Les Zecs et le « Néo-Clubbage »

     Bientôt trente ans se seront écoulés depuis l'opération que l'on a appelé le «déclubbage». Opération qui, à l'origine, consistait à livrer au grand public la jouissance en toute liberté des droits de chasse et de pêche sur des territoires qui, jusque-là, étaient l'apanage d'individus ou de groupes d'individus privilégiés et fortunés. On alla même jusqu'à supprimer momentanément le permis de pêche.

Les Zecs et le « Néo-Clubbage »
     Pour éviter que les lacs et les rivières demeurent sans contrôle, il fallait trouver le moyen d'assurer l'accessibilité tout en exerçant un contrôle salutaire sur l'exploitation de la faune. De là naquit le sigle ZEC (Zone d'exploitation contrôlée). Contrôlée par qui ? Par l'État, propriétaire et administrateur des biens collectifs de la nation. Louis XIV avait coutume de dire : « L'État c'est moi ». Dans notre système démocratique nous disons : «L'État c'est nous». Nous qui élisons un gouvernement et lui payons des impôts afin de lui donner les moyens de gérer le bien collectif dont fait partie tout ce qui vole, court et nage dans les limites territoriales de l'État. L'État, à son tour, délègue une partie de ses pouvoirs à certains individus ou corporations afin qu'ils administrent certains territoires fauniques en son nom et selon des règles préétablies.

Aujourd'hui, deux systèmes principaux occupent le territoire québécois :

     1) Les pourvoiries sont gérées par des individus ou des organismes, généralement à but lucratif, qui louent de l'État un territoire sous bail et paient des impôts sur leurs profits et des taxes sur les biens et services. Le pourvoyeur choisit sa clientèle, fixe librement le prix de ses services tout en respectant les règlements et quotas imposés par l'État concernant l'exploitation de la faune. Ce type d'organisation obéit aux lois du marché basées sur l'offre et la demande et recherche un maximum de profit pour ses actionnaires.

     2) Les zecs, sont des territoires dont la gestion a été confiée gratuitement par l'État à des organismes sans but lucratif. Ces groupes, formés d'administrateurs bénévoles locaux, ont pour mandat d'assurer l'exploitation du territoire public à moindre prix, pour le bien de la collectivité. Ce genre d'organisme ne paie pas d'impôt sur ses profits et sa vocation première est de faciliter l'accès aux citoyens du pays, qui eux en paient.

     Le gestionnaire de zec doit administrer son territoire sans souci de concurrence ou de profit, de la façon la plus économique possible, afin de permettre prioritairement aux gens du pays de jouir des ressources fauniques au prix le plus bas possible.

     Ainsi, nous voyons que les buts des deux systèmes de gestion sont diamétralement opposés. En raison de la vocation de son territoire et du statut d'organisme à but non lucratif de son gestionnaire, une zec ne peut, en aucun cas, bénéficier des caractéristiques administratives et réglementaires d'une pourvoirie.

Les rivières à saumon

     On se souviendra que la grande majorité des rivières à saumon québécoises étaient des clubs privés, attribués par bail à des intérêts « étrangers, pour la plupart américains qui se réservaient exclusivement l'exercice de la pêche. Ces baux d'une durée de base de 9 ans ont parfois été renouvelés sur une période aussi longue que 99 ans. Les simples citoyens, qu'ils soient québécois ou amérindiens en étaient exclus, sauf sur de rares rivières, encore libres aujourd'hui, comme la rivière Matane et la rivière Du Gouffre pour les Québécois et sur la Bersimis pour les Amérindiens. De ce fait, les clubs privés étaient perçus comme des vestiges de féodalité et le déclubbage comme une impérieuse nécessité. Tout cela à la seule fin de donner l'accessibilité à la ressource collective et patrimoniale à monsieur Tout-le-monde québécois. C'est ainsi que naquirent les zecs-saumons.

     Afin de juguler le braconnage endémique qui régnait sur les rivières, entretenu par une frustration séculaire, l'État confia l'administration de ses cours d'eau à des groupes locaux. En effet il est plus facile de gérer les choses lorsqu'on est sur place et que l'on a un sentiment d'appartenance au terroir local, ce qui, par contre, n'affecte en rien les droits et priorités sur la ressource pour les citoyens contribuables de l'ensemble du pays.

     Le cas du saumon est particulièrement significatif en tant que ressource collective et communautaire. Poisson migrateur par excellence, sa gestion et sa protection ne concernent pas seulement les rivières qu'il fréquente. Elle s'étend également aux espaces maritimes administrés par le gouvernement fédéral et ses services, financés par les taxes et les impôts payés par l'ensemble des citoyens canadiens. Cela signifie que tous les pêcheurs canadiens doivent être traités d'une façon égale, quelle que soit leur province d'origine, comme le prescrit la Charte des droits et libertés.

Les problèmes, les dérapages et leurs effets pervers

     «Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles» disait le Candide de Monsieur Voltaire. Malheureusement les meilleurs systèmes ont aussi leurs défauts et il ne faut pas compter sur la sagesse des hommes pour qu'ils s'abstiennent de les exploiter.

     La double tarification du droit d'accès pour les étrangers, favorisée par une valeur monétaire à 0,74 $ américain et à 0,61 $ euro, est une occasion en or pour enrichir certaines zecs qui tendent de plus en plus à axer leurs efforts de vente à la clientèle étrangère, au grand préjudice des pêcheurs québécois envers lesquels elles ont un devoir social à accomplir. Il a suffi d'une réglementation permissive pour que certaines d'entre elles mettent en vente des blocs complets de réservations forfaitaires à des entreprises commerciales; pratique jusque-là réservée aux pourvoiries à but lucratif.

     Le dérapage va plus loin. Les fameux tirages au sort, destinés à l'origine à donner une chance égale à tous pour accéder aux zones contingentées, sont devenus une véritable loterie digne de Loto Québec. En effet de 2 $ au départ pour un billet de participation, question de défrayer les coûts d'administration du tirage, le prix de la carte d'inscription est passé à 5 $ et même à 6 $. Le prix de l'opération étant somme toute très peu élevé, envoi et impression compris, cette pratique est devenue un mode de financement et n'a rien à voir avec l'égalité des chances puisque c'est le plus riche qui achète le plus de billets de participation au tirage, et qui, par la même occasion a le plus de chances d'être favorisé par le sort.

     Voilà donc un bien sombre tableau de la situation. Au train où vont les choses, l'accessibilité à prix modique aux rivières à saumon ne sera plus qu'un beau rêve pour les Québécois qui ont déjà commencé à les déserter. Mais n'en blâmons pas les associations gestionnaires. L'augmentation des tarifs est due, pour une bonne part, au retrait du support financier de l'État aux activités de protection des rivières à saumon.

     Le déclubbage était pourtant une importante avancée sociale et, si nous n'y portons pas attention dans les plus brefs délais, nous assisterons impuissants à l'arrivée du néo-clubbage par le fric. Personnellement je reste persuadé qu'il existe un moyen d'équilibrer le budget d'opération des zecs sans avoir recours à des moyens extrêmes qui mécontentent tout le monde.

Le devoir de l'État

     La solution que je propose est la suivante. Puisque les retombées économiques issues de la fréquentation des rivières par les pêcheurs sportifs sont infiniment plus grandes que le coût des droits d'accès et que c'est l'État et l'ensemble de la collectivité québécoise qui en bénéficient, l'État a le devoir de soutenir les zecs, surtout lorsqu'il s'agit de protection qui est sa responsabilité stricte. En périodes difficiles, l'État ne soutient-il pas les agriculteurs et d'autres secteurs privés de l'industrie ? L'absence de support de l'État conduit directement au néo-clubbage dans certains cas et dans les pires cas, à la fermeture de certaines zecs. Donc à la perte d'emplois locaux, à la diminution des retombées économiques et au braconnage dans des rivières que les pêcheurs auront désertées.

     Amis pêcheurs, il faut faire pression sur nos dirigeants politiques pour ne pas se laisser avoir par le néo-clubbage et perdre ainsi à nouveau l'accès à notre bien collectif : le territoire québécois.
 
     LES OPINIONS ÉMISES DANS LES ARTICLES N'ENGAGENT QUE LEURS AUTEURS.

référence

» Par Guy-Noël Chaumont
» Saumons illimités #68, Hiver 2004.
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