Cherchez l’Ombre

     Raymond Pelletier le légendaire guide de la Sainte-Anne connaît parfaitement cette superbe rivière de la Gaspésie. Chaque fosse lui est connue pour être bonne à l'eau haute, moyenne ou basse. Il sait exactement où se trouve le saumon mordeur dans chacune d'elles et la façon dont il faut présenter la mouche selon les différentes conditions d'eau.

     Mais si mes souvenirs sont bons, Raymond se dirige en premier vers les bonnes fosses dont il sait qu'elles sont à l'ombre. Sa connaissance de la rivière lui indique quelles fosses du secteur amont restent à l'ombre tard le matin ou sont envahies par l'obscurité tôt l'après-midi. Vous aviez, à cette époque, dans les années 1980, de grandes chances de voir Raymond et son pêcheur à l'œuvre avant vous dans les endroits où l'ombre s'était glissée.

     Ce très grand guide de la Gaspésie savait, avec le nombre d'années d'expérience qu'il avait accumulées, que Salmo salar voyait mieux la mouche dans l'ombre ou l'obscurité qu'en pleine lumière. Cette caractéristique de la perception visuelle du saumon atlantique est particulièrement bien expliquée dans le livre Saumon atlantique de Gilles Aubert, André-A. Bellemare et Gérard Bilodeau.

Caché dans l'obscurité

     Ce fait m'a été démontré par Salmo à plusieurs reprises. Ainsi, il y a plusieurs années sur la Sainte-Anne, dans la fosse «cachée», il m'en fit une démonstration claire. C'était la dernière fosse visitée d'un long avant-midi chaud. J'étais fatigué et me dis que je ne recommencerais pas à pêcher avant 17h00. Le soleil est au zénith et aucun nuage. Je rentre au chalet ou j'essaie cette dernière fosse?

     Je commence en amont avec une « margot n°6 », lèvent de face est modéré, ce qui m'empêche d'allonger à mon goût. Rendu au milieu de la «cachée», un saumon bouge, me dévoilant sa présence. Malheureusement, ma mouche l'a déjà dépassé depuis 5 à 6 lancés. Je finis consciencieusement de balayer la fosse et remonte en amont.
Je refais la fosse avec une « silver rat n° 6 » et fais particulièrement attention à ma présentation sachant maintenant que le saumon est là. Rien ne se passe et l'éclair argenté ne s'est pas manifesté à cette nouvelle présentation.

     Je m'assoie à l'ombre, il y fait bon. Les bottes-pantalons sont particulièrement inconfortables en plein soleil et l'ombre devient alors un refuge de fraîcheur. Je regarde l'eau émeraude qui coule à l'endroit où le saumon s'est manifesté. S'il y a un saumon, il y en a au moins deux. Ça aussi, c'est une règle qui a des exceptions, mais c'est tout de même une règle.

     Mais l'obstacle, c'est le soleil! En me faisant cette remarque, je réalise qu'il y a une zone d'ombre près de la petite falaise, de l'autre côté de la rivière, sous les grands cèdres courbés au-dessus de l'onde. Cette partie ombragée de la rivière ne me semble qu'à une dizaine de pieds de la manifestation de l'éclair.

     Une dernière fois à l'œuvre, je rallonge et m'aperçois que ces dix pieds supplémentaires sont pénibles à obtenir avec ce vent de face. Mais, au troisième lancer, la soie se dépose enfin près de l'obscurité, la mouche quitte la lumière et quelques instants plus tard, la soie se met à remonter le courant, je ferre, la bataille débute, le saumon est sorti de l'ombre.

     Quel plaisir de terminer sa pêche à midi trente après plus de six heures de prospection le long de la rivière. Il fait beau, la « vacance » de l'après-midi sera l'occasion d'accompagner les amis et probablement, assis à l'ombre je les entretiendrai des difficultés qu'apporte le soleil, question de les taquiner!
 
     Le matin ou le sou-Cette expérience, je l'ai renouvelée l'année suivante sur la fosse «Cartier» du même secteur de pêche. Arrivé vers 16h00, mon compagnon passe une toute petite mouche du mois d'août, mais rien n'y fait. Nous décidons d'attendre à l'ombre que le soleil disparaisse derrière les montagnes. Passé 17h30, l'astre est caché et Jean-Pierre représente sa petite mouche noyée, un saumon la saisit, la bataille dure plus de cinq minutes avant qu'il ne s'échappe. Le compagnon change de place et présente une sèche à la queue de la fosse. Il fait monter à quatre reprises un saumon qui se laissera leurrer à sa cinquième montée sur la mouche. La capture de Jean-Pierre clôtura la journée. Le matin dans la même fosse, avant que la lumière directe n'y vienne, j'avais terminé ma journée trop tôt.

Ne concluez pas trop vite

     Les journées de grand soleil, cherchez l'ombre; cherchez des saumons qui ont la lumière dans le dos ou attendez les nuages. Mais, une fois cela dit, il se prend régulièrement des saumons en pleine heure du midi, à la lumière, ce qui nous laisse croire que Salmo salar n'est jamais totalement ébloui par l'astre du jour.

     Vous avez sûrement des expériences similaires, écrivez-nous!

référence

» Texte et photos Bernard Beaudin
» Salmo Salar #31, Été, Juin 1993.
Page 2 sur 6