Dix-Sept ans Plus Tard

     L'extraordinaire potentiel saumonier du Québec... une richesse qui dort...» C'était le titre que j'avais donné à un article publié par le magazine Québec Chasse et Pêche n° 11, du mois d'août 1980. Qu'en est-il aujourd'hui ? Avons-nous progressé dans nos relations avec le saumon et les pêcheurs ? Avons-nous enfin trouvé les voies de l'harmonie et de la sagesse qui conduisent à la prospérité et au bonheur ?

Le contexte de l'époque

     Au moment où j'avais écrit ces lignes, toutes les énergies étaient concentrées sur le «déclubage», pendant que les populations de saumons des rivières mal gérées et mal exploitées allaient de mal en pis. Bien sûr, depuis 1975, il y avait l'Association des pêcheurs sportifs de saumon du Québec (APSSQ), dont j'étais vice-président cofondateur, formée par un groupe d'irréductibles qui voulaient changer les choses. Cela m'avait permis d'établir la coopération franco-québécoise, de lancer les projets de restauration des rivières Jacques-Cartier et des Escoumins, auxquels viendrait s'ajouter beaucoup plus tard celui de la rivière Etchemin.

     Malheureusement, L’APSSQ, de par sa position centralisée, avait beaucoup de mal à se faire accepter par les régions qui voyaient en elle une intruse qui voulait s'immiscer dans les affaires de «leurs rivières». Ayant vécu le même type de problème en France avec l'Association de protection du saumon Loire-Ailier (APS), dont j'étais également un des directeurs fondateurs en 1956, je suggérai de transformer LAPSSQ en un organisme à structure fédérative, permettant à des délégués régionaux de faire partie du conseil d'administration et de venir exprimer leurs opinions aux assemblées (c'est ainsi que l'APS de France avait éliminé ses vicissitudes avec ses régions quelques années plus tôt). Ma solution n'eut pas l'heur de plaire à tout le monde. Un an plus tard, afin de me récompenser de mes bons et bénévoles services, je fus le seul membre du conseil d'administration de LAPSSQ à ne pas être réélu.

     En tout bien tout honneur, ce chaleureux témoignage d'affection de la part de mes bons amis de l'époque n'ajouta pas le moindre pli sur la partie la plus sensible de mon anatomie. Bien au contraire, dès lors, en ma qualité d'« électron libre », je pouvais, à travers mes écrits et mes relations personnelles, distiller des idées qui allaient trouver leur chemin des deux côtés de l'Atlantique.

La suite des événements

     Avec le recul du temps, la bonne raison finit toujours par triompher de l'erreur. Ainsi, quatre ans plus tard, en 1984, avec l'avènement de la FQSA, les choses allaient radicalement changer. Ce fut la fin des querelles de clochers, puis la prise en main des rivières à saumon par les communautés locales avec, à leur tête, des gens dévoués et compétents. Je pense à mon ami Gérard Brisson sur la Sainte-Marguerite, à Victor Tremblay sur la Matapédia, à Pierre-Paul Turcotte pour la Matane, sans oublier tous les autres qui emboîtèrent le pas sans hésiter.

     Dans la même foulée, on vit le braconnage local se résorber, le moratoire sur la pêche commerciale devenir permanent, les quotas de captures se préciser, les techniques de salmoniculture, telles que le reconditionnement des géniteurs, s'affiner et devenir de plus en plus efficaces.

     Et puis, au bout de la longue route, ce fut le début visible du succès : des saumons de plus en plus gros et de plus en plus nombreux dans les rivières de Gaspésie. Seulement un début. Pour des raisons encore inconnues, les rivières de la Côte-Nord n'ont pas suivi le mouvement... Incendies de forêt? Pluies acides ? Phoques ? Régime thermique de l'océan ? Qui sait ? Peut-être un peu de tout cela réuni. La Jacques-Cartier non plus n'a pas atteint sa vitesse de croisière ; sa progression est en dents de scie : plus de 1 000 saumons une saison, moins de 500 la suivante.

     Du côté des relations internationales, l'exemple du Québec fait des émules. Grâce à la coopération franco-québécoise, un projet de salmoniculture d'une valeur de 50 millions de francs, modèle Tadoussac, est en voie de réalisation dans le Haut-Ailier (centre de la France), bon concepteur technique est nul autre que le biologiste québécois Yvan Turgeon. Après la mise en oeuvre de la restauration de la rivière Dordogne par Guy Pustelnik, et son jumelage avec la rivière Jacques-Cartier, voilà qu'un centre de reconditionnement des géniteurs a été installé à Bergerac. Le pisciculteur français Patrick Chèvre est venu à Tadoussac parfaire ses connaissances en puisant aux sources du savoir-faire québécois. Pour la première fois, un transfert technologique s'est effectué dans le sens Québec-France. Ainsi, la salmoniculture de Chanteuge sera non seulement une oeuvre de haute technologie, mais également la plus importante d'Europe. Comme le disait si bien M. Camille Solelhac, président de l'Union nationale des fédérations AAPP de France et principale cheville ouvrière du projet : «Fini l'artisanat, on passe maintenant aux choses sérieuses». Cette fructueuse coopération internationale fut renforcée par le jumelage de la FQSA avec l'Union nationale de France, rendant ainsi la défense du saumon plus globale dans l'hémisphère nord.

     Du côté des aménagements de rivières, le plan de développement économique du saumon (PDES) est devenu l'outil indispensable pour revitaliser les régions défavorisées ; on pourrait même dire : sinistrées par la crise économique.

     Or, la pêche récréative du saumon atlantique est un des très rares domaines qui peuvent encore créer des emplois.

Quelques lacunes cependant

     La perfection n'étant pas de ce monde, il arrive parfois que de fausses notes viennent troubler l'harmonie des violons. C'est le cas par exemple de ces types soi-disant pêcheurs sportifs qui, en pleine période de canicule et d'eaux basses, pèchent avec des soies plongeantes et des bas-de-lignes courts et plongeants. Un spectacle lamentable auquel j'ai assisté plusieurs fois : quatre saumons accrochés par la veste par le même individu à la fosse des fourches sur la Matapédia et, une autre fois, six en moins d'une heure sur la Matane au Grand Tomagodi qu'un de mes amis a si bien baptisé le «trou des grafigneurs». Pour la bonne renommée de la pêche au Québec, on ne peut pas tolérer ce genre de chose encore bien longtemps et l'usage de la soie plongeante devrait être banni après le 15 juillet. Personnellement, je pêche à longueur de saison avec une soie flottante et je n'ai pas la réputation c revenir bredouille.

     Enfin, il y a cette pratique à la fois discriminatoire et dissuasive qui consiste à faire payer double prix le droit d'accès aux non-résidents. Passe encore pour le permis provincial, mais le droit d'accès est un produit au même titre que n'importe quelle marchandise. Faire payer le double pour aller s'insérer dans une rotation de dix pêcheurs résidents qui achètent le même produit au simple tarif n'est certainement pas un bon moyen pour retenir les visiteurs. Il s'agit plutôt, de toute évidence, de la meilleure façon de les chasser, et de les perdre à tout jamais, pour peu qu'ils aient assisté au spectacle désolant que j'ai décrit plus haut (ce qui est déjà arrivé).

     Ajoutons que cette pratique plutôt douteuse est contraire à la charte des droits et libertés du Québec qui veut que toutes les personnes soient traitées sur un pied d'égalité, quelles que soient leurs origines et tout le reste. On voit que nous sommes loin du compte et qu'il est préférable de modifier la règle du jeu avant qu'une éventuelle victime de cette escroquerie ait la malencontreuse idée de porter l'affaire en justice. Fort heureusement, les pourvoiries ne la pratiquent pas, ce qui est tout à leur honneur.

Conclusion

     Tout compte fait, le bilan est positif. Sans la FQSA et surtout sans les efforts constants de ceux qui se sont succédés à sa direction, rien de ce qui s'est accompli n'aurait vu le jour. Est-ce à dire que la partie est gagnée et que nous pouvons désormais dormir tranquille ? Bien sûr que non, le travail n'est pas terminé, il faut donner à la FQSA plus de pouvoir financier pour poursuivre son oeuvre et, pourquoi pas, l'émission et la perception du prix des permis de pêche comme cela se fait en France ? Voilà encore un bon sujet de réflexion

     « La belle aux eaux dormantes » s'est enfin réveillée.

référence

» Par Guy-Noël Chaumont
» Salmo Salar #47, Été 1997.
Page 3 sur 11