Les Phryganes par Jacques Juneau

     Je me souviens avec délice de ces soirées lorsque le vent est tombé et que le lac réfléchit les montagnes des alentours. Ici et là, dans la petite baie en face du chalet, voltige ce petit insecte que plusieurs appellent la manne de lac. Quel spectacle lorsqu'on aperçoit les gobages ou les sauts de la mouchetée! En chasse sur ce joli petit quasi-papillon aquatique les salmonidés affichent une intense frénésie. L'éclosion devient plus abondante et les bonds des poissons hors de l'eau deviennent plus nombreux.
 
     La sortie rapide de la phrygane lors de son émergence oblige les truites à réagir rapidement si elles veulent l'attraper. Quelle image envoûtante! Bientôt la surface calme de la baie se transforme en bouillonnement sonore. Cette agitation nous fait frémir d'excitation. Lorsque vous lorgnez la canne à moucher reposant sur le râtelier vous vous demandez, quelle artificielle choisir?
 
     Le moucheur moyen est familier avec les imitations d'éphémères mais ses connaissances sont souvent limitées lorsque vient le temps d'utiliser les artificielles imitant les phryganes.

Caractéristiques générales

les phryganes
     Insecte de l'ordre des Trichoptères possède un cycle de vie complet. Il comprend les quatre stades d'évolution de l'œuf, la larve, la pupe et l'adulte. Après incubation de quelques semaines, les larves minuscules éclosent des œufs. La plupart des larves s'enveloppent d'un fourreau protecteur confectionné avec des brindilles ou différents matériaux. À maturité elles obstruent l'ouverture de leur résidence pour ensuite former une sorte de cocon où elles se transforment en insecte semi-adulte. À ce stade l'insecte porte le nom de pupe. À l'éclosion, la pupe perce l'entrée du cocon et nage rapidement vers la surface. Près de celle-ci elle se débarrasse de son enveloppe pupale et déploie ses ailes. Elle crève le film de l'eau en se propulsant littéralement hors de l'eau. Elle revient faire une petite danse folâtre à la surface le temps d'assurer le séchage complet de ses ailes.
 
     Le moucheur tente de reproduire fidèlement cette danse erratique en utilisant une imitation qui flotte bien haut sur la surface. La phrygane laisse voir un corps trapu et opaque, généralement assez foncé. Ses ailes en forme de tente la différencie facilement de celles transparentes et délicates de l'éphémère. L'insecte adulte est gratifié d'une vie plus longue que celle de l'infortunée éphémère. Polygame, la phrygane s'accouple plusieurs fois et produit une nombreuse descendance. Certaines pondeuses de ces Trichoptères sautillent à la surface pour y déposer leurs œufs. Tandis que dans d'autres familles de phryganes, elles, plongent vers le fond pour y fixer leur progéniture.

ÉMERGENCES SPORADIQUES

     Les pêcheurs à la mouche ont depuis longtemps apprivoisé les éclosions d'éphémères. Il est plutôt facile de connaître les périodes d'émergence de ces dernières puisqu'elles se produisent presque à date fixe d'une année à l'autre. Et une même espèce d'éphémère peut se retrouver sur une grande partie du territoire québécois.
 
     Les phryganes, elles, agissent autrement. Les émergences se produisent de façon sporadique et à des périodes variables selon les régions. Bien sûr, cette instabilité avantage le pêcheur puisque des émergences sporadiques risquent de conserver le goût de la truite pour cet insecte et l'incite à se mettre à table régulièrement. Donc le moucheur devrait conserver dans sa boîte à mouches en permanence un certain nombre d'imitations.
 
     Même s'il existe beaucoup d'espèces de phryganes, plus d'un millier en Amérique, on retrouve cependant cette horde d'insectes regroupée en dix-huit familles principales. Selon leur habitat les différentes familles se reconnaissent à la forme et aux matériaux utilisés par les larves pour fabriquer leur fourreau. Dans l'eau rapide des rivières, les phryganes utilisent le sable, le gravier ou les petits cailloux. Ce qui les retient mieux dans les courants. Celles habitant les lacs ont à leur portée une gamme variée de matériaux comprenant différentes pièces de végétation et de bois. Elles peuvent ainsi mieux flotter au besoin. Certaines familles peu nombreuses ne confectionnent pas de fourreau mais se tissent un petit filet pour capturer leurs proies.

Identifier les familles

     Voici présentées chronologiquement, du printemps à l'automne, les principales familles de phryganes présentes au Québec et leurs caractéristiques.

Les Philopotamidés : Dans cette famille, les larves utilisent des filets en forme de doigts sous les roches et ses principaux représentants sont des individus de genre Chimarra. L'éclosion est au printemps en mi-journée. L'artificielle qui reproduit les adultes de ce genre est dans les teintes de gris foncé et dans les grosseurs 18 à 20.

Les Brachvcentridés : La Brachycentrus numerosus se retrouve chez nous dans les grosseurs 14-16 avec un corps vert olive foncé. C'est au printemps à la mi-mai en après-midi que les éclosions se produisent, en même temps que les éphémères Hendrickson.
 
La Granmon Caddis aussi appelée la Shad Fly (Dette) reproduit l'insecte adulte. Ces insectes ont le corps d'un vert caractéristique ce qui fait que les imitations Delaware Caddis et Catskill Adams sont des patrons de mouches productifs sur ces éclosions.

Les HydropsychidésLe genre Hydropsyché de cette famille est présenté par trois espèces chez-nous, seulement en rivière. C'est la phrygane qu'on retrouve le plus souvent et ce, durant toute la saison. Ses ailes ont une forme triangulaire bien définie. L'ensemble de ces mouches a les ailes brunes tachetées (Spotted Sedge) et le corps brun jaunâtre de même que les pattes.
 
La slossonae émerge en fin de printemps, ou au début de l'été, on l'appelle le Caddis brun et la larve vit sur les fonds graveleux. La morosa, quant à elle, émerge au milieu de l'été avec les mêmes caractéristiques. La dernière espèce, la betteni est un peu plus grosse, mais avec les mêmes signes caractéristiques que ses sœurs. Des sèches artificielles dans le style de la Brown Caddis ou des imitations de phryganes à l'aile faite de Dinde tachetée dans les grosseurs 10-18 font très bien l'affaire pour les trois représentantes de cette famille.
 
Le genre Chumatopsyche de la famille dont nous parlons (Hydropsychidés) est présente ici dans l'espèce campyla. Le corps est d'un brun vert et vous ne trouverez pas de fourreau chez les larves car elles confectionnent des filets. Elles émergent sporadiquement d'avril à juillet. Plus la saison avance, plus les adultes ont des teintes pâles. On reproduit l'adulte dans les grosseurs 14 à 16 avec un corps brun vert comme les Dancing Caddis de Gary Lafontaine.

Les Rhyacophilidés : Cette famille est représentée dans notre faune locale par les Rhyacophilia carolina et Rhyacophilia fuscula. On peut représenter la femelle de fuscula lors de la plongée sous l'eau pour la ponte des oeufs par la Cul-vert de Claude Matte dans les grosseurs 14-18. Tandis que la carolina est plutôt brunâtre, le vert de l'artificielle représente les oeufs. C'est souvent le soir, depuis la mi-mai, souvent en eau rapide que vous la rencontrerez.

Les Odontocéridés : Le genre très connu des Psilotreta vit en rivière et se caractérise par un fourreau en sable solidifié très solide pour résister aux durs contacts avec les roches. C'est une très importante éclosion pour les rivières de l'est de l'Amérique. L'éclosion est en soirée en juillet, en même temps que les éclosions de Green Drake. Le genre n'est représenté de façon significative que par la Psilotreta labida qu'on imite par une Adams dans les grosseurs 16-18 (bonne chance pour les ailesl) ou une Dark Blue Sedge.
Adams
Les Leptocéridés : Elle est moins connue en rivière parce qu'elle est surtout présente en lac. Les phryganes de cette famille sont représentées par deux genres en lac et un en rrviere. En lac nous avons les Mytacidae sepulchralis et les Nectopsyche exquisita tandis qu'en rivière c'est le genre Oecetis qui est représenté. Les larves de ces trichoptères de grosseurs moyennes construisent un fourreau en forme de tube constitué de sable ou de gravier fin et stabilisé par l'incorporation de trois ou quatre morceaux de bois. La femelle plonge également pour pondre ses œufs au fond de l'eau. On représente la Mytacidae sepulchralis pour une artificielle de couleur noire comme la Elk Caddis noire de grosseur 14 ou 16.

Black Elk hair caddis
White Elk hair caddis
     On pourrait aussi utiliser une mouche à plumes souples, au corps de fourrure noire, et munie d'un hackle de Perdrix anglaise. Pour la Nectopsyche exquisita c'est la petite manne blanche qu'on voit apparaître avec abondance au milieu de l'été en lac. L'abondante activité des truites qu'elle produit en lac est responsable de la popularité de la mouche White Miller une mouche noyée traditionnelle très populaire pour la période de ponte. On optera plutôt pour une artificielle blanche sèche comme une Elk caddis numéro 14 ou 16 pour les éclosions.
 
     Les Oecetis ont de très longues antennes (Long Horn Sedge) et fréquentent les eaux vives des rivières. Nous les reproduisons avec des Brown Dancing Caddis avec des ailes, le corps et les pattes dans les couleurs variant de jaune à brun. Comme les éclosions ont lieu en plein été, qu'elles sont abondantes et que les autres trichoptères sont peu présents à cette époque le matin et au début d'après-midi, ces Oecetis peuvent présenter des occasions en or pour qui déposera habilement dans ce tumulte une sèche flottant haut sur l'eau.

Les Hélicobsvcbidés : Les individus de cette famille émergent du printemps à l'automne. Chez-nous on retrouve principalement la Helicopsyche boralis, qui se construit un fourreau typique des phryganes de rivières soit une enveloppe de forme ovale constituée de gravier fin, en rivière et dans les parties agitées et très oxygénées des lacs. Elle a un corps et des pattes gris pâle et les ailes sont d'un gris brun.

     La femelle plonge sous l'eau pour déposer ses œufs au fond et l'utilisation d'une mouche noyée ou à plumes souples de couleur Blue Dunn rapporte toujours des dividendes. Pour l'adulte l'artificielle devrait être montée sur un hameçon de grosseur 16 avec des ailes en poils de chevreuil, un corps en fourrure Blue Dunn et un hackle Blue Dunn.

Les Phryganéidés : Les Phryganea cinerea sont présentes au Québec et leurs grandes dimensions les rendent faciles à identifier. Elles sont les plus abondantes parmi les différents genres existants. Les individus ont le corps trapu et velu. Les larves construisent un fourreau assemblé en forme de spirale ou de ruban enroulé en spirale.

     Nous les retrouvons en lac et en rivière. La coloration des adultes varie du brun jaunâtre au brun foncé. Les émergences ont lieu à la fin du printemps, au crépuscule, lorsque les premières chaleurs permettent de longues soirées agréables. J'imite cet adulte en utilisant un hameçon de grosseur 4, un mélange de fourrure brun jaunâtre pour le corps, entouré d'un hackle de couleur gingembre (ginger) de même couleur que le hackle de tête. Le hackle de corps est important pour s'assurer que l'artificielle flotte haut sur l'eau. Quelques fibres de plume de flanc de Branchu servent de sous-aile et une section de plume de Dinde tachetée représente l'aile caractéristique de cette famille.
 
     Puisque la femelle plonge pour déposer ses œufs j'utilise également une artificielle de bonne dimension, comme une Muddler Minnow de grosseur 4, avec un corps de lamé (tinsel) de couleur or et des poils de chevreuil teints en brun.

Les Lépidostomidés : Même si plusieurs espèces du genre Lepidostoma de cette famille sont présentes au Québec, heureusement pour nous leurs caractéristiques sont tellement semblables qu'une seule artificielle est utile dans deux principales grosseurs. En juin, Lepidostorna bryanti se pêche en grosseur 12, et en août Lepidostoma togatum est imitée par une grosseur 8. Vous vous rappellerez peut-être avoir trouvé de ces fourreaux à quatre côtés confectionnés avec des petits morceaux d'écorce de conifère.
 
     Heureux êtes-vous car de juin jusqu'à la fin de l'été vous pourrez utiliser une artificielle dans les grosseurs mentionnées respectant le style Vermont Caddis dans les teintes de brun.

Les Limnéphilidés : Cette famille a aussi des représentants qui émergent durant presque toute la saison de pêche au Québec. Si vous trouvez des fourreaux assemblés avec des brindilles en forme grossière de cône mais sans raffinement, comme agglutinés sans ordre les Limnéphilidés sont au rendez-vous. Les deux premiers genres de cette famille se retrouvent seulement en lac (normalement) et sont représentés chez nous par une espèce chacun.
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     La Limnephilus est représentée par des espèces tellement proches qu'il est inutile de les détailler. Cette phrygane émerge durant la seconde partie de l'été d'où son intérêt. Les adultes ont le corps, les pattes et les ailles dans les teintes de gingembre. Des artificielles montées sur des hameçons 6, 8 ou 10 dans les bonnes teintes suffisent à tromper la truite.

     La Platycentropus radius est de bonne dimension (4-6). Elle émerge en juillet et août et est nommée chez nos voisins la Phrygane chocolat et crème. Le corps de l'artificielle sera donc composé de fourrure brunâtre avec une touche de jaune. L'aile est confectionnée avec une plume de queue de Dinde tachetée. Le hackle sera de couleur gingembre à brun.

     La Pycnopsyche est représentée par plusieurs espèces mais ici encore nous pouvons utiliser une seule artificielle. C'est le caddis d'automne de nos voisins. C'est une période où il n'y a pas beaucoup d'éclosions d'éphémères ce qui la rend précieuse aux yeux des prédateurs et des pêcheurs. Pour monter une artificielle qui la représente le monteur aura soin de confectionner un corps en fourrure brun moyen, une aile tachetée brun pâle et un hackle de gingembre pâle dans les grosseurs 4-6-8.

Tableau chronologique des éclosions de phryganes présentes au Québec

Tableau chronologique des éclosions de phryganes présentes au Québec

Pêcher avec la bonne imitation

     En utilisant comme repère le moment de la saison où vous pêchez, la couleur et la grosseur de ce qui semble exciter la truite, ou encore si vous avez la chance de recueillir des fourreaux permettant de vous donner une idée de quelle famille s'active en ce moment, vous multiplierez infiniment votre temps de pêche ciblée où le hasard aura moins de place au prix d'une vingtaine de mouches.

    Ce sera alors à votre tour de ressentir la frénésie du milieu où vous avez pénétré mais surtout le contentement de belles prises tout au long de la saison.

Référence

» Texte, photos et illustrations: Jacques Juneau (2005).
» Magazine Pêche à la Mouche.
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