Le Saumon est Ferré! Et puis après... par Gilles Aubert

Gilles Aubert, André-A. Bellemare et Gérard Bilodeau

     Une fois que le pêcheur est "connecté" avec un saumon, son succès repose sur l'utilisation efficace de son équipement et des techniques à employer durant la bataille. Les auteurs font le tour de la question.

Le Saumon est Ferré! Et puis après...
     En ce midi d'une journée de fin juillet, il y a deux pêcheurs à la fosse. La température élevée a eu raison des dizaines de saumoniers qui avaient "fouetté" la fosse en tout sens depuis les premières lueurs du jour. De plus, la pêche n'a pas été bonne.

     Un des deux sportifs, chaussé de cuissardes, se tient sur le bord de l'eau et lance tant bien que mal un "Oiseau brun", mouche sèche particulièrement productive sur les rivières de la-Gaspésie. Quant à son compagnon, il a choisi de se reposer, bien assis par terre

     Le premier pêcheur, qui descend lentement vers le bas de la fosse, a maintenant atteint l'endroit où la profondeur de l'eau diminue en même temps que la vitesse du courant augmente. Son compagnon tente de peine et de misère de garder les yeux ouverts en raison de la fatigue accumulée. Il distingue néanmoins la grosse mouche dérivant dans le film de l'eau, à cause du blanc éclatant des ailes et de la queue.

     Vlouffl! Un saumon prend violemment la mouche. Le compagnon du pêcheur est aussitôt tiré de son état de somnolence. De son côté, le pêcheur semble tout surpris de ce qui arrive. Il tient fermement la soie dans sa main gauche, bien décidé à ne pas laisser filer salar qui se débat fortement en surface. Voyant cela, le compagnon du pêcheur se lève immédiatement et dit: "Je crois que tu as besoin d'aide..."

Un équipement suffisant

     Une fois que le moucheur a pris contact avec un saumon, une partie de son succès repose sur l'utilisation efficace de son équipement. Il importe que le saumonier connaisse bien le rôle que jouent les pièces de son équipement ainsi que la façon de manipuler certaines d'entre elles.

     Contrairement à une opinion largement répandue, le moulinet est la pièce d'équipement maîtresse durant la bataille contre salar. En effet, la lutte du saumon se déroulant en un mouvement de va-et-vient, le moulinet doit permettre l'application d'une tension régulière sur la soie.

     La conception de certains moulinets (ceux dont le tambour déborde tout le tour) oblige à créer la tension en appuyant, avec plus ou moins de force selon le cas, la paume de la main sur le rebord extérieur du tambour. Cette façon de faire nécessite une bonne expérience et nous ne saurions recommander ce genre de moulinet aux débutants.

     D'autres types de moulinets comportent un système intégré permettant d'exercer une pression sur le tambour par simple réglage d'un bouton. Ce système de tension doit être facile à régler et fabriqué de pièces solides pouvant résister aux courses violentes du saumon. Il est essentiel de s'assurer que la pression augmente graduellement sur le tambour à mesure que l'on tourne le bouton. Pour certaines marques de moulinets, la tension est si forte une fois réglée au maximum qu'il devient impossible de faire tourner le tambour en tirant sur la soie. Soulignons, de plus, que la tension du moulinet doit être suffisamment forte et résistante pour éviter que le tambour ne tourne sur lui-même advenant le cas où le saumon accélère sa course. Si une telle situation survient, une partie de la soie enroulée sur le tambour devient lâche et risque alors de s'emmêler.

     La canne agit comme un ressort. Sa principale fonction consiste à amortir les coups donnés par le saumon et d'en atténuer, par conséquent, les effets sur le bas-de-ligne. Les saumoniers admettent généralement que les cannes en fibre de graphite et/ou de boron disposent d'un "ressort" plus rigide que les cannes en bambou et en fibre de verre, ces dernières étant de moins en moins utilisées. Cette plus grande rigidité des cannes employées maintenant fait subir au saumon une tension supplémentaire, ce qui peut contribuer à l'affaiblir plus rapidement.

     Quant au bas-de-ligne, ce monobrin de nylon si utile pour présenter la mouche, il semble bien fragile lorsqu'un gros saumon est "connecté". Il importe de vérifier occasionnellement la présence de noeuds ou d'éraflures sur chaque partie du bas-de-ligne, ces derniers créant des zones de faiblesse qui peuvent conduire à la rupture du bas-de-ligne lorsqu'une forte pression est exercée.

     Tout comme le bas-de-ligne, la mouche doit être inspectée de temps à autre afin de voir si la pointe est émoussée ou cassée. Cette recommandation vise particulièrement les moucheurs dont le lancer arrière voyage bas.

Autres items à considérer

     L'extension de la poignée est un élément rétractable ou ajouté au bout de la poignée afin de la rallonger. Bien des pêcheurs ne sauraient s'en passer, car cette extension permet d'appuyer la canne sur l'abdomen et de jouer ainsi le rôle de levier; de plus, la ligne peut se mouvoir librement, sans risquer de s'accrocher aux vêtements du pêcheur.

     La ligne de réserve permet au moucheur de rester relié au saumon lorsque ce dernier nage sur une distance dépassant la longueur de la soie à moucher. Le seul type de ligne de réserve à employer est le dracon tressé, d'une longueur de 100 verges ou plus.

     Les lunettes à verres polarisés ont la propriété d'éliminer les reflets de lumière à la surface de l'eau, aidant ainsi le pêcheur à mieux voir ce qui se passe sous l'eau. Lorsque vient le temps de sortir le saumon de l'eau (par le pêcheur ou son compagnon), le port des lunettes à verres polarisés permet de localiser facilement le poisson et de poser ainsi les bons gestes.

     L'épuisette, que les pêcheurs de la Bonaventure nomment aussi "sale-barde", doit être assez grande et résistante pour retenir de gros saumons. Le fil d'acier torsadé du "queutard" doit être d'un diamètre suffisamment gros pour en favoriser une bonne rigidité; cette rigidité permettra que le nœud coulant tienne en place dans le courant.

La bataille

     Comme nous l'avons décrit précédemment, le succès du combat contre salar s'acquiert en partie à cause d'une utilisation efficace de l'équipement. L'autre partie du succès s'obtient lorsque le pêcheur adopte une attitude et des techniques qui découlent de la connaissance du comportement du saumon au cours de la bataille. Par ailleurs, nous rappelons qu'un saumon ferré n'est pas nécessairement vaincu, même si le pêcheur respecte toutes les méthodes préconisées, car il se produit parfois des situations ne pouvant être maîtrisées par le saumonier (par exemple, la façon dont le saumon mord à la mouche).

     - Un saumon, venant tout juste d'être ferré, prendra parfois quelques secondes avant de réagir, comme s'il ne réalisait pas ce qui lui arrive. Le pêcheur peut exploiter ce moment privilégié en "remorquant" (à pied ou en canot) le saumon, qui souvent n'opposera pas de résistance, dans un secteur choisi de la fosse.

     - Bien souvent, lorsque le saumon se rend compte qu'un lien le retient, il s'engagera dans une course effrénée dans la fosse, en y mettant toute son énergie et son poids. À ce moment-là, la tension du moulinet est faible, tout juste en fait pour éviter qu'il ne se dévide facilement. Le pêcheur n'a d'autre choix que de laisser filer le saumon, puisqu'une trop forte résistance risquerait de briser le bas-de-ligne ou d'arracher la mouche de la gueule du saumon.

     - Les sauts que le saumon exécute hors de l'eau sont une de ses manifestations les plus spectaculaires, mais aussi des plus éprouvantes pour le pêcheur. Le saumonier d'expérience "sent" que le saumon est sur le point de bondir. Cependant, un novice peut anticiper ce comportement lorsque la soie revient rapidement à la surface. Quand le saumon explose hors de l'eau, si ce dernier est proche de lui, le pêcheur baisse la canne, car il risquerait de briser le bas-de-ligne si la soie demeurait tendue. Dès que le saumon retombe à l'eau, la canne doit être immédiatement relevée. Généralement, les saumons qui ont passé deux ans ou moins en mer sautent plus souvent que ceux qui y ont vécu trois ans.

     - Lorsque le niveau de l'eau de la rivière est élevé, le saumon utilise la force du courant pour se déplacer. Il y a grand risque qu'il cherche alors à sortir de la fosse. Bien souvent, si une telle situation survient, il est difficile, voire même impossible pour le pêcheur à pied de suivre le saumon. Pour éviter que cela ne se produise, le moucheur doit "forcer'' le saumon au maximum, jusqu'à ce qu'il remonte le courant vers l'amont de la fosse. Si, malgré cela, Salar ne veut rien savoir et s'engage à toute vitesse dans le rapide au bas de la fosse, le pêcheur annule la traction exercée par la soie en la sortant rapidement du moulinet. Le saumon aura peut-être alors l'impression d'être libéré et s'arrêtera.

     - Les gros saumons ont parfois la réaction de s'immobiliser près du fond de la rivière. Le saumon se trouve alors arrêté dans le courant principal et qui lui permet de bénéficier d'un apport maximum en oxygène et donc, de reprendre des forces. Même le pêcheur y met toute la traction, le saumon ne bougera pas et résistera en utilisant son poids et sa force. Le meilleur moyen de faire déplacer le saumon sera de lancer un caillou dans sa direction.

À l'autre bout de la ligne

     - Dès que le saumon est ferré, le pêcheur doit faire preuve d'une grande maîtrise de soi. Combien de saumons se sont échappés dès les premières minutes parce que le pêcheur était tout excité. Le calme permet de mieux juger la situation et de réagir correctement.

     - Quand le pêcheur réalise qu'il a un saumon au bout de la ligne, le premier geste à poser est de relever immédiatement la canne presqu'à la verticale et de la garder ainsi jusqu'à la fin du combat. De cette façon, on utilise au maximum le ressort de la canne.

     - Il se produit parfois une certaine confusion, surtout chez les saumoniers novices, au cours des premières secondes du combat. Beaucoup de moucheurs ont la manie de garder trop de soie lâche entre le moulinet et les premiers anneaux de la canne, rendant difficile la prise en charge de la soie par le moulinet. A la pêche à la mouche noyée, lorsque la mouche dérive dans le courant, seule une boucle formée de quelques pouces de longueur de soie dans la main suffit; tandis qu'à la pêche à la mouche sèche, le moucheur a toujours besoin d'une réserve de quelques pieds de soie. Ainsi, quand un saumon prend la sèche, la main qui retient la soie sert à la garder tendue, tout en la laissant filer graduellement jusqu'à ce qu'elle soit prise en charge par le moulinet.

     - Le saumon ne doit bénéficier d'aucune seconde de répit. Ses courses et ses cabrioles dans la rivière l'épuisent, épuisement accéléré par les gestes du saumonier. C'est pourquoi le moucheur bobine la soie dès que le saumon ralentit ou arrête ses déplacements. Si le saumon oppose de la résistance, le pêcheur lâche la manivelle du moulinet.

     - Si le saumonier en a la chance, il sort de l'eau et gagne le point le plus élevé de la berge.

     - Une fois que le saumon a mordu, un pêcheur en canot doit regagner la rive aussitôt que possible. De préférence, on accostera la berge en un endroit de la rivière où l'eau est calme et profonde.

     - Lorsque cela est possible, le saumonier doit éviter de changer de côté de la rivière.

     - Il est préférable de forcer le saumon de côté parce qu'il est alors obligé d'accomplir un mouvement qui n'est pas naturel chez lui (se mouvoir de côté).

     - Une fois les premières minutes écoulées (5 à 15 selon le niveau de l'eau de la rivière et la grosseur du saumon), les efforts du saumon sont moins violents. Le saumonier doit alors augmenter la tension du moulinet, dans le but de fatiguer le poisson encore plus rapidement.

     - Dès qu'il en a la possibilité, le moucheur entraîne le saumon en eau calme et le garde là le plus longtemps possible L'absence du courant force le saumon a dépenser plus d'énergie pour se déplacer. De plus, l'eau calme contient moins d'oxygène que l'eau rapide, ce qui contribue à accélérer l'épuisement du saumon. C'est également à cet endroit que le saumonier sortira salar de l'eau, puisqu'il sera facile à manoeuvrer.

     - Le pêcheur qui tient un saumon au bout de sa ligne depuis plusieurs minutes, a hâte que le combat finisse. Ce désir, si légitime soit-il, ne doit surtout pas l'amener à brûler des étapes, sous peine de perdre sa prise. Cette situation risque de survenir lorsque le saumon se laisse approcher par le pêcheur pour la première fois. Celui-ci sera alors fortement tenté de capturer (ou de faire capturer par son compagnon) le saumon qui semble maintenant docile. Il n'en est rien. Dans la majorité des cas, le poisson se sauvera à vive allure lorsqu'il verra le pêcheur pour la première fois. Généralement, salar aura la même réaction lors de la deuxième approche.

     - Le saumon donne des signes évidents de fatigue. Le moucheur dirige salar de plus en plus en augmentant la tension du moulinet ou en appuyant la paume de la main plus fortement sur le tambour.

     - Rendu à ce stade, il est de mise de forcer un peu plus le saumon. Le saumonier doit cependant user d'une extrême prudence, car salar peut avoir un regain d'énergie qui lui fera accomplir un bond hors de l'eau ou une course rapide.

     - Généralement, lorsque le saumon est entraîné vers le pêcheur (ou son compagnon) pour la troisième fois, il pourrait être retiré de l'eau.

Comment sortir le saumon de l'eau

     Ce moment tant espéré arrive enfin. Il représente l'étape cruciale au cours de laquelle le saumon pourrait se décrocher si la façon de faire du saumonier n'est pas correcte. Pour en compléter le dénouement, quatre méthodes s'offrent au pêcheur.

     Avec l'épuisette, le compagnon du pêcheur s'avance dans l'eau calme, à l'endroit où ce dernier lui a demandé de se placer; il se tient toujours en aval, c'est-à-dire en bas du saumonier. Il est à noter que le compagnon prend sa position uniquement vers la fin du combat. Il dépose l'armature de l'équisette sur le lit de la rivière en ayant soin de placer un caillou dans le filet. Il ne se déplace pas. C'est le pêcheur qui amène salar vers son compagnon. Dès que le saumon est au-dessus du panier, il lève d'un mouvement sec l'épuisette tout en s'assurant que le saumon y pénètre tête première.

     Si le sportif est seul, il s'avance dans l'eau, dépose le panier sur le lit de la rivière, appuie le manche de l'épuisette sur son abdomen, dirige le saumon vers le panier et finalement lève d'un mouvement sec l'épuisette.

     Pour ce qui est du "queutard", comme dans le cas précédent, c'est le saumonier qui dirige la manoeuvre. Le compagnon, ou le saumonier s'il est seul, s'avance dans l'eau jusqu'aux genoux. Il s'assure d'avoir placé la ganse du "queutard" autour de son poignet; puis il approche de la queue du saumon la boucle formée par le fil d'acier torsadé et l'avance jusqu'au tiers de la longueur de son corps: c'est alors qu'il tire d'un mouvement sec pour enserrer la queue du saumon. Si le courant est assez fort, il n'hésite pas à avancer la boucle plus loin, au milieu du corps.

     Pour sa part, I’échouage consiste à sortir le saumon de l'eau en le tirant sur la berge avec la canne. Il faut que la grève soit à peu près au même niveau que l'eau. Le pêcheur recule tranquillement, sans diminuer la traction et sans s'arrêter. Dès que le saumon est assez éloigné de la rivière, le pêcheur relâche la traction et se hâte de prendre le saumon. Cette technique s'emploie plus facilement avec les saumons de petite taille.

     Sortir le saumon à la main exige du pêcheur une plus grande maîtrise de lui-même. Il doit "apprivoiser" le roi des poissons sportifs afin d'entrer en contact avec lui. Salar, s'habituant à la présence du pêcheur, se hasarde plus près. Le saumonier rebobine de plus en plus la soie. La canne à la verticale, il approche sa main libre du poisson et lui passe la main sous le ventre. Si le saumon n'est pas complètement "apprivoisé", il retournera dans la fosse. Le pêcheur devra alors recommencer le même manège, lui passant de nouveau la main sous le corps, à partir de la tête, le pouce pointant vers la queue II glisse la main vers la queue, l'entoure sans trop mettre de pression, soulève le poisson hors de l'eau et l'amène assez loin sur la rive. Le saumon, inerte, n'opposera pas de résistance. Toutefois, lorsqu'il sera sur le sol, il se débattra.

     Il est à noter que, peu importe la méthode utilisée pour sortir le saumon, il faut se dépêcher de mettre fin à ses jours en le frappant sur la tête.

La « gradation »

     Un des plus beaux gestes que peut faire le saumonier, c'est la remise à l'eau de Salar qui lui a apporté tant de joie. C'est un des moyens d'assurer la pérennité de l'espèce. Dès qu'on a "apprivoisé" le saumon, et s'il ne saigne pas et/ou si l'hameçon n'est pas piqué dans les branchies ou dans la gorge, on peut le remettre dans son élément.

     Le pêcheur tient donc le saumon par la queue, sans jamais le sortir de l'eau. Il enlève la mouche délicatement; si cette action est impossible, il coupe l'avançon. Il place le saumon, le nez vers l'amont, et lui frotte délicatement le ventre à quelques reprises Quand les branchies s'activent davantage, salar commence à reprendre des forces. Le sportif le retient encore par la queue quand il veut s'échapper la première fois; habituellement, à ce moment-là il n'a pas assez récupéré, et pourrait tourner de côté et mourir. La seconde fois qu'il veut regagner son lit, le saumonier le laisse aller...

     Il vient d'accomplir un geste noble qui sera apprécié par les générations à venir.

Références

» Texte & Photo: Gilles Aubert, André-A. Bellemare et Gérard Bilodeau (Juillet 1986).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

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