Saumons sur Petites Mouches et Petits Avançons

     Le soleil brillait et l'eau était d'une limpidité telle qu'on pouvait distinguer clairement, dans la «queue» de la fosse, quelques saumons qui faisaient ombrage dans le fond de la rivière. On avait l'impression que ces belles bêtes argentées étaient suspendues dans cinq ou six pouces d'eau. C'était à s'y méprendre puisqu'en réalité, la profondeur était de trois à quatre pieds. Ça se passe ainsi chaque été, en Gaspésie, dans la « fosse Gros Remous » de la Petite Cascapédia, une magnifique rivière à saumon dont la transparence et la fraîcheur sont assez exceptionnelles.

Saumons sur Petites Mouches et Petits Avançons
     Autrefois, cette rivière était ouverte du 15 juin au 30 juillet seulement, dans le but de favoriser l'augmentation de sa population de saumons. Depuis 1991, la pêche en août est maintenant permise avec remise à l'eau des gros saumons et droit de conserver les petits saumons (moins de 63 centimètres) appelés castillons ou « grilses ».

     Un ami de longue date qui fréquentait cette rivière depuis plusieurs années m'a permis de m'amouracher de ce coin de pays. Excellent pêcheur, mordu et passionné de la pêche au saumon, il séjournait une bonne partie du mois de juin dans les rivières de la région de Gaspé et s'installait, pendant presque tout le mois de juillet, dans un des chalets du Camp Melançon situé dans un paysage calme et naturel en bordure de la Petite Cascapédia.

     C'est donc dire que ce fut un excellent guide qui m'a fait découvrir, il y a de cela plus de huit ans, non seulement un autre endroit de pêche au saumon, mais aussi et surtout, un site enchanteur où règnent le calme et la sérénité sur une des plus claires rivières du Québec. En fait, ça vaut toujours la peine de quitter Rivière-du-Loup, faire environ quatre heures et demie de route pour arriver à quelque vingt kilomètres au nord de New Richmond, dans ce paradis où on retrouve l'hospitalité et l'accueil chaleureux des villageois de Saint-Edgar et des gens de la Zec qui administre cette rivière.

Petite mouche, petit avançon

      Au cours de la saison 1991, un pêcheur américain d'expérience, un ex-habitué de la Matapédia m'avait vraiment impressionné par son habileté à moucher, lui qui ne, ne jurait que par la remise à l'eau et la pêche avec de très petites mouches attachées au bout de petits avançons de 5,6, ou 8 livres.

     Avant son départ pour les USA, déjeunant avec lui au Café du Vieux Pont à Saint-Edgar, il me fit tout un exposé sur la remise à l'eau. Malgré mes réticences face à ses théories, gestes à l'appui, il réussit à me convaincre que je me devais d'expérimenter la pêche au saumon avec un très petit avançon et une petite mouche. En ferrant avec délicatesse, j'aurais, avant de ramener le saumon au bord, de fortes sensations. Je lui promis que, dès que l'occasion se présenterait, je tenterais ma chance.

     La Petite Cascapédia représentait l'endroit idéal pour l'expérience, puisqu’en août, c’était la saison de la gradation des saumons adultes. Je me dis alors que pêcher de cette façon présentait deux avantages: d'abord si je perdais le saumon tôt dans la lutte, je lui donnerais l'avantage et c'était alors le but de cette rivière, permettre au gros saumon de se reproduire. Deuxième avantage de pêcher avec une petite mouche et un petit avançon: si un castillon, un « grilse », prenait la mouche, l'action serait plaisante et aurait à peu près la même valeur qu'avec un gros saumon au bout d'un gros avançon. Quelque soit la grosseur du salmonidé, je me devais donc d'être « poli » et délicat...

Première expérience

     Une semaine plus tard, ayant obtenu une réservation 48 heures à l'avance, je me présentai avec beaucoup d'espoir au bureau d'administration de la zec situé au camp Melançon, entre New Richmond et Saint-Edgar. Le lendemain matin, je me rendis à la fosse n° 20, identifiée « fosse à Dan ».

     Ayant monté un avançon qui se terminait par un monofilament de 5 livres auquel était attachée une petite mouillée n° 12, je m'installai en haut de la fosse, dans le courant. Le défi était de taille et la situation énervante... Il était près de six heures du matin lorsque, après avoir fait quelques lancers, un saumon vint briser la surface à l'endroit où était passé la mouche. Je ressentis un dur coup sur ma canne et instinctivement, ayant l'habitude de pêcher avec du gros bas de ligne et une mouche plus grosse, je ferrai d'un mouvement brusque. Tout revint derrière moi. L'avançon s'était rompu et le saumon était parti avec la mouche... Cette situation se reproduisit à trois autres reprises, sans succès. Je m'en voulais terriblement de ne pas avoir plus de contrôle sur cette réaction de ferrage brusque, développée au cours des années.

     Le poisson ne bougeant plus, changer de place et tenter ma chance avec une petite mouche sèche, semblait une bonne stratégie.

Saumon 15 livres, monofilament 5 livres, mouche n° 14

Saumons sur Petites Mouches et Petits Avançons
     Péchant cette fois-ci à l'intérieur du coude que formait la rivière dans cette fosse, dans l'eau jusqu'aux cuisses, je lançai une Royal Coachman sèche n° 14. Marsouinant tout près de la mouche, sans toutefois y toucher, un saumon venait de m'indiquer son gîte et son intention de ne pas tolérer cette artificielle dans son territoire. Quelques lancers plus tard... « Plouf ! » un autre bouillon... Cette fois-ci, tranquillement de la main droite, je relevai ma canne à la verticale et tirant lentement sur la ligne avec l'autre main, je sentis alors la tension.

     « Ça y est! » me dis je... Mon rythme cardiaque augmenta... ma respiration s'accentua. Le saumon était piqué et l'action commençait. Tentant de reprendre sa liberté Salmo salar traversa de l'autre côté du courant à vive allure. Il fallait alors être prudent et lui donner du «jeu» pour éviter qu'il casse tout. Avec peu de tension sur le frein du moulinet, il pouvait se déplacer plus facilement et sur des distances plus longues. Quel plaisir! Le poisson se promenait dans la fosse autant sur la largeur que sur la longueur et le moulinet faisait entendre sa symphonie beaucoup plus souvent et longtemps qu'habituellement. A un certain moment, le salmonidé décida de sauter. Tout en baissant la canne, pour donner du mou et ainsi l'empêcher de tout casser, je pus apercevoir un beau spécimen que j'estimai à plus de 15 livres. Ce fut son seul saut. Au bout d'une dizaine de minutes, je réussis à l'amener dans l'eau calme et peu profonde près de la fosse située plus bas (ruisseau du Moulin « Millbrook »).

     Un agent de la conservation alors en congé, y péchait. Il avait arrêté ses lancers et s'était approché pour assister à l'action. Il fut surpris, comme moi, de constater que ce beau saumon retenu par un simple avançon de 5 livres pouvait être très bien contrôlé si on y allait avec délicatesse et constance, sans brusquerie. La remise à l'eau fut agréable puisque le saumon, se laissant décrocher, me permit de caresser doucement sa livrée argentée avant de le voir partir vers le courant.

     Cette expérience se produisit à quelques reprises et la pêche avec cette méthode fut la plus époustouflante au cours de l'été 1992.

Saumon de plus de 30 livres, avançon de 8 livres

     L'action s'est passée dans la même fosse en août 1992, en compagnie d'un groupe de pêcheurs. Vers 19 heures, ce soir-là, nous étions quatre, sur la berge, entre deux fosses, à décider ce que nous allions faire pour terminer la journée; Jacques Gérome un saumonier de la région de Montréal qui connaissait la « Petite » depuis fort longtemps, s'installa avec son invitée dans la fosse « Ruisseau du Moulin ». Gilbert Gagné de Saint-Edgar, un habitué de longue date qui guidait ce jour-là, était demeuré assis à la table à pique-nique à quelques pieds de la rivière.

     Je décidai d'aller tenter ma chance encore une fois dans le coude de la « fosse à Dan ». Il faut dire qu'à cette période de l'été 1992, le niveau de l'eau de la rivière avait monté de sorte que dans certaines fosses, Salmo salar se tenait soit plus au bord, soit plus bas, là où on ne le retrouvait pas normalement. C'était ma dernière fin de semaine de pêche sur la rivière et j'espérais terminer ma saison avec quelques palpitations. Du haut de la route située de l'autre côté, j'avais localisé en milieu d'après-midi, quelques beaux saumons.

     L'artificielle utilisée était une sèche n° 8, une création personnelle avec la moitié arrière du corps d'une Sterne Fly, et l'autre section composée de matériel qui permettait à la mouche de flotter. Cette mouche reliée à un bas de ligne de 8 livres avait à peine commencé à dériver à la surface de l'eau que je fus surpris par un violent « splash ». A première vue, il devait s'agir d'un saumon de belle taille qui était venu examiner mon offrande. Je me concentrai et tentai ma chance de nouveau. Étant dans l'eau jusqu'aux hanches, l'endroit était difficile à localiser à travers les remous, le mouvement de l'eau et les reflets de lumière. Je savais que c'était à l'intérieur du coude de la rivière, entre moi et le courant. .. mais où exactement ? Après plusieurs lancers sans succès, je changeai de mouche à quelques reprises mais... ce fut en vain.

     Avec la brunante qui s'accentuait, je résolus de tenter Salmo une dernière fois avec le modèle de mouche du départ, mais un peu plus grosse. « VLAN ! » un éclaboussement apparut à la surface de l'eau accompagné d'un bruit tel que Gilbert Gagné, installé à plus de 150 pieds de là, fut surpris. J'eus à peine le temps de relever la canne que déjà, le saumon piqué avait descendu le courant, déroulant une bonne partie de la soie.

Un puissant bolide

Saumons sur Petites Mouches et Petits Avançons
     Je savais que ce poisson devait peser plus de vingt livres. Quelques secondes plus tard, il sauta hors de l'eau exhibant toute sa splendeur et surtout son énormité. Ce fut là une image dont je vais me souvenir fort longtemps: comme une fusée, il surgit au-dessus de la surface de l'eau, avec la mouche accrochée sur le bord de sa gueule légèrement ouverte. Après s'être tordu dans les airs, il tomba lourdement dans l'eau. On aurait juré, par le bruit qui se fit entendre, qu'on venait de lancer une « tank » à eau chaude dans la rivière.

     Les trois autres partenaires qui étaient restés plus loin, se hâtèrent de me rejoindre. J'entendis leur voix :

     — « Y vient d'en attraper un terrible de gros ! »

     — « As-tu entendu le bruit ? ! »

     — « C'est sûrement un saumon de plus de 30 livres! »

     J'ai cru un instant être victime de quelque hallucination... La pêche avait atteint son paroxysme!
Le salmonidé s'immobilisa après avoir effectué un sprint sur une centaine de pieds. Une fois sorti de l'eau, il a d'abord fallu, après ce spectacle et ces estimations, prendre sur moi... et me placer plus bas que lui, espérant qu'avec la tension qui venait de l'arrière, il remonterait le courant. Installé au centre de la rivière, Salar était si bien ancré qu'à quelques reprises j'eus l'impression que mon monofilament était accroché à une roche où déjà des pêcheurs avaient perdu leur capture. La situation changea rite quand il décida de passer à l'action. Ce bolide descendit à vive allure jusqu'en bas de la deuxième fosse à quelque 800 pieds de l'endroit de sa capture. Je n'eus d'autres choix que de suivre sur la berge et me préoccuper de freiner les actions de cette imposante torpille en contrôlant la tension à l'aide de la paume de ma main droite appuyée sur la bobine extérieure du moulinet. L'euphorie me gagnait de plus en plus...

     Super ! Tout un combat! Comme on me l'avait déjà mentionné, avec un gros saumon, quelle résistance et quelle puissance on peut sentir au bout de la ligne! C'était époustouflant !

     Il devait être approximativement 20 heures et la noirceur arrivait. Malgré mes tentatives et les conseils de Gilbert Gagné, Jacques Gérome et sa compagne, il était impossible de pouvoir toucher, ou diriger ce monstre dans un endroit peu profond, pour lui mettre la main dessus. Pas question d'utiliser l'épuisette étant donné qu'il fallait faire une remise à l'eau. Chaque fois que ce puissant mastodonte semblait obéir à mes tractions et qu'il s'approchait dans une partie moins profonde, on avait l'impression que, dès qu'il sentait son ventre toucher le fond, il résistait. Un simple coup de tête de sa part, la courbe de la canne augmentait terriblement et je devais lui donner du mou et le laisser s'éloigner.

     J'étais dans une impasse qui ne pouvait durer: je voulais toucher à ce magnifique poisson et je savais aussi qu'il avait encore beaucoup d'énergie qu'il n'était pas prêt et que... l'heure avançait. Je décidai de le forcer. En gardant une tension stable et en reculant lentement sur la berge, je réussis à l'amener assez proche pour que tout le monde puisse vérifier clairement sa taille, mais pas suffisamment pour y toucher. L'estimation des trois partenaires fut qu'il s'agissait d'un vrai poids lourd... probablement dans les 35 livres?! Je sentais que c'était puissant et lourd, c'est ce qui comptait ! Avec un monofilament de 8 livres et ce «bœuf» accroché au bout, arriva ce que nous avions prévu. Le nœud reliant la mouche à l'avançon se rompit et le gros Salmo reprit sa liberté.

     Aucun remords ! J'éprouvais une très grande satisfaction d'avoir eu comme complice de mon plaisir, un saumon si combatif, doué d'une puissance aussi foudroyante. Une petite déception cependant: n'avoir pu caresser un saumon qu'on rencontre si peu souvent à cette taille...

     La joie de vivre ces moments intenses se poursuivit au Café du Vieux Pont, avec le groupe et quelques gens du village, autour d'une table et d'un bon repas. Les anecdotes se succédèrent et, tout en essayant de trouver ce qu'il aurait fallu faire pour entrer en contact plus étroit avec cette belle bête, nous revivions ensemble les moments de grandes exaltations qui étaient déjà des souvenirs.

     Vivre de telles aventures est inoubliable; je souhaite à tout saumonier d'avoir l'occasion de vibrer avec un gros saumon sur une petite mouche et un petit avançon.

Réflexion

     Cette façon de pêcher m'a apporté quelques éléments de réflexion sur les actions qu'on devrait poser pour avantager le saumonier, au lieu de le pénaliser et, le culpabiliser ou d'abuser de lui.

     De toute l'histoire de la pêche sportive, le pêcheur de saumon a presque toujours été le dernier considéré et le premier à payer la «note». Il faudrait maintenant qu'on arrête de légiférer constamment sur le dos du pêcheur sportif, prétendant protéger la ressource-saumon. Pourquoi pas, envisager de privilégier de nouvelles orientations et poser les gestes suivants :

      • poursuivre la politique de pêche avec remise à l'eau des gros saumons seulement dans les rivières où on s'applique à augmenter le stock de saumons. Ailleurs: gradation sur une base volontaire;

     • sur des rivières comme la Petite Cascapédia, afin de favoriser la restauration, établir une limite de captures de saumons adultes et, lorsque celle-ci est atteinte, appliquer une politique de graciation;

     • ouvrir la pêche au saumon sur la majorité des rivières jusqu'en fin septembre avec graciation des gros saumons, et ce, à partir du 1er septembre;

     • actuellement, sur rivières en restauration, nous autorisons que la pêche aux castillons d'où l'obligation de remettre à l'eau tous les grands saumons sans limite de prise, celles-ci étant considérées comme accidentelles. Ne serait-il pas opportun de revoir cette réglementation?

     • permettre de garder un plus grand nombre de castillons dont la chair est si bonne et dont la participation à la reproduction semble très faible.

     En agissant ainsi, on avantage l'aspect économique de certaines régions et on augmente la saison et le plaisir du saumonier tout en favorisant le développement de la ressource-saumon. Voilà, avec la méthode « saumons sur petite mouche et petit avançon », un plus... et pour le pêcheur, et pour les régions, et pour le saumon !

référence

» Texte et photos par Jacques Émond
» Salmo Salar #35, Été 1994.
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