le maximum de puissance.

     Le deuxième volet de cet énoncé est de générer cette énergie de façon optimale. On peut faire un lancer en utilisant seulement le poignet, seulement l’avant-bras ou le bras, mais le lancer idéal, est celui où l’effort est réparti sur l’ensemble du corps. Les gros muscles (Jambes, bassin et tronc) fournissent la puissance et plus les muscles sont petits (bras, avant-bras et main), plus leur rôle en est un de contrôle et de finition du lancer.

     En général, tout le monde est d’accord avec cet énoncé, mais concrètement comment faire cela? L’habileté à répartir cet effort sur l’ensemble du corps constitue une caractéristique importante d’une bonne organisation corporelle. Les douleurs qui apparaissent dans les articulations lors de lancers sont généralement un signe qu’il y a une défaillance à ce niveau. C’est ici que le choix de la technique de lancer devient important parce qu’elles ne sont pas toutes égales en efficacité. La maîtrise de ces deux notions : apprendre à utiliser l’énergie juste et surtout être en mesure de fournir cette puissance de façon idéale; fait la différence entre un lanceur ordinaire et un lanceur de haut niveau.

Éléments de GBS

1 - LANCER DE FAÇON À CE QUE LA MOUCHE SOIT SOUS LE VENT : Les lecteurs familiers avec les termes de voile auront compris qu’il s’agit de toujours lancer pour que le vent éloigne la mouche de nous. Pour un lanceur droitier, si le vent vient de la gauche, la soie et la mouche sont du bon côté, à droite. Mais si le vent vient de la droite, il y a un risque d’être frappé par la mouche avec les conséquences désagréables que cela signifie. Il faut dans ce cas utiliser le lancer du revers. Il est alors impossible d’être blessé parce que le vent éloigne la mouche de nous.

     Dans le cas d’un vent arrière, l’option G.B.S. est… le lancer roulé ! Plus le vent est fort, plus c’est efficace. Vous pouvez atteindre ainsi des distances surprenantes et le tout sans effort. Pour ce qui est du vent de face, la même phrase s’applique bien que le sens soit complètement différent. Il s’agit de lancer littéralement « sous le vent », c’est-à-dire au ras de l’eau. Le vent étant beaucoup moins fort près du sol.

     Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’une solution unique, mais surtout dans les deux dernières situations, additionnée à d’autres options de lancer comme une traction bien placée et une boucle étroite et pointue, la contrainte du vent n’est plus aussi importante.

2 - UTILISER LA LONGUEUR DE SOIE OPTIMALE : Voici un autre point qui peut être considéré comme un « détail », mais considérant sa simplicité d’application par rapport aux avantages qu’il apporte, il serait dommage de s’en priver. Si forcer inutilement dans un lancer ne vous dérange pas, vous n’avez pas besoin d’en tenir compte, mais si vous désirez conserver vos énergies pour des usages plus utiles, je vous invite à expérimenter la situation suivante.

     Indépendamment de votre niveau d’habileté, déterminez une distance de lancer que vous considérez comme intermédiaire. Faites quelques lancers sans tractions sur la soie ni faux-lancers, en portant attention à l’effort déployé. Raccourcissez maintenant la longueur de soie sortie de 10 pieds (trois mètres) et refaites le même lancer à partir de cette longueur en laissant sortir la soie après l’arrêt. Vous allez lancer à la même distance et possiblement plus loin avec beaucoup plus de facilité. La plupart des pêcheurs amorcent leur lancer avec une quantité de soie sortie inutilement longue. Ce surplus de poids n’apporte rien à la performance et représente une contrainte et une fatigue supplémentaires. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, ce n’est pas la soie qui fait fléchir la canne, mais bien notre mouvement. La longueur de soie optimale correspond au poids idéal qui permet de faire fléchir la canne efficacement et sans effort. Je recommande de faire une marque de couleur sur la soie à cet endroit afin d’en faciliter le repérage.

Tirer ou Pousser ?

     Voilà un sujet plutôt délicat. À peu près tout le monde pousse sur la canne, incluant plusieurs instructeurs et de bons lanceurs. Techniquement, l’efficacité de la canne est due en grande partie à l’accélération et à l’arrêt. Or, cette accélération et cet arrêt sont beaucoup plus efficaces en tirant sur la canne plutôt qu’en poussant sur elle.

    Je suis d’accord que l’action de pousser peut générer des lancers impressionnants en performance. Le problème est qu’étant techniquement inférieure en efficacité, elle exige physiquement beaucoup plus d’énergie que l’action de tirer pour obtenir le même résultat. De plus, non seulement le rendement est inférieur, mais cette technique ne respecte pas les principes d’une organisation corporelle équilibrée. De nombreuses douleurs et blessures plus sérieuses découlent directement de cette technique de pousser sur la canne.

    Les photos expliquent la différence entre les mouvements de tirer ou de pousser sur la canne. La première série de photos démontre la technique de tirer. En plus d’être plus performante, cette technique respecte les principes d’une bonne organisation corporelle et permet une infinité de variations.

    La deuxième séquence de photos présente l’action de pousser.
Séquance de mouvement illustrant la façon de tirer sur la canne, de façon à maximiser l'énergie employée.
     Voyez la main à la hauteur de l’épaule. À partir de cette position, la seule action possible est d’aller vers l’avant en poussant sur la canne. Cette façon de lancer est moins efficace, mais surtout, les variations que l’on peut y apporter sont très limitées. Par exemple, personne ne va faire un lancer du revers en poussant, cela ne fonctionne tout simplement pas. Se priver de la possibilité d’utiliser ce revers lorsque nécessaire, est une contrainte qui réduit nos habiletés de pêcheur.

     Le balancement de la canne est une raison supplémentaire pour amorcer le lancer de cette façon. Les manufacturiers dépensent des sommes considérables en recherche afin de produire les cannes les plus légères possible. Il est donc aberrant que l’on vous propose un moulinet plus lourd pour balancer une canne pour lancer avec beaucoup de soie sortie. En plus du fait que cela ne tienne pas compte de la longueur de soie optimale, lorsque le talon de la canne est appuyé sur l’avant-bras, la canne est toujours balancée peu importe la longueur de soie sortie.
L’Action de pousser sur la canne, ici décomposée en séquence, reprédente la façon opposée à tirer sur la canne.
     Bien sûr, on peu toujours opter pour une prise plus commune. Mais, la main étant nécessairement serrée sur la poignée de la canne au départ, l’arrêt sera moins efficace et il y aura ainsi une dépense inutile d’énergie durant le lancer.

Position de Départ

Position de Départ
     Pour obtenir la meilleure performance, il est essentiel de débuter le lancer de la bonne façon.

     L’action la plus importante, mais aussi la plus difficile à intégrer, est d’appuyer le talon de la canne sur l’avant-bras avant de commencer le lancer. Ce simple geste va déterminer la qualité d’exécution de tout le lancer. En plus d’abaisser le scion de la canne au niveau de l’eau, il permet d’avoir la main décontractée.

     C’est difficile à intégrer parce que cela implique un relâchement musculaire au niveau de l’avant-bras et ça c’est inhabituel. C’est d’autant plus important puisque c’est ce même relâchement de la main qui va permettre un arrêt plus net de la canne.

Conclusion

     Beaucoup de pêcheurs ont du succès même avec une prise en main plus commune et un lancer en poussée. Mais, pour ceux qui désirent s’améliorer, et surtout pour ceux qui débutent, se baser sur les connaissances les plus récentes en lancer, va leur permettre de progresser plus rapidement qu’avec une méthode d’essais et d’erreurs.

     Il y a un décalage important entre l’importance que l’on accorde au matériel et celle que l’on donne à la bonne façon de s’en servir. Il est souhaitable d’avoir le meilleur équipement possible, mais ce dernier ne pourra jamais pallier à une technique déficiente.

     En expliquant le lancer toujours avec les même mots et de la même façon, on arrive logiquement toujours aux mêmes résultats.

     La plus grosse difficulté qui se présente lorsque l’on désire améliorer ses lancers est d’accepter de sortir de sa zone de confort et d’expérimenter autre chose. Les informations sont disponibles et lorsque l’on découvre quelque chose de mieux, on revient rarement en arrière.

Références

» Texte Jean-Pierre Martin (2011).
» Photos Marc-Antoine Jean.
» FQSA.
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