Un Débutant sur la Rivière Matane

Une Longue mais Mémorable Journée

     Le cadran sonne et indique 3h45. Il fait encore bien noir à l'extérieur. Je prends en vitesse un bol de céréales et un café. Le départ pour ma première expérience de pêche au saumon a été fixé à 4h30. En compagnie de mon guide et professeur Michel Asselin et d'un troisième pêcheur, Jean Miville de Rimouski, nous longeons déjà la rivière Matane sous les premières lueurs du jour.

     Né et élevé à Matane, je me sentais un peu coupable de n'avoir jamais profité de ce joyau qu'est la rivière Matane. Un premier arrêt à la fosse du Ruisseau-Gagnon, près de Saint-René, inquiète un peu Michel. Il a beaucoup plu la veille et la rivière est laiteuse en plus d'être très haute. Je dois apprendre à moucher et à ma grande surprise je réussis à projeter ma mouche de type «mouillée» après quelques essais. Je le fais mal mais je suis encouragé par mon professeur.

     En remontant la rivière, l'eau devient plus limpide. Un arrêt à la nouvelle barrière de rétention sur la Petite rivière Matane, nous fait savoir pourquoi. Ce t affluent de la Matane est gonflé par la pluie et charrie beaucoup de sédiments. On a peine à voir les deux saumons qui sont dans le poste de comptage.

Levée d'un saumon

     La fosse « La Falaise » semble prometteuse. De plus, Michel la connaît bien et y a capturé plusieurs saumons. Jean Miville a attrapé la piqûre pour la pêche au saumon dans la Matane l'an dernier. Il a eu la chance très rare d'en capturer un lors de sa toute première sortie sur la rivière. Après quelques lancers, il lève un saumon sous nos yeux mais le poisson ne s'est pas accroché à l'hameçon. Michel le taquine un peu.

     Je casse ma troisième mouche sur les roches à l'arrière en lançant maladroitement ma ligne. Un peu embarrassé, je demande à mon guide un nouveau leurre. Sans dire un mot, il m'en installe un nouveau de couleur différente. Nous changeons d'endroit en espérant plus d'action. Il y a beaucoup d'eau dans la fosse du « Grand Tamagodi ». Le courant me déséquilibre et le limon rend les roches très glissantes. Un saumon saute devant nous puis plus rien.

     Pêcher dans la réserve faunique de Matane constitue une expérience différente. Il n'y a plus d'habitation autour et la route est en retrait de la rivière. On sent la sauvagerie des lieux. Un rat musqué traverse lentement. Des pluviers survolent constamment la rivière. La beauté des montagnes et de la forêt environnante me font oublier que pas un seul saumon n'a mordu à ma ligne en douze heures. Après la « Castor » où paraît-il un pêcheur a pris un monstre de 36 livres la veille, nous allons dans la fosse « Gaudreau ».

     Devant une haute falaise de gravier et de glaise, je lance ma mouche sans trop de conviction. Tout à coup, un pêcheur ferre un saumon et tout le monde se précipite pour assister à la bataille. Elle sera courte. Le saumon est un gril d'environ quatre livres et Jean-Guy Langlois est un pêcheur expérimenté. Deux touristes arrivent et demandent des conseils à Michel qui s'empresse de poursuivre sa mission pédagogique. M. Langlois fait la même chose avec un jeune garçon.

La fosse la plus belle

     Il commence à se faire tard. Heureusement, nous avons gardé le plus beau pour la fin. Pas besoin de pêcher dans la fosse du « Cap Seize ». Juste l'admirer est suffisant. Je m'assieds sur un rocher et j'observe l'élégance des pêcheurs à la mouche. Le soleil frappe sur les soies qui décrivent un arc parfait dans les airs avant de se déposer délicatement dans la rivière. On croirait assister à une scène tirée du film de Robert Redford: «La rivière du 6e jour». Le spectacle est magique. Ma journée est complète. Roger Desjardins possède une longue expérience de la pêche au saumon façonnée par des dizaines d'années de pratique. Plus tôt dans la journée, il nous a conseillé la fosse « Gagnon » pour la fin de journée. Gaston Roy, un monteur de mouche émérite, nous dit la même chose un peu plus tard. Il est presque 20 heures et nous tentons un dernier coup. M. Desjardins pêche seul dans le pied de la fosse lorsque nous arrivons à la « Gagnon ». Michel et moi nous installons en amont dans le rapide. Jean se place au milieu de la fosse.

     Nous bavardons quand Michel pousse un cri: « J'en ai un! ». Je me retire tant bien que mal de la rivière pour ne pas nuire à la capture. Je pense à récupérer l'appareil photo. Puis plus rien. Le saumon s'est décroché. Michel ne cache pas sa déception. Il l'a bien ferré mais le poisson a pu se libérer. Cette fois, le saumon a eu le meilleur.

     La nuit est tombée. Nous avons péché du premier au dernier rayon de soleil. Nous revenons bredouilles mais je suis heureux. J'ai découvert que la pêche au saumon n'est qu'un prétexte pour aller se détendre en plein air et avoir la «sainte paix», les deux pieds dans la rivière. La capture d'un saumon n'est qu'un boni. J'y retournerai.

référence

» Par Marc Lemieux
» Salmo Salar #33, Hiver, Décembre 1993.
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