Truites et Nymphes de Rivières

     Quand la truite ignore vos offrandes de surface, vous avez tout avantage à varier le menu en lui présentant une nymphe artificielle.

Truites et Nymphes de Rivières
     Lorsque mon frère et moi nous engageons dans l'étroit sentier menant à la rivière Chaudière, les premières lueurs du jour envahissent l'est du ciel. Toute la nuit, les gros nuages ont provoqué des ondées sur la région. Un peu avant l'aurore, le vent et les averses nous ont quittés, créant un silence impressionnant que seul le bruit des gouttes d'eau s'échappant des arbres pour percuter les feuilles ou le sol vient briser.

     La rivière se présente enfin à nous, recouverte d'une nappe de brouillard. Avant d'assembler notre équipement, nous scrutons attentivement la surface de l'eau pour localiser des ronds de gobage. Rien. André opte alors pour une classique Muddler qu'il péchera en surface à l'aide de sa soie flottante. Désirant aller en profondeur, je choisis une soie à bout calant. À mon avançon de 6 pieds, j'attache une grosse nymphe, imitation d'une plécoptère, que mon ami Michel Lavallée a baptisée «Perle de la Chaudière».

     Mon premier lancer porte la nymphe artificielle à la tête du rapide, en amont de ma position. Pêcher à la nymphe à contre-courant est une technique que j'aime particulièrement. L'artificielle, portée par le courant, simule la dérive naturelle d'une larve délogée de son repaire.

     Je fixe attentivement le point où ma ligne pénètre dans l'eau tout en reportant en amont, à l'aide de ma canne de 10 1/2 pieds, la portion de la soie tirée par le courant et qui risquerait de briser l'effet naturel de la dérive de l'insecte artificiel. Soudain, ma ligne semble remonter le courant. 

     Rapidement je soulève ma canne. Je perçois aussitôt la réplique de la truite. Elle donne de violents coups de tête, mais voyant qu'elle ne peut se débarrasser de l'objet qui la retient, la truite gagne le bas de la fosse en utilisant la force du courant. Au bout de quelques minutes sa résistance se fait moins vive et je l'amène alors lentement à l'épuisette. C'est une belle arc-en-ciel de 16 pouces. En fin de matinée, André et moi procédons à l'examen de son estomac. Son contenu nous révèle que la truite s'était nourrie de larves toute la nuit.

Origine

     Dans son volume «Nymph Fishing for Chalk Stream» (1939) Edward McKenzie Skues écrit qu'il refusait de croire à l'efficacité exclusive de la mouche sèche que Frédéric Halford et ses tenants promouvaient. Skues basait ses avancés sur plusieurs centaines d'heures d'observation du comportement de la truite alors qu'il péchait les rivières de son Angleterre natale. L'examen des contenus stomacaux de ses captures venait ensuite confirmer ses constatations. Par son travail de développement de la pêche à la nymphe, G.E.M. Skues a révolutionné le monde de la pêche à la mouche. Il est juste que, dans le «milieu», on le considère comme «le père de la pêche à la nymphe».

     Cependant, alors que Skues traçait la voie d'une nouvelle technique, les américains se chargeaient de la paver de plusieurs dizaines de publications sur le sujet. Ils ont multiplié les recherches sur l'entomologie, les techniques de lancer, les techniques de pêche et le montage des artificielles, faisant avancer l'art de la pêche à la nymphe d'un grand pas.

Pourquoi pêcher à la nymphe?

     Chaque rivière contient des millions d'insectes aquatiques au stade nymphal (ou larvaire). Pour la truite, cela signifie de la nourriture en abondance. Et la truite sait bien en profiter car des études scientifiques ont prouvé que son menu est constitué de nymphes dans des proportions variant de 80% à 90%.

     Les nymphes vivent au fond des rivières, agrippées aux roches ou à d'autres débris immergés, enfouies dans la boue ou le sable ou accrochées à la végétation aquatique. Selon le genre rencontré, certaines larves préfèrent des eaux rapides et turbulentes, tandis que les courants semi-rapides et lents constituent l'habitat des autres. Les nymphes se présentent sous des formes et des couleurs variées. Par exemple, les nymphes habitant les secteurs à eaux rapides ont un corps large et de longues pattes afin de pouvoir coller aux roches en dépit du fort courant. D'autres, comme les larves de phryganes, ont la forme de petits vers.

     Le pêcheur qui veut imiter des nymphes vivant dans un cours d'eau, doit tout d'abord examiner quelques roches meublant le fond de la rivière. S'il monte ses propres mouches, il place quelques spécimens recueillis dans une fiole contenant une solution d'eau et d'alcool méthylique à part égale ainsi que quelques gouttes de glycérine. Il disposera donc de modèles vrais sur lesquels il pourra copier ses artificielles. Un petit filet d'aquarium est très utile aussi pour recueillir des nymphes dérivant au gré du courant.

     Comme la majorité des nymphes vivent cachées, la truite doit profiter des occasions où elles quittent leur repaire pour pouvoir en gober. Ces occasions sont parfois de la volonté des nymphes qui obéissent alors à des lois naturelles; en d'autres temps, elles subissent l'effet de phénomènes extérieurs.

À l'eau haute...

     Une crue des eaux bouleverse l'environnement d'une rivière. Les rives sont érodées par l'eau rapide, de débris de toutes sortes charriés et de roches déplacées. Plusieurs centaines de larves incapables de résister, sont entraînées par le courant. Les truites opportunistes se placent le long des berges où la configuration révèle des petites baies où l'eau est moins rapide. Elles profitent aussi des roches qui ralentissent la vitesse du courant, et des longs cirés des fosses. Lorsqu'une nymphe atteint ces secteurs moins agités, elle tente de regagner le fond. Fournissant difficilement un effort constant, elle se contorsionne vivement, prend une pause, puis recommence. C'est une proie facile pour la truite.

     Dans ces conditions, le pêcheur doit utiliser une soie calante ou à bout calant, un avançon de 6 pieds et une nymphe plombée. Pour imiter le déplacement de la nymphe, le pêcheur exécute un lancer vers l'aval, de travers au courant, laisse dériver le tout, et quand sa ligne atteint une zone calme, il ramène lentement en agitant par intermittence le scion de sa canne.

     Le «moucheur» peut aussi choisir de pêcher à contre-courant. Cette méthode permet d'atteindre plus facilement le fond où sont habituellement cachées les grosses truites. La difficulté de cette méthode réside dans le fait que la morsure de la truite est difficilement perceptible. Pour faciliter la chose, le pêcheur récupère le surplus de ligne que le courant pousse vers lui, afin de garder un contact direct avec l'artificielle. Lorsque la truite saisit la mouche, la ligne est stoppée dans sa descente ce qui donne l'illusion qu'elle remonte le courant.

     Parfois il sera difficile d'atteindre le fond malgré l'utilisation d'une soie calante, d'un avançon court et d'une mouche plombée. La solution est d'enrouler autour d'une partie de l'avançon une section de fil plombé, utilisé dans la fabrication des mouches artificielles. Des petits plombs ronds peuvent aussi être utilisés, mais ils représentent un poids important à un point précis sur l'avançon, rendant le lancer désagréable.

À l'eau basse...

Mouche de mai
     Plusieurs possibilités s'offrent au «moucheur». Au cours des périodes où la truite est inactive, du moins en surface, le pêcheur explorera les fosses et les cuvettes, en utilisant une soie flottante ou à bout calant. Les mêmes techniques décrites précédemment, selon que le pêcheur descende ou remonte le courant, sont pratiqués.

     À certaines périodes, les nymphes éprouvent le besoin de sortir de leur cachette. Comme leur processus d'évolution a prévu qu'un jour elles se transformeront en insectes ailés, elles sortiront à découvert pour se métamorphoser. Cet événement est appelé éclosion.

     Les truites profitent à plein de cette abondance de nourriture facilement accessible. Les petites truites excitées parcourent la fosse en tout sens en bouffant les larves une après l'autre. Les grosses truites, plus expérimentées et plus calmes, se placent à un point stratégique dans la fosse et attendent que le courant leur amène des nymphes à portée. C'est pourquoi au cours d'une éclosion, la pêche à la nymphe peut être plus productive que la pêche à la sèche.

     Il y a quelques années, Doug Swisher et Cari Richards, auteurs américains, ont constaté que durant une éclosion les truites se nourrissaient non seulement d'insectes adultes et de nymphes, mais aussi d'adultes morts-nés (stillborn) n'ayant pas réussi à quitter la carapace nymphale. Ils ont ainsi développé de nouveaux modèles de mouches dont ils font la description dans leur livre «Fly Fishing Strategy ».

     Les migrations de larves attirent aussi l'attention de la truite. Elles se produisent à l'intérieur d'une fosse et aussi d'un point à un autre de la rivière. Cette activité se remarque souvent avant les éclosions, mais aussi en d'autres occasions particulièrement le soir et le matin. Par exemple, les entomologistes ont observé des migrations en masse de phryganes, surtout celles vivant dans un fourreau, et l'importance que les truites y attachent. J'ai moi-même eu l'occasion d'observer ce phénomène sur une petite rivière, au cours d'une chasse à l'orignal en septembre. La surface de l'eau était littéralement couverte de fourreaux de bois contenant des larves de phryganes.

LES IMITATIONS

     Pendant une migration de larves ou une éclosion, les nymphes artificielles utilisées sont fabriquées de matériel permettant de les pêcher en surface ou entre deux eaux. L'emploi d'une soie flottante s'impose et la longueur de l'avançon varie de 9 à 12 pieds. Au cours de ces périodes, les truites deviennent très sélectives. Le choix de l'artificielle se fait en fonction des critères suivants: la grosseur, la couleur et la forme.

     Je me souviens au cours de l'été dernier, d'avoir eu affaire à un groupe de truites qui se nourrissaient rageusement de nymphes en pleine activité. Tout le contenu de ma boîte y a passé sans qu'elles se montrent intéressées par mes offrandes. Voulant en avoir le coeur net, je me suis placé à la fin de la fosse et j'ai enfoncé dans l'eau un petit filet d'aquarium. En le retirant, j'ai remarqué une dizaine de nymphes minuscules que seule une imitation de grosseur # 20 ou # 22 aurait copié. L'artificielle la plus petite que j'avais utilisée était une # 16. Je venais de trouver la cause de mon échec. Cependant, une nymphe artificielle remplissant les trois critères mentionnés précédemment est inefficace si le «moucheur» ne l'active pas. Agiter le scion irrégulièrement ou varier la vitesse de récupération constituent les bonnes techniques pour déjouer la vigilance de dame truite.

Références

» Texte & Photos: Gérard Bilodeau (Septembre 1982).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.
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