Les Truites de la Saison Morte par Pierre Saumur

     Vous vous souvenez (j'espère!) sûrement de mon article intitulé: "Le Muddler SAUBACCKI". Celui-ci ayant paru dans le numéro d'hiver 1987 d'Atossement Vôtre et qui discutait entre autre avec quelle mouche je capturais ces véritables ogresses du fleuve en période automnale. Maintenant, je vais vous divulguer certains autres petits détails susceptibles de vous faire prendre la ou les truites de vos rêves. Je discuterai donc de: 1) Le meilleur temps pour la capturer de ces truites; 2) Où les pêchées; 3) L'équipement à utiliser; 4) Les contraintes du pêcheur à la mouche dans un milieu bien exploité et enfin la question pour le moins fragile qu'est la remise à l'eau des captures. Donc, si ces points vous intéressent, je vous invite à me suivre et à lire les lignes qui vont suivre.

Les Truites de la Saison Morte
     Disons en premier lieu que je ne pêche, à toutes fins utiles, jamais le printemps. Durant cette saison, l'eau est haute, sale. Les fosses sont difficiles à trouver et pire encore le nombre de pêcheurs est plutôt considérable. Vos chances de succès sont donc minces voire même nulles. De plus, lorsque je vais à la pêche c'est pour prendre du poisson et non pour perdre mon temps. Où serait la satisfaction du pêcheur s'il ne prendrait jamais de poisson? Tout ceci dit, passons maintenant au meilleur temps pour capturer mesdames brunes et arcs-en-ciel.

     Dans la région de Montréal et plus précisément la zone 8, la pêche pour les deux espèces qui nous intéressent est ouverte à l'année; même durant la saison des amours. Néanmoins, je crois que personnellement pour le pêcheur à la mouche la période la plus propice pour capturer de beaux spécimens, reste sans aucun doute celle qui s'étend du mois de septembre au mois de novembre, dépendamment de Dame Nature. L'eau est basse, claire, se refroidit graduellement à mesure que les journées racourcissent et le nombre de pêcheurs est de moindre importance. De plus, les truites redeviennent actives et mordent en plein jour, surtout au mois d'octobre. De même, si je regarde mon carnet de pêche, je dois vous dire que les truites mordent aussi bien en temps nuageux quand temps ensoleillé. En ce qui a attrait maintenant aux heures qui me semble les plus meurtrières, la moyenne reste aux alentours de 9:00 a.m. à 3:00 p.m..

     En second lieu, où les pêchées? Cette section a pour but de vous informer à quels endroits présenter votre mouche et non de vous dévoiler mes "spots". Vous me comprenez? La majorité de mes captures ont été prises dans une profondeur d'eau variant entre trois et dix pieds. Et, de plus, les endroits à prospecter sont le devant et l'arrière des roches submergées.

     Les dénivellations de fond ou hauts-fonds; par exemple un fond qui passerait de trois à six pieds. Il faut aussi pêcher les herbiers que l'on retrouve en plein courant. Les brunes aiment bien les herbiers: ceux-ci contiennent majorité d'insectes de toutes sortes ainsi que certaines familles de cyprinidés. Les chutes d'eau sont aussi de bons endroits: Encore une fois le devant et l'arrière de celles-ci sont à travailler. En général, votre intuition de pêcheur devrait vous guider vers les meilleurs endroits. Une chose reste à remarquer, c'est que les arcs-en-ciel sont en plein courant de vélocité moyenne à grande. C'est un poisson plus puissant que sa consoeur la brune et qui affectionne l'eau très rapide et plus oxygénée. La brune, tant qu'à elle, est plus "paresseuse" et de ce fait on peut la retrouver dans des eaux beaucoup moins rapides.

     Passons maintenant à l'aspect plus technique; l'équipement comme tel. Je ne passerai pas en revue tout l'équipement qu'un pêcheur à la mouche peut avoir. Je m'en tiendrai qu'à l'essentiel et au plus important. Tout d'abord la canne: Celle-ci devra être à la fois légère et assez puissante pour lancer sur une distance minimum de vingt pieds des mouches d'une grosseur pouvant aller, plus souvent qu'autrement, jusqu'au 2/0. Une canne à saumon qui laisse filer dans ces anneaux une soie numéro 9 ou 10 WF fait très bien l'affaire.

Le bas-de-ligne
     Le moulinet: Celui-ci devra contenir au minimum 50 verges de ligne de réserve en plus d'une soie no. 9 ou 10. Je ne nommerais pas de compagnie et je vous laisse le choix que vous préconisé le plus. Cependant, il devra être léger et avoir un bon frein ou un à paume sinon certains inconvénients pourraient surgir. L'emploi d'un moulinet à saumon serait approprié ou bien encore un à truite de qualité.

     La soie: Deux types sont ici appropriés. La flottante ainsi que la flottante avec bout calant pour faire couler les gros muddlers SAUBACKI à pic, jusqu'au fond. Encore une fois, je n'entrerai pas plus qu'il le faut dans les détails étant donné que chacun d'entre nous ont leurs préférences tant qu'aux types de soie. Pour ma part, celui avec le bout calant de dix pieds m'a été d'une grande utilité. Le meilleur reste cependant une soie de chaque type pour pouvoir pêcher les différentes profondeurs mentionnées auparavant.

     Le bas-de-ligne: Lorsque j'emploie la soie flottante, mon bas-de-ligne mesure approximativement la longueur de la canne. Par contre, lorsque j'emploie celle avec bout calant, il mesure environ sept pieds pour permettre à la mouche de s'enfoncer le plus possible.

     Tant qu'à sa construction, elle se fait en trois sections décroissantes de fil de diamètre suivant: 0.20, 0.17 et 0.15 pouces. En d'autres termes, 25 lbs, 20 lbs et 15 lbs. Plusieurs affirmeront peut-être qu'un terminal de 0.15 pouces est plutôt élevé. Mais n'oubliez pas, vous avez affaire à des mouches 2/0 (8 x long, C.S.). Il faut donc prendre cela en considération.

     Le noeud d'attache: Cette dernière partie peut vous faire perdre votre poisson. Donc, prenez-le temps de le fabriquer de façon efficace. Personnellement, j'emploie le noeud que l'on nomme en anglais, le "Duncan loop" dans 90 pour-cent de mes pêches pour attacher la mouche à mon bas-de-ligne. Je trouve qu'il aide ma mouche à entrer plus rapidement et à se mouvoir plus naturellement dans l'eau que tout autre type de noeud (Turtle knot, Improved clich knot). Le "Duncan loop" n'affecte pas l'équilibre ou la nage de la mouche comme le ferait les autres types de noeud. Lorsqu'un poisson est pris vous avez juste, par la suite, à repousser votre noeud à sa position initiale, si elle a été affectée bien sûre.

     Les mouches: L'emploi de streamers et de bucktails reste sans aucun doute les types d'artificiel à avoir avec soi lorsque l'on pêche ces grosses truites du fleuve. En plus du muddler SAUBACKI, vous pouvez employer toutes les autres mouches de votre collection. Cependant, péchez deux fois plus de temps avec le SAUBACKI: il est mortel. Tant qu'à moi, ma boîte à mouches contient environ une douzaine de muddlers SAUBACKI no 2/0 (Carrie Stevens), une douzaine d'autres dans les grosseurs no 2 (79580 et Carrie Stevens). Cependant, ce sont les plus gros SAUBACKI qui font décollés les belles brunes et arcs-en-ciel du fond le plus régulièrement. C'est à vous d'en prendre note.

     Enfin, de bonnes bottes-pantalons avec semelles anti-dérapentes sont indispensables. Une paire de lunette polarisée est primordiale pour voir où vous mettez les pieds et où sont les fosses et aussi les truites. Il ne faut pas non plus oublier l'épuisette. Elle devra pouvoir contenir souvent des truites de tailles plus que respectables. Voilà en ce qui a attrait à l'équipement minimal que l'on devrait avoir lorsque l'on pêche dans les rapides du fleuve et dans toutes autres situations de pêche.

     En quatrième lieu, lorsque l'on pêche près d'une ville comme Montréal, on doit s'attendre à ce que la pression de pêche soit plutôt sérieuse. En plus des pêcheurs qui exercent leur sport à partir de la berge, il y a ceux qui le font en embarcation. On doit remarquer que cette pression est forte au printemps, s'atténue considérablement l'été (bon nombre de pêcheurs se mesurent aux autres espèces sportives) et augmente un peu durant l'automne.

     Donc, le printemps, il y a une certaine quantité de truites qui sont prises, l'été elles fréquentent des endroits où l'eau est beaucoup plus froide donc plus profonde où certains pêcheurs s'aventurent (en bateau) donc, il s'en prend moins et finalement l'automne, elles regagnent l'eau moins profonde, elles deviennent plus accessibles et il y a moins de pêcheurs (ils sont à la chasse!).

     Donc, ce qui avantage les pêcheurs à la mouche qui veulent vraiment s'en donner la peine, c'est qu'ils peuvent aller pêcher les coins où les autres ne peuvent fréquenter. Je m'explique: On peut pêcher au bord et avoir un succès qui n'est pas si fantastique ou bien prendre notre courage à deux mains et s'aventurer dans les rapides pour pêcher les fosses inaccessibles que par les pêcheurs à pied. En d'autres termes, il faut pêcher où il y a assez d'eau pour qu'il y est de la truite, juste d'une bonne profondeur pour que vous puissiez y aller sans danger mais pas assez d'eau pour les pêcheurs en bateau. C'est ce qu'il faut faire, c'est tout.

     Beaucoup de personnes qui me voient entrer dans les rapides se disent et le disent à d'autres, que je suis malade. Tant qu'à moi, je dis qu'il faut être sûr de nos moyens, de respecter l'eau, les rapides, mais de ne pas en avoir peur. Lorsque vous êtes dans un rapide et que vous avez de l'eau jusqu'à la taille et que vous voulez avancer, vous ne devez jamais lever un pied sans être certain que l'autre est bien ancrer en place. Et pour plus de sécurité, le port d'une ceinture à la taille est de toute première importance. Néanmoins, ces personnes qui affirment que je suis dingue, restent bouche-bée lorsque j'arrive près de la berge...

     En ce qui concerne la remise à l'eau des prises: L'automne la salmo trutta est en période d'accouplement contrairement à salmo gairdneri qui elle s'y prépare tout doucement. Lorsque vous capturez une brune femelle faite lui la grâce de la remettre à l'eau, vous n'en serez que gagnant. Il en va de même pour les mâles. Cependant, je ne dis pas de remettre toutes vos prises à l'eau, surtout lorsqu'après quatre à cinq heures de pêche vous réussissez à n'en prendre qu'une. Les arcs-en-ciel aussi devraient être remises à l'eau. Vous pouvez être assurer qu'un jour ou l'autre, elles attaqueront de nouveau à vos mouches.
 
     Vous devez néanmoins faire très attention avant de faire ce geste sportif en ce sens que si vous apercevez le moindre signe de déchirure, de sang ou même de fatigue extrême même après "réanimation" de votre part pour sauver votre prise, gardez-là. De même, vous pouvez enlever l'ardillon sur l'hameçon de la mouche que vous utilisez. Ça sera moins douloureux pour vos amicales adversaires.
Il suffit d'avoir accomplit ce geste une fois pour comprendre vraiment ce que cela peut vous donner comme satisfaction. C'est très difficile à expliquer en mots. En d'autres termes, il faut l'avoir fait pour pouvoir le comprendre. Ce qui est le plus difficile à faire, c'est de remettre la première à l'eau. Les autres suivront sans autre hésitation de votre part, j'en suis persuadé.

le muddler SAUBACKI
     Avant de terminer, j'aimerais vous faire revivre ma dernière capture de l'année passée. Après avoir fait un bon demi-mille dans les rapides de Lachine, c'était le 4 novembre 1987, et après avoir pris et remis à l'eau une petite arc-en-ciel d'environ deux livres, j'arrive dans un de mes coins favoris. Après une dizaine de lancers, le muddler SAUBACKI refait le même trajet et se prépare à remonter le courant: je le vois, il est approximativement à cinquante pieds de moi et à environ un pied et demie en dessous de la surface. Tout à coup un bouillon digne d'une belle pièce me fait sursauter et battre le coeur au rythme d'un coureur de marathon. Je tire sur la mouche et refais un autre lancer. A environ au même endroit que le premier bouillon, un autre comme celui-ci se remanifeste. Dès lors, je sais que j'ai affaire à une truite qui est très nerveuse et aussi en quête de nourriture. Un autre lancer dans l'endroit "bouillonnant": après quelques rentrées de soie de la main gauche, je ferre et c'est le combat. C'est un puissant poisson qui ne veut absolument pas venir à moi. Après une dizaine de minutes, je la vois: c'est une belle arc-en-ciel et le SAUBACKI et bien ancré dans le côté de sa gueule. Je peux donc ne plus la perdre, je suis rassuré. La canne bien haute dans la main droite et l'épuisette dans l'autre, je la ramène tout doucement jusque vers le filet. Elle y entre tête première. C'est vraiment une belle arc-en-ciel, une femelle. Je m'asseois sur une roche en plein milieu du courant et regarde ma prise. Le muddler SAUBACKI lui a fait très mal et la force que j'exerçais sur elle l'a fatigué énormément au point que je ne peux pas me permettre de la libérer. Si je le faisais, se saurait de l'a tuée de toute façon.

     Après la séance de photos, je repars chez-moi content de ces quelques heures de pêche. Sur la balance, elle fait 7.1 livres. Ma saison de pêche de la saison 1987 vient de se terminer. J'espère que cette année (1988), la Mère nature et les salmonidés du fleuve seront de mon bord...

     N.B.: Pour les sceptiques qui douteraient encore de la véracité de mes allocutions, je vous refile mes données pour l'automne 1987 que j'ai prises directement de mon carnet de pêche:

     22 septembre 1987: Deux arcs-en-ciel.
     29 septembre 1987: Deux arcs-en-ciel de prises et libérées.
     4 octobre 1987: Trois brunes de prises et libérées. Deux arcs-en-ciel de prises, aussi libérées. Une arc-en-ciel de prise.
     12 octobre 1987: Une brune femelle de prise et libérée. Une brune mâle de prise.
     17 octobre 1987: Une arc-en-ciel de prise et libérée. Une brune, un mâle, de prise et libérée.
     24 octobre 1987: Deux arcs-en-ciel de prises et libérées. Une brune femelle de prise et aussi libérée. Trois autres arcs-en-ciel de prises.
     1 novembre 1987: Une brune femelle prise. Une arc-en-ciel de prise et remise à l'eau.
     4 novembre: Deux arcs-en-ciel de prises.

     Sur ces huit sorties de pêche, j'ai capturé et gardé en ma possession huit arcs-en-ciel et deux brunes. J'ai aussi libéré huit arcs-en-ciel et six brunes.

     Donc, au total, j'ai capturé vingt-quatre truites: Ce qui fait une moyenne de trois poissons par jour de pêche. Ne sont pas cumulées ici les prises perdues, bien attendu.

références

Texte Pierre Saumur
Atosement votre Automne 1988.

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