Propos et Confidences d'une paire de BOTTES par Jacques Juneau

poésie

     La saison est terminée et mon propriétaire nous a négligemment déposées au coin de son studio. Je le vois, bien assis devant son atelier de montage; et j'éprouve un grand respect pour cet homme heureux, qui nous a conduites par monts et vallées.

Propos et Confidences d'une paire de BOTTES
     Il nous a quelquefois traînées dans la boue, frottées sur les roches et roulées sur les cailloux des rivières; même qu'il a osé nous abandonner toutes humides, nous causant fendillements et activant notre vieillissement.

     Mais oublions ces brèves moments de lassitude. Cet homme, mon copain pêcheur à la mouche, nous a rendu les bottes les plus heureuses du monde. Qu'ils furent doux, ces moments où nous reposions au fond de l'embarcation. Notre cuir réchauffé par le soleil se souvient de ces jours charmants où l'éphémère et la demoiselle venaient timidement se poser sur nos lacets. Nous pouvions enfin voir de près ces splendides insectes, auxquels notre maître porte la plus haute estime.

     Je revois ce gros Achigan qui, dans sa course effrénée, en oublie la prudence et nous frôle dans sa fuite désespérée vers le salut. Notre ami pêcheur libère l'animal de l'hameçon meurtrier habilement camouflé sous le montage d'une «Stone Fly», et retourne ce splendide spécimen aux flots de la rivière Bécancour.

     C'était en début de saison, lors d'une sortie sur le lac Flamand que nous avons été témoins de la fierté que peut ressentir un pêcheur à la mouche, en capturant l'espèce convoitée au moyen d'une artificielle montée de ses propres mains. Les Dorés fracassaient littéralement la «Mickey Finn» de mon maître, sous l'oeil inquiet de son copain Raymond, qui, lui, faisait chou blanc. D'ailleurs, nous étions présents cet autre jour où Raymond, qui rongeait toujours son frein, exhala une grande joie en déposant une mouchetée de près de 4 livres sur notre cuir déjà rempli des odeurs de truites d'une beauté rare. Cette journée fut mémorable pour nos deux copains, qui ferrèrent chacun une truite mouchetée de 2 à 3 livres.

     Plus tard, au moment où tous les pêcheurs de truites flânent à la maison, notre propriétaire, lui, se dirige vers la Manie, et c'est là que nous avons connu l'effroi. Nous nous retrouvons souvent près de grosses mâchoires garnies de dents acérées, toujours prêtes à nous lacérer le cuir. C'est que nous en avons vu des Brochets ces jours-là! Avec quel bonheur ce pêcheur lance ses grosses artificielles au-dessus de Brochets qui, presque toujours, suivent en surface et font jaillir de grandes gerbes d'eau. Nous n'avons pas très bien compris pourquoi notre propriétaire était si heureux d'avoir mal aux épaules, ces soirs-là.

     L'autre jour, notre patron nous a entraînées jusqu'à la région du lac Bostonnais, à un certain moment, nous l'avons bien entendu dire: «Ici, John, c'est des grosses truites mouchetées, attache une «Juneau Smelt», tu vas voir». Et bientôt, John capture huit mouchetées de 18 à 20 pouces et notre maître, les deux mains sur les rames, répète sans cesse: «Si tu attrapes une grosse mouchetée avec une mouche de ma création, c'est comme si c'était moi qui la capturais cette truite. Si tu changes de mouche, tu prends les rames et je pêche à mon tour». En des jours comme celui-là, nous sommes ravies de chausser les pieds d'un pêcheur à la mouche.

     Il y a bien eu ce jour triste où notre maître, inquiet, se grattait la tête devant les brunes de la St-François, qui boudaient ses mouches n° 14 et n° 16. Il croyait bien qu'il lui pousserait de grandes oreilles, tant il était têtu et obstiné. Mais par bonheur, Raymond captura une brune de 18 pouces avec une Caddis n° 16 et ce fut le départ de nouvelles aventures. C'est que nous avons vu des brunes et des Arc-en-ciel pendant tout ce temps passé immergées dans les eaux de la St-François.

     Nous avons aussi été témoins de la capture de magnifiques Brunes brillamment colorées, qui ne dédaignaient pas la «Casual Dress» bien fournie. Ces truites nouvellement installées dans la St-Maurice déploient une énergie peu commune, en éveillant l'artificielle sur des cirés d'eau très rapides.

     Il y a bien eu des dizaines d'autres aventures, remplies de joie et d'émotion, connues seulement des pêcheurs à la mouche, mais notre maître abandonne maintenant son atelier de montage. Il se dirige vers nous et dans son regard, nous reconnaissons le sourire de la béatitude, comme si, entre nous, il était possible qu'il y ait un point commun.

     Mais qu'est-ce que notre propriétaire a attaché ce soir? Des mouches à Musky sur le coin de son établi, non, pas encore! La pêche à la mouche, nous qui croyions qu'en septembre, c'était fini.

     Des bottes heureuses qui ne changeraient pas de proprio pour tout l'or au monde.

références

» Texte Jacques Juneau
» Atossement Votre Été 1987.

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