Marc Leblanc; Un Guide-Pêcheur d’Expérience qui Recherche la Qualité par Jacques Émond

     Si un jour vous voulez rencontrer un guide-artiste et un pêcheur expérimenté, il vous faut rencontrer Marc Leblanc de Maria, en Gaspésie. Guide sur la Petite Cascapédia, Marc vit de la pêche au saumon dans toutes ses dimensions, que ce soit le montage de mouches, l'environnement, la biologie, l'aménagement, le séjour dans la nature, la pêche sportive ou la dégustation.

Un guide qui recherche la qualité

Marc Leblanc; Un Guide-Pêcheur d’Expérience qui Recherche la Qualité
Q : Quand as-tu débuté comme guide au saumon ?

     R : J'ai commencé en 1979. Avant, le gouvernement gérait la Petite Cascapédia et fournissait les guides. Avec l'arrivée d'un nouveau système de gestion, les anciens guides ont abandonné leur travail... Restait alors Roland Leblanc qui m'a montré à « pôler » et à descendre la rivière. Je lui dois beaucoup.

Q : Qu'est-ce que tu apprécies dans ce travail ?

     R : Faire une descente en canot sur une magnifique rivière, voir tout ce qui se passe dans le fond de l'eau et, en prime, avoir la possibilité de prendre un saumon, tout cela est pour moi un privilège.

Q : Qu'est-ce qui t'a amené à aimer la Petite-Cascapédia ?

     R : Quand j'ai commencé à pêcher le saumon dans les années 1970, il n'y avait pas beaucoup de pêcheurs. Je péchais beaucoup à la mouche et, dans ce temps-là, ça coûtait 10 $ par jour sur cette rivière. Même si c'est une petite rivière, on voyait du beau saumon. Et ce que j'ai aimé le plus, ce sont tous les efforts qu'on a mis avec des gens d'ici pour former l'association en 1980 qui gère aujourd'hui une zec. Tout cela nous a amenés à reconstruire le stock de saumons. On a fait de l'ensemencement et on en fait encore.
 
     La rivière a un potentiel de 2 000 ou 2 500 saumons et on tient à garder la qualité d'une pêche tranquille.

     Ce que l'on veut, c'est que le pêcheur puisse pêcher sur 10, 12 milles, sans se barrer les pieds dans personne sans pour autant devenir un club privé. Ainsi, nous avons un grand secteur contingenté à huit perches par jour et un autre secteur un peu plus petit, non contingenté. Avec un tirage au sort, tout le monde a la même chance, comme dans toutes les zecs.

Lee Wulff
Q : On m'a dit que tu avais déjà guidé Lee Wulff. Comment as-tu vécu cette expérience ?

     R : En 1985, je les avais guidés, lui et sa femme Joan sur la Grande Cascapédia, et en 1986, alors que je guidais pour le saumon sur l'île d'Anticosti, à la pourvoirie Cerf-Sau. J'ai passé cinq jours seul avec lui dans un camp. Il avait alors 80 ans.

     Il m'a raconté d'où il venait, où il avait commencé à pêcher le saumon, qu'il avait été payé par des gouvernements pour aller découvrir des rivières à saumon. Il m'a raconté tout ça ! Comme il possédait son avion, il passait au-dessus d'une rivière à basse altitude s'il le pouvait. Il voyait les bancs de saumons se déplacer dans les fosses, puis il allait se poser un peu plus loin pour revenir y tenter sa chance. Il m'a raconté tellement de choses en cinq jours. Il m'a montré, entre autres, comment il faisait ses mouches. J'en ai encore dans ma collection. Cet homme possédait une technique de montage de mouches sans étau.

     Quand je lui ai demandé combien il avait pris de saumons dans sa vie, il m'a répondu qu'à 4 000 il avait arrêté de compter. Et sur ce nombre, il en a relâché plusieurs. Il n'était pas un champion du lancer. Sa femme était meilleure que lui.
Mouche Lee Wulff #28
     Il ne péchait pas d'une façon agressive. Il était toujours extrêmement smooth dans la présentation de ses mouches. Avec les hameçons qu'il utilisait, notamment des n° 28, tu ne peux pas pêcher agressif. Il n'avait pas vraiment de techniques spéciales, comme pour faire travailler la mouche sur l'eau. Mon ! Il laissait descendre la sèche au gré du courant, toujours le plus naturellement possible. Il a pris deux saumons avec moi sur ses petits hameçons n° 28. Et il en a piqué beaucoup, beaucoup ! Il utilisait une petite canne Scott de 7 pieds ou 7_ pieds et un petit moulinet bien ordinaire avec très peu de frein, parce que, quand le saumon prenait la mouche, il ne le ferait pas. Il le laissait s'en aller avec la mouche, puis il jouait...

     Ce qu'il visait dans les dernières années de sa vie, c'était de prendre des gros saumons avec de très petites mouches qu'il montait en attachant un hameçon No.28 à l'avançon et en y faisant une loupe sur laquelle il montait un bomber. De cette façon:

     Il me répétait tout le temps : « Le seul problème que j'ai, ce sont mes chevilles parce que j'ai trop marché dans les rivières. » A 80 ans, faire ce qu'il faisait là, je dois dire que c'était rare. Lui et Richard Adams sont les deux seuls bonshommes de cet âge-là que je connais qui sont capables de faire ça.

Un pêcheur humain

Q : Qu'est-ce que ça représente, pour toi, fabriquer des mouches à saumon ?

     R : Fabriquer des mouches, c'est spécial! Quand je monte une mouche à saumon, je le fais en premier lieu pour le pêcheur. Quand Mme Bigaouette me montrait à faire des mouches, elle me disait toujours : « Le premier que tu dois charmer, c'est le pêcheur, pas le saumon... Si le pêcheur regarde ça, il va dire : c'est une belle mouche. Mais le saumon, pensera-t-il: une belle mouche ? Est-ce que tu vas prendre davantage un saumon avec une belle mouche ou avec une autre sorte montée toute croche avec trois ou quatre poils de chevreuil et un corps, quelque chose de bien simple? C'est le saumon qui va décider ! »

     Moi, j'aime beaucoup l'action de la mouche dans l'eau mais je ne peux pas dire que j'ai une théorie exacte sur les raisons qui font qu'un saumon prend une mouche. Mais ce que je peux dire, c'est qu'un streamer, une mouche imitative ou attractive qui a de l'action, de l'effet, rend le saumon plus agressif qu'une mouche ordinaire. Ce qui lui fait prendre une mouche ordinaire, c'est peut-être la couleur ou la façon dont elle descend dans l'eau (dead drift, comme on dit). Mais, si tu pêches avec un streamer, il faut que tu lui donnes de l'action. Quand je monte une mouche, je pense à la fosse où je vais l'utiliser. Une Magog Smelt fait avec des ailes en poils, plus rigides, dans un courant rapide, a un effet assez particulier.

Q : Quelles sont tes plus belles expériences de pêche ?

     R : J'en ai eu beaucoup. Disons que je pêche le saumon intensivement depuis 15 ans et que chaque jour est une belle expérience. Il y a eu mes premiers saumons et les premiers saumons de certaines personnes. La plus belle expérience dans mon cœur, c'est quand mon fils, à l'âge de 11 ans, a pris son premier saumon.

     Si je prenais mon livre de notes, je pourrais t'en raconter beaucoup. Entre autres, en 1992, Gaétane Bujold, présidente de l'Association des pêcheurs sportifs des rivières Cascapédia, a piqué un saumon de 27 livres qu'elle a tenu une heure et dix minutes sur la ligne!!! Pour moi, c'était une très belle expérience.

     Prendre un saumon n'est pas de l'habitude. Jamais ! Le coeur me débat toujours et le jour où cela cessera, je vais arrêter de pêcher.

Q : Que penses-tu de la pêche au saumon au Québec ?

     R : Il y a quelques années, la seule façon de pouvoir manger du saumon c'était de braconner. Je ne parle pas du gros braconnage avec des filets comme ceux qui en vendaient. Ça, c'est impardonnable ! On le faisait pour en manger, mais aussi parce qu'on aimait le sport de prendre un saumon à la ligne, même si on le prenait avec un lancer léger. Ce n'était pas accessible ; on voyait les Américains pêcher et on se disait : « Christie ! Ces rivières-là coulent chez nous ! »
 
     Quand je calcule l'argent mis là-dedans, les efforts de la FQSA, l'éducation qui a été faite et ce que tout le monde a mis en commun pour avoir du saumon dans nos rivières, je suis heureux pour la génération future, celle de mon fils qui, à 13 ans avait déjà pris 5 saumons durant une saison, et à ma petite fille qui va pêcher bientôt. Ils sont bien éduqués à la pêche et ils ne sont pas les seuls qui sont ainsi.

Q : Et la remise à l'eau ?

     R : On parle beaucoup du catch and release, mais il ne faudrait pas que ça soit imposé. On est tellement privé alors que, par les années passées, personne se privait. Selon moi, les gens sont assez bien éduqués pour dire qu'une femelle de 40 ou 25 livres va pondre tant d'oeufs par rapporté son poids. Sur la Petite-Cascapédia, il n'y a pas tellement longtemps, la limite était de six saumons par jour et on les prenait. Aujourd'hui, elle est de un. Prendre un beau saumon ou deux castillons dans une journée, je trouve que c'est une belle journée !

     Vous avez maintenant une petite idée sur un autre membre de la famille de nos guides québécois qui vivent intensément de la pêche au saumon et qui souhaitent transmettre dignement cette flamme à d'autres saumoniers.

références

» Par Jacques Émond, Rivière-du-Loup
» Photos Jacques Émond & Marc LeBlanc
» Salmo Salar 43, Été 1996.

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