Chapitre I - Les Poissons

     Il n'y a pas moins de 30,000 espèces de poissons sur le globe terrestre. En Amérique du Nord, nous en connaissons environ 4,000 — dont 600 vivent dans les eaux canadiennes.

     Au Québec, une bonne centaine de poissons méconnus habitent nos eaux intérieures. Je ne dis pas méconnus à la légère ... car même les meilleurs spécialistes s'interrogent encore sur la question, qu'il s'agisse d'identification indiscutable ou de taxonomie appropriée !

     Les chroniques suivantes ne trancheront guère le problème. De toute façon, là n'était pas mon but. Acceptez, amis lecteurs, le choix (oh, combien arbitraire !) des poissons que je considère comme étant d'ordre sportif.
 
1 — Savoir parler du poisson

     On parle abondamment des poissons qu'on a ratés mais on parle généralement fort mal des poissons en général... Peu de gens connaissent l'anatomie des poissons et les mots nageoires, têtes, queues, écailles sont des termes fort justes mais pas très descriptifs et qu'on emploie à tort et à travers. Si vous me dites : « Mon poisson avait une grosse queue et des nageoires rouges sur le ventre puis une grande gueule avec des petites dents...» Vous ne me dites absolument rien ! Ça peut être n'importe quel poisson de nos eaux.

     Cette description est si vague qu'elle peut tout aussi bien s'appliquer au brochet qu'à la truite ! Parlons donc des noms qui décrivent avec précision les différentes parties du corps d'un poisson.

Anatomie externe

     Les caractères anatomiques externes sont ceux que nous voyons au premier coup d'oeil. Nous ne parlerons que de ceux-là. D'abord, ce qui caractérise le poisson ce sont ses nageoires. Elles sont de formes très diverses et varient en nombre comme en taille et sont situées sur le corps du poisson en des lieux qui déterminent leurs noms. Ainsi la nageoire située sur le dos du poisson est la dorsale.

     Celle qui forme la queue du poisson est la caudale. Celles situées sous le ventre du poisson sont les ventrales, pelviennes, anales. Sur le corps du poisson, près de la tête, il y a les pectorales. La tête du poisson est souvent caractéristique d'une espèce. Le brochet avec sa tête allongée en bec de canard ne ressemble pas à celle de la truite qui est ovale et petite ni à celle de la barbotte qui est coniforme et ornée de barbillons tactiles.

le poisson d'eau douce
     La bouche et les dents des poissons jouent un grand rôle pour cataloguer ceux-ci et le vomer, os orné de dents minuscules situées sur la partie supérieure du palais (cloison de la fosse nasale) des poissons a permis aux experts de trancher des questions parfois très compliquées. La bouche détermine la nourriture que le poisson pourra absorber.

     Ainsi un poisson prédateur comme le doré aura une bouche munie de dents incurvées (pour ne pas que la proie se libère) tandis qu'un scatophage comme la carpe à cochon ou Catostome aspirant aura une bouche ronde, située au- dessous de la tête. Les lèvres sont ourlées, extensibles. Elles sucent le fond vaseux comme un aspirateur ! Cette bouche n'a donc rien à voir avec celle du brochet ou de la truite. Nous allons, en conséquence, passer en revue tous les poissons dignes d'intérêt et nous examinerons en détail leurs caractères anatomiques. Pour vous donner une vague idée de la complexité d'une seule nageoire, prenons par exemple la caudale. Dix formes sont à retenir : Elle peut être en croissant, tronquée, fourchue, arrondie, pointue, échancrée, en fer de lance, hétérocerque (lobes inégaux) ou homocerque (lobes égaux) ! Et même doublement échancrée ...

     C'est donc dire qu'on ne peut avec précision faire une description générale du poisson ! Il nous faut prendre un exemple. Un poisson type.

     J'ai choisi l'achigan qui présente des caractéristiques physiques que l'on retrouve chez beaucoup de poissons de nos eaux. Ainsi sa bouche devrait faire l'objet d'une attention particulière car elle permet, d'un simple coup d'oeil, d'affirmer qu'il s'agit d'un Achigan à petite bouche (Micropterus Dolomieui) ou d'un Achigan à grande bouche (Micropterus salmoides salmoides) assez rare dans le bassin de l'Outaouais.

     Dans le cas de l'achigan à grande bouche, le maxillaire dépasse l'oeil. Le maxillaire de l'achigan à petite bouche ne dépasse pas l'oeil. Ceci est important car ce n'est pas la grandeur de la bouche qui détermine l'espèce mais la conformation de celle-ci. Car si vous prenez un achigan à petite bouche de cinq livres, sa bouche sera plus grande que celle d'un achigan à grande bouche de deux livres ! En d'autres termes, surveillez le maxillaire!!! Dans l'illustration qui accompagne ce texte, vous voyez tout de suite qu'il s'agit d'un achigan à grande bouche.

     Les nageoires sont aux poissons ce que les pieds et les jambes sont aux mammifères. Ces nageoires ont une fonction, qui détermine si le poisson sera un prédateur à l'affût (caudale tronquée de la truite mouchetée) ou un prédateur de grande nage et de poursuite comme la Touladi ou truite grise (caudale fourchue). Même dans la même famille, les nageoires sont différentes ! Alors à plus forte raison quand il s'agit d'espèces de poissons différentes !

2 — La peau, les écailles, les couleurs

     Nous allons donc poursuivre notre entretien et parler de l'armature des poissons. En principe, tous les poissons ont des écailles. Mais comme toujours, il y a des exceptions. Chez certaines espèces, les écailles manquent totalement et c'est le cas de la gluante barbotte. En ce cas on parle de la peau et si vous avez déjà arrangé une barbotte, vous voyez ce que je veux dire !

     L’anguille qui semble ne pas avoir d'écaillés en a. Mais elles sont minuscules. Ce qui nous amène à cataloguer le genre d'écaillés qu'un poisson peut avoir. On distingue quatre sortes d'écaillés : les Placoïdes, en forme de dents ou de bout de flèche. Les requins et les raies ont ce genre d'écaillés. Les Ganoïdes formées par du tissu osseux recouvert d'une épaisse couche d'émail. C'est le cas de notre Esturgeon. C'est une véritable armure, vestige de la préhistoire. Les jeunes esturgeons sont particulièrement bien protégés. Puis les Cycloïdes, molles et libres, à surface lisse qui caractérise la Carpe. Enfin les Cténoïdes, couvertes de menues pointes. La Perchaude est l'exemple typique.

     Les écailles font partie de la peau du poisson qui apparaît en coupe comme suit : d'abord l'épiderme, puis les écailles, vient le derme et enfin le muscle. Au toucher, tous les poissons nous semblent plus ou moins gluants ou glissants. C'est que les poissons possèdent des glandes qui sécrètent un liquide visqueux et lubrifiant appelé mucus. Ce mucus est très important pour la vie du poisson. Non seulement il sert à lubrifier l'épiderme et à l'isoler du liquide, mais il facilite la progression et le mouvement des poissons dans leur élément.

     Plus important encore, le mucus est un agent protecteur qui, avec les écailles, met le poisson à l'abri de l'infection qui peut être causée soit par des microbes pathogènes, des micro-organismes infectieux ou des parasites. Il est excessivement important que vous sachiez que ce mucus est absolument vital aux poissons. Si l'on vous demande de vous mouiller les mains avant de toucher un poisson que vous désirez relâcher, c'est pour minimiser le dommage que vous causez au poisson en lui enlevant cette couche protectrice de mucus. Sans elle, même sur une surface peu importante de son corps, le poisson sera victime des microbes ou autres agents infectieux qui vivent dans toutes les eaux. Même dans les stations de pisciculture, où l'on prend un grand soin des sujets d'élevage, il arrive que des épidémies très importantes et parfois désastreuses surviennent quand on manipule trop fréquemment ou brutalement les poissons. Le mucus est beaucoup plus abondant chez les espèces de poissons à écailles très petites. L'anguille et la lotte, par exemple.

     La couleur des poissons a son siège dans la peau. Ce sont des éléments microscopiques qui la produisent. Les uns donnent des teintes (chromatocytes), les autres des reflets et de l'éclat (iridocytes). Les couleurs d'un poisson, produites par la pigmentation, peuvent varier énormément même chez des individus de la même famille vivant dans les mêmes eaux.

     Cette couleur est influencée non seulement par la lumière ambiante, mais par le milieu aquatique lui-même et le régime alimentaire qu'il fournit au poisson. Ainsi, dans un même lac on peut prendre des truites de couleurs fort différentes ; tellement, que parfois on croit qu'il s'agit d'une espèce différente.

     Il n'en est rien. Sur un fond vaseux particulièrement riche en matière organique et peu éclairé, la truite sera beaucoup plus colorée, éclatante même, que celle capturée sur un fond clair et rocheux. La plupart des poissons ont la capacité d'harmoniser leurs couleurs avec le milieu ambiant.

     C'est ce qu'on appelle mimétisme. Tous les pêcheurs ont sans doute remarqué avec quelle rapidité les poissons capturés changent de couleur. Même dans des conditions idéales, un poisson en aquarium, par exemple, peut changer complètement de teinte en moins de vingt-quatre heures ! Ce qui explique que la truite rouge ne l'est pas nécessairement, pas plus que la grise n'est « grise »... Il y a aussi des cas d'albinisme (pigments blancs) qu'on peut obtenir chez la truite arc-en-ciel par sélection ou qui se manifeste accidentellement. L'accentuation du pigment noir s'appelle mélanisme. Certaines maladies peuvent produire des changements dans la couleur soit en l'affaiblissant, soit en la renforçant. L'activité sexuelle influe sur les couleurs. On remarquera qu'à l'époque de la fraie les mâles de certaines espèces se parent pour la noce. C'est le cas de notre petite épinoche et de la truite mouchetée ou, bien sûr, la grande championne des couleurs : la truite arc-en-ciel. A l'époque de la maturité sexuelle, la peau de certains poissons subit parfois des modifications. Elle devient couenneuse chez les salmonidés, s'épaissit chez les anguillidés et chez certains cyprins, le catastome aspirant, par exemple, la tête se couvre de petits « boutons » et le dos et les nageoires de perles qu'on appelle Boutons de Noces. Ces excroissances disparaissent après la fraie. Le cas est plus apparent encore chez le Notropis Cornutus, ou méné des ruisseaux qui est un familier de votre chaudière à ménés.

3 — La forme de nos poissons sportifs

     Comme tous les pêcheurs peuvent vous le dire, tous les poissons ne se ressemblent pas. Il existe un monde, par exemple, entre une anguille et un crapet! L'un est quasi filiforme, tandis que l'autre est nettement discoïforme. Ces mots paraissent « savants » et recherchés, mais il n'en est rien quand on y pense deux secondes. Cependant, pour plus de clarté, voici comment les biologistes ou les ichtyologistes ont catalogué nos principaux poissons :

     Anguilliformes — les poissons qui méritent ce titre présentent une forme très allongée, dont l'anguille, précisément, donne une juste image. La lotte, la lamproie et la myxine, par exemple, font partie de ce groupe.

     Discoïformes — ces poissons-là présentent cette forme de disque, ou mieux, de poêle à frire (pan-fish disent les anglophones), qui caractérise les scalaires de nos aquariums et les multiples crapets de nos cours d'eau.

     Fusiformes — c'est le cas des poissons quasi cylindriques, mais mieux constitués que les anguilles. Le brochet et le maskinongé, le dard-perche et certains ménés sont les représentants de ce groupe.

     Oblongiformes — la plupart de nos poissons d'eau douce d'ordre sportif présentent cette forme, i.e., un corps plutôt ovale, élancé parfois, comme nos truites, nos carpes et presque tous nos ménés.

     Il existe d'autres formes de poissons, bien entendu. Cependant, ces derniers sont plutôt pélagiques, et à moins de pêcher dans le golfe Saint-Laurent et autres régions maritimes nordiques ou sudistes, on ne risque pas de les rencontrer. Pour clore la question et afin que cette chronique soit complète, voici les noms de ces catégories :

     Platiformes — le flet, la plie, la limande, le turbot et le faux-carrelet, qu'on nous vend souvent sous le nom de sole, sont les représentants de ce groupe aplati.

     Sphériformes — le diodon, poisson des mers tropicales pourvu de piquants, présente cette forme de ballon. Ça fait de très jolies lampes ...

     Coniformes — la tête énorme, comparativement au corps, lui donne cette allure de cône ou d'une quelconque nacelle de la série cosmique Apollo... Notre chabot est le représentant le plus spectaculaire du groupe.

     Hétéroformes — il s'agit-là de poissons aux formes étranges, en tout cas très inusitées. L'hippocampe est très certainement l'exemple à citer. Dans les mers tropicales où la vie marine a un luxe étourdissant, une énorme quantité de poissons sont généralement classifiés dans cette catégorie.

     Les eaux québécoises sont riches en toutes formes de vie aquatique et il vous est possible, vous servant de cette nomenclature, de classifier (vaguement, bien sûr) la plupart des représentants de notre faune sous-marine. Ces quelques éclaircissements ne feront pas de vous un biologiste, évidemment, mais quand vous voudrez décrire un poisson que vous ne connaissez pas ou que vous connaissez mal, ça vous évitera de faire des gestes que vous êtes le plus souvent le seul à comprendre ... car vos auditeurs n'étaient pas là au moment de votre découverte ! En somme, vous n'avez que quatre mots à retenir (huit si vous les apprenez tous), ce qui n'est pas tellement difficile, il me semble !

     Et surtout : n'ayez aucun complexe à employer ces mots. Les gens qui riront de vous sont les gens qui masquent leur ignorance, derrière l'hilarité qui caractérise les crétins.

     Je me souviens que la première fois où j'ai employé les mots halieutiques et cynégétiques, plusieurs amis m'ont traité de snob et de pseudo-biologiste... Ils avaient tort. Au bout de quelques mois (maintenant, ça fait des années... !) les lecteurs s'y sont habitués, et quand je reçois des communiqués de presse en provenance de divers clubs ou associations de chasse et de pêche, je retrouve ces termes qui, depuis des années, s'ennuyaient à je ne sais quelle page du dictionnaire... Ai-je fait du bien ou du mal ? Ai-je dérangé les lecteurs de mes chroniques ?

     Pendant des décennies, La Presse eut pour slogan la phrase suivante : « Parlons français partout, et parlons-le bien toujours ! » C'est ce que je m'efforce de faire au long de ces pages. Et c'est ce que je vous engage à faire dans le cadre de vos activités quotidiennes, quelles qu'elles soient.

L'âge des poissons

     Nous poursuivons notre petite étude de la vie et des moeurs des poissons de nos eaux en abordant une question qui a toujours suscité un très vif intérêt chez nos sportsmen : La longévité des poissons. Un gros poisson est-il vieux ? Si oui, quel âge peut-il bien avoir ? Quand nous prenons un brochet d'une vingtaine de livres, s'agit-il vraiment d'un « pépère » ? Une truite grise de trente livres est-elle grand-mère ? Le méné des ruisseaux ou des lacs qui atteint très vite sa maturité sexuelle et sa taille, combien de temps vivra-t-il s'il n'est pas mangé ? Toutes ces questions ont intéressé les naturalistes et les pêcheurs depuis l'aube des temps et ce n'est que récemment, grâce aux méthodes scientifiques sérieuses, que l'on a pu répondre et résoudre ce problème de l'âge des poissons.

     Toutes les méthodes mises au point par la science sont basées sur l'observation de différents organes qui subissent des changements pendant la croissance et le mode de vie du sujet. La science connaît quatre méthodes permettant de discerner l'âge des poissons. Soit : la scalimétrie (étude des écailles), l’operculimétrie (étude des opercules ou joues), l’ostéométrie (étude des vertèbres) et enfin l’otolithométrie (étude des otolithes, c'est-à-dire les oreilles internes des poissons).

     Quelle que soit la méthode employée, on reconnaît l'âge des poissons par des zones claires ou foncées, larges ou minces qui correspondent aux périodes de croissance rapide et d'alimentation abondante. Ces zones sont dites : zones d'été. Les zones sombres, étroites, correspondent à une croissance lente où l'alimentation est presque nulle ou dans certains cas, absente. On distingue mieux ces zones de croissance quand le poisson est du type hibernant (comme la carpe) et moins bien dans le cas de certains carnassiers qui chassent tout l'hiver (perchaudes ou dorés).

La scalimétrie

     C'est la méthode la plus simple que la plupart des pêcheurs peuvent pratiquer s'ils ont un minimum de curiosité scientifique. Il s'agit simplement de prélever les écailles d'un poisson (quand il en a) dans la région de la ligne latérale à la hauteur de l'anus (Lestage). Ces écailles doivent être conservées dans la glycérine étendue de 50% d'eau. Au moment de l'utilisation, elles doivent être décapées pendant deux heures dans une solution de potasse caustique à 10%. Placées à plat entre deux lamelles de verres collées l'une contre l'autre au moyen de papier gommé transparent, ces écailles peuvent être observées au moyen d'une loupe ordinaire si elles sont de grande taille), à la loupe binoculaire ou projetées sur un écran au moyen d'un lecteur de microfilm, si elles sont petites. Vous verrez alors clairement les zones d'été ou d'hiver. Prélevez plusieurs écailles car une seule d'entre elles n'est pas un critère de l'âge du poisson. 

     D'autre part, prenez un grand soin de la préparation de cette écaille. Une écaille desséchée, neigeuse ou recroquevillée rend très difficile l'observation. Si vous doutez de votre propre analyse et que vous désiriez contrôler la justesse de vos observations, vous pouvez toujours envoyer ladite écaille à l'université de votre ville. Un biologiste se fera un plaisir de vous éclairer. Les autres méthodes pour déterminer l'âge des poissons s'adressent aux spécialistes et nous ne ferons que dire brièvement en quoi elles consistent.

L'operculimétrie

     Méthode mise au point en Angleterre par Le Cren. Les zones sont « lues » sur les joues ou opercules des poissons.

L'ostéométrie

     Méthode mise au point aux Etats-Unis par Lagler. C'est la lecture des zones apparaissant sur les vertèbres. Méthode très utile à employer quand les poissons observés n'ont pas d'écaillés (cas de notre barbotte).

L'otolithométrie

     Méthode très compliquée qui consiste à évaluer les zones de calcaires (concrétions calcaires) dans l'oreille interne du poisson. Méthode qui permet de discerner, non seulement l'âge mais aussi les espèces et sous-espèces des poissons. Car les otolithes des poissons sont dissemblables, même chez les sous-espèces (Chaîne).

     Ceci dit, sachez que les poissons centenaires n'existent pas! L'âge maximum des poissons de nos eaux est d'environ 14 ans. Certains ménés comme l'épinoche ne vivent que trois ans.

4 — Les instincts des poissons

     Comme tous les animaux habitant ce globe, les poissons subissent une impulsion naturelle qui détermine leur conduite. Nous appelons ces impulsions : Instincts.

     Pour survivre dans la lutte incessante de la vie, les poissons manifestent, selon leurs espèces, des formes d'instincts très différentes. On distingue deux grandes classes d'instincts. Les instincts offensifs (instinct de la chasse et de la poursuite comme le brochet, la truite, l'achigan) et défensifs qui revêtent des caractères très variés selon les espèces. Instinct d'orientation, grégaire, d'association et de conservation, etc.

Instinct de chasse

     Chez l'avelin, l'instinct de chasse se développe déjà. Chez les espèces franchement carnassières, il est poussé à un haut degré de cruauté et le cannibalisme ou l'homophagie est fréquent. A peine nés, les alevins sont souvent victimes de leurs propres parents !

     Il n'est pas rare de voir un gros brochet s'attaquer à un congénère à peine moins gros que lui et qu'il ne peut même pas avaler !

     Nous avons vu dans les pages précédentes traitant d'anatomie et de morphologie, les différentes formes que pouvaient avoir les poissons. Les fusiformes sont de grands chasseurs. Les oblongiformes comme l'achigan sont des traqueurs à l'affût. Il vire sur place, est capable de détente foudroyante et vise sa proie avec une acuité remarquable aussi bien dans l'eau que sur terre !

     Ceux qui ont vu un achigan bondir sur la grève pour attraper une souris savent de quoi je veux parler!

     La plupart des gros poissons de chasse à l'affût ont un territoire qu'ils défendent âprement contre les intrus. Blottis dans leur cachette, ils bondissent sur leur proie. Il est important pour un pêcheur de savoir deviner, de comprendre serait plus juste, que tel ou tel endroit est un territoire idéal pour un poisson à l'affût. Qu'il peut s'y cacher, que le courant y amènera des proies ...

     Une fois cette cachette vidée (votre prise) il faudra attendre un certain temps avant qu'un autre poisson vienne s'y embusquer. Voilà pourquoi il est important de changer de place souvent et laisser le temps au trou de se remplir !

     Ceci ne s'applique évidemment qu'à la pêche aux poissons d'affût comme le brochet, l'achigan, la truite mouchetée (surtout en rivière et en ruisseau) et non aux patrouilleurs de grande nage comme la Grise ou Touladi ou encore les poissons qui naviguent en bandes et chassent de concert, en association, comme les dorés.
 
Armes et astuces offensives !

     Sont armés, les poissons de chasse doués d'une grande vitesse de nage ou d'une musculature pouvant permettre une détente foudroyante afin de percuter leurs proies. Ces armes sont les dents. En sont pourvus abondamment les brochets, les dorés, les truites, les achigans, les amies, les poissons-castors, les lépidostées-osseux, etc.

     Ces dents sont généralement incurvées afin que la proie ne puisse se libérer après le coup d'attaque. Le vomer (dents du palais) agit en râpe et ne permet pas à la victime de se glisser hors de la bouche. Vos leurres égratignés en témoignent !

     Nous ne parlerons ici que des armes portées par nos poissons d'eau douce et passerons sous silence les autres formes offensives comme l'épée de l'espadon, la « dent » du narval ou la scie du poisson-scie, etc.

     Certains poissons allient les armes offensives à des armes plus subtiles comme celle du camouflage obtenu par mimétisme. Le brochet se confond parfaitement avec les grandes herbes et les taches de lumière des fonds. La truite irisée de couleurs brillantes se fond dans son décor d'eau tumultueuse, de roches éclatantes et de sable scintillant au soleil dans un rideau de bulles d'oxygène. La robe sombre de l'achigan indique une noire retraite, la perchaude barillée fait penser aux forêts de sagittaires, etc.

Les instincts défensifs

     L'instinct d'orientation qui est le plus extraordinaire et le plus mystérieux de tous les instincts des poissons permet à ceux-ci d'accomplir de longs voyages pour retrouver leur lieu d'origine, leur frayère, leur habitat saisonnier, etc. Vous connaissez tous les prouesses du SAUMON, le périple de l'Alose, des p'tits poissons des ch'naux, de l'anguille !

     Tous les jours, des chercheurs se penchent sur cette merveilleuse faculté d'orientation que nous, les hommes, nous voudrions bien copier... L'instinct grégaire est l'arme des faibles. Le nombre fait la force et permet la survie quels que soient les prélèvements des prédateurs. La plupart des ménés sont grégaires. Le hareng, la sardine, l'éperlan, etc.

L'instinct d'association

     Chasser en bandes à la manière des loups. Les perchaudes et les dorés adoptent cette attitude. Des bandes très importantes de dorés se réunissent (généralement de nuit) et barrent littéralement les baies. Us avancent alors vers le fond et poussent devant eux des nuages de cyprins divers. Puis c'est le carnage, nageant à toute vitesse la bouche grande ouverte, avalant tout sur leur passage.

L'instinct de conservation

     Ici, c'est la mémoire qui joue le plus grand rôle. Tous les pêcheurs au lancer savent bien qu'après l'ouverture, les poissons mordent moins bien ... En fin de saison, la pêche devient de plus en plus difficile et les leurres doivent être choisis avec le plus grand soin. Tous les imprudents et les têtes folles se sont fait prendre. Reste les échappés, les manques toujours fort nombreux qui connaissent les leurres et apprennent vite à déceler les vibrations qui ont failli leur coûter la vie !

     C'est la pêche frustrante où les poissons suivent mais ne prennent le leurre qu'avec la plus grande circonspection ... Les pêcheurs à l'appât vivant ont affaire aux suceux, aux flâneux, aux bouches-molles qui ne prennent pas l'appât franchement mais se promènent avec longtemps avant de se décider... Il y a aussi la question des endroits de pêche qu'il faut bien se garder de changer soit en augmentant le niveau des eaux, soit en coupant les arbres qui donnent l'ombre, soit en déplaçant les objets submergés qui servaient de retraites... Vaut mieux changer les pines du moteur que de déplacer les accidents naturels d'un coin de pêche ! En conclusion, les poissons ne mordent pas mieux au printemps qu'à l'automne, mais ils mordent différemment et avec, si j'ose dire, de l'expérience !

5 — Les tropismes des poissons

     Poursuivons notre petite étude sur les poissons et examinons ce qui est probablement la chose la plus importante dans l'art de la pêche : le mouvement, les déplacements des poissons. Le tropisme, c'est précisément cela. Un déplacement, un entraînement involontaire vers un autre milieu. Plusieurs facteurs jouent pour déterminer ces tropismes et la science en reconnaît neuf.

Le Branchiotropisme

     C'est une réaction et un entraînement vers une eau plus oxygénée. Vous savez tous que les poissons respirent au moyen d'organes qui s'appellent les branchies. Les exigences respiratoires des différentes espèces de poisson sont très variables. Une barbotte ou une anguille peuvent rester des heures hors de l'eau et vivre. Une truite peut difficilement dépasser le quart d'heure et encore... Le corégone (poisson-blanc) meurt presque instantanément ! Les branchies sont très sensibles à l'oxygène qui les brûle.

     Dans le cas de la barbotte, non seulement ses branchies sont moins sensibles au contact de l'air, mais le mucus dont elle est abondamment pourvue sert à colmater ses branchies afin d'y garder le plus d'humidité possible.

     L'eau doit être raisonnablement oxygénée si des poissons doivent y vivre. Il y a des minimums qui ne doivent pas être dépassés sous peine d'asphyxie. La consommation d'oxygène dissout dans l'eau n'est pas aussi énorme qu'on le croit et certains poissons ont des exigences qui leur sont propres. On connaît les doses d'oxygène pour chaque espèce de poissons et on calcule celles-ci en centimètres cubes par litre. Les salmonidés sont les plus exigeants, viennent les brochets, dorés, achigans et perchaudes, puis les cyprinidés et enfin les anguilles et les barbottes.

     Quand la dose d'oxygène d'un milieu baisse, le poisson s'en ressent immédiatement. Suit une espèce de migration vers un lieu plus oxygéné. Vous savez tous qu'en été la truite recherchera les courants, les chutes et rapides, les sources froides. Connaissant les exigences respiratoires des poissons, vous pourrez déterminer le lieu où ils sont susceptibles de se trouver.

     On peut observer à loisir ce branchiotropisme en se rendant chez le marchand de menés.

     Non seulement les menés viennent en surface pour respirer (faculté qui échappe à d'autres poissons) mais ils se pressent en foule vers le robinet qui amène l'eau. A cet endroit, l'eau est brassée, battue et plus oxygénée qu'ailleurs. Ce qui se produit dans les bacs ou aquariums se produit également dans la nature.

Le Chimiotropisme

     C'est une réaction et un entraînement vers des eaux plus ou moins salées. Nous n'allons pas examiner le biotope des poissons pélagiques que nous ne péchons pas pour le sport, mais certains poissons anadromes tels le Saumon, l'Alose, les P'tit poissons des Ch'naux, etc., vivent une certaine partie de leur vie en eau douce : ils viennent s'y reproduire et y naissent. Certains biologistes croient que c'est le chimiotropisme qui pousse le jeune saumon à redescendre vers la mer par exemple. Plusieurs des poissons de nos eaux supportent un degré de salure assez élevé. La truite mouchetée va souvent en mer ! L'épinoche, la carpe et certains autres cyprins tolèrent assez bien le sel (mais pas longtemps !) tandis que le brochet et le doré ne le tolèrent pas du tout. Ce qui explique leur absence des rivières et cours d'eau entiers. On ne prend guère de dorés à l'est du pont de Québec, pourtant la mer est encore loin !

Le Camotropisme

     C'est une réaction et un entraînement vers le sexe opposé, vers les eaux favorables à la reproduction. Cet instinct est très fort car c'est le plus important de tous dans la survie du poisson. Le gamotropisme est un phénomène saisonnier dans nos eaux. En automne pour les truites, au printemps pour les brochets, les dorés ou les perchaudes, en juin pour l'achigan, etc. On voit alors, selon les espèces, d'immenses rassemblements pour la montée vers les frayères. Les mâles se pressant vigoureux et avides autour des femelles, lourdes de leur faix. De minuscules cyprins entreprennent de gigantesques et périlleux voyages dans des fleuves qui ne sont que de timides ruisseaux... Le gamotropisme est, de tous les instincts; le plus impérieux.

Le Limnotropisme

     C'est la réaction et l'entraînement vers des eaux plus calmes, moins courantes. Ainsi le brochet recherchera des prairies inondées de longues baies peu profondes et sans courant, des savanes, etc.

     En période de crues, naturelles ou artificielles (la soudaine ouverture des barrages) les poissons émigreront vers des bras-mort, des baies presque fermées, derrière les pointes et enfin partout ou l'eau est moins tumultueuse et plus dormante. Les alevins du brochet collés à la végétation aquatique des champs ou des savanes inondés ne résisteraient pas autrement au fort courant. Des espèces moins grandes nageuses cherchent le calme des bassins naturels, etc.

     Le pêcheur devrait noter que tout changement subit dans le niveau des eaux provoque chez ses habitants une migration restreinte certes, mais assez appréciable pour changer complètement les endroits de bonne pêche. Tous ceux qui pèchent dans les grands réservoirs des Cies de bois (Le Pisca-tossin-Baskatong, par exemple) doivent constamment s'adapter a de nouveaux endroits et suivre le poisson là où il va se réfugier.

     Poursuivons notre petite étude sur les mouvements, la réaction et l'entraînement des poissons vers un autre milieu ou une autre activité. Le bon pêcheur doit connaître les mouvements des poissons qu'il pêche à tel point qu'il lui 8011 possible de prévoir les lieux vers lesquels ces poissons se dirigent ou se cantonnent. Des 9 tropismes déterminés par la science, nous en avons examiné 4. 

Continuons notre entretien :
Le phototropisme

     C'est la réaction et l'entraînement sers des eaux plus ou alors, moins éclairées. Chaque espèce de poissons a ses! exigences particulières quant à la luminosité de son lieu de séjour. Certains poissons aiment et recherchent les eaux bien éclairées : cas des salmonidés, d'une grande variété de cyprins et autres menés.

     D'autres, par contre, fuient la lumière ou ne peuvent la tolérer longtemps. On dit de ces poissons qu'ils sont lucifuges. C'est le cas de l'anguille, de la barbotte, du doré, etc. L'exemple suivant vous le prouvera : Mettez dans un bassin à fond clair (ciment) et eau translucide des barbottes. Immédiatement, ces animaux feront rapidement le tour de ce bassin en longeant les bords cherchant désespérément à s'échapper, certes, mais surtout le coin le plus ombrageux de celui-ci. Ils s'y blottiront et se presseront en grand nombre dans cet endroit, bougeant sans cesse, personne ne voulant être sur le dessus, près de la lumière.

     Malgré la robustesse bien connue des barbottes, elles ne tarderont pas à périr car elles s'entre-déchireront de leurs pectorales et de leur dorsale acérées et vénéneuses. Cette fuite éperdue vers l'ombre démontre bien les réactions et l'entraînement involontaire que nous appelons tropisme.

Le thermotropisme

     C'est la réaction et l'entraînement vers des eaux plus ou moins chaudes. On reconnaît tout de suite le pêcheur « scientifique » qui allie la connaissance au simple geste automatique de jeter sa ligne à l'eau !

     Vous n'avez qu'à jeter un coup d'oeil dans son coffre de pêche et vous y verrez un thermomètre ! Car, et ceci est très important, les poissons se déplacent toujours pour aller chercher une température qui leur convient. Chaque espèce de poissons cherche une eau qui possède la température qui convient le mieux à sa nécessité vitale du moment.

     A mon avis, c'est le plus important des tropismes. Du moins pour le pêcheur ! Quand on me demande : « A quelle date penses-tu que va commencer à mordre la Grise?» Je ne cherche pas dans mon calendrier du pêcheur une date aussi improbable qu'invraisemblable, mais je réponds toujours invariablement : Quand l'eau de votre lac aura atteint 50 degrés Fahrenheit !

     Car à cette température, les cyprins et autres menés commencent à circuler sur les plages. La Grise montera de son hivernage et chassera sur les hauts fonds. En automne, c'est au moment où l'eau atteint 47 degrés F. qu'elle commencera à frayer.

     Si ça mord moins l'été, c'est que beaucoup de poissons quittent leur cantonnement habituel d'eau relativement chaude pour aller vers des territoires plus frais. Découvrir ces endroits en trollant au thermomètre est un travail payant !

     Personnellement, je ne pêche pas dans les hauts fonds si la température dépasse 60 degrés F. Quand j'arrive dans un lac ou une partie d'un lac que je ne connais pas, mon premier souci est de prendre la température de surface et celle du fond. C'est APRES que je pêche. Même les pêcheurs les plus ignorants savent qu'au printemps, c'est près du bord que ça mord et qu'en été, c'est au milieu... Dans le chapitre qui traitera des poissons en particulier, je donnerai les températures qui leur conviennent.

Le tonotropisme

     C'est la réaction et l'entraînement vers ou contre les vibrations. Voilà un tropisme auquel je réagis moi-même en me rendant chaque semaine chez le marchand de leurres pour en explorer les montres ! Le choix d'un bon leurre doit être exécuté en connaissance de l’anatomie de celui-ci. Quelles vibrations ce leurre impliquera-t-il au milieu aquatique dan lequel vous le plongerez ? Ces vibrations sont-elles attirante ou répulsives ? Quel comportement a-t-il ? Dois-je prendre plusieurs exemplaires à cause des couleurs ? Voilà toutes les questions qu'il faut se poser. Il n'existe pas de coffre de pêche sans Flat-fish ou Daredevil ! Pourquoi ? Ces leurres on fait leurs preuves. Leur hydrodynamisme (cas du daredevi allié à un très heureux jeu de couleurs, généralement rouge et blanc, en font un leurre que nous allons appeler : classique.

     A la nage sinueuse et rapide du daredevil s'opposent les mouvements saccadés, vibratoires et erratiques du flat-fish. Deux théories s'affrontent. Le pêcheur est libre de choisir... mais saura-t-il comment s'il ignore le comportement des poissons en proie au tonotropisme ?

     Les vibrations transmises par l'eau sont reçues par deux organes, les pores sensitifs de la tête, très développés chez certains chasseurs (brochet) et la ligne latérale. Ces organes provoquent une réaction immédiate. Il semble que les vibrations perçues par les pores sensitifs de la tête précipitent l'attaque (organes offensifs) tandis que celles perçues par la ligne latérale impriment un instinct de défense qui déclenche la fuite (organes défensifs). Ainsi, le brochet « entendra » les vibrations de votre leurre, il est instantanément alerte, il frémit de tous ses muscles, puis c'est la foudroyante détente qui brisera les reins de sa proie et qui vous donnera à vous, heureux pêcheur, ce choc émotif indescriptible qui vous fait appeler par les autres un mordu, un fou, un maniaque de la pêche ! ! ! La truite perçoit les vibrations les plus subtiles et les plus légères. . . Comment ne pas admirer cette étonnante faculté ! Une mouche de mai se pose délicatement sur la surface d'un lac... Dix pieds plus bas, une ombre fusiforme se décoche comme une flèche et vient percuter l'insecte dans une apothéose de gerbes d'eau ! Si jamais je deviens cardiaque, la truite saura pourquoi...
Nous arrivons au terme de notre étude sur les allures des poissons, ce qui les pousse à se déplacer, leurs mouvements et leurs réactions, c'est-à-dire les tropismes.

Le Trophotropisme

     C'est la réaction et l'entraînement vers une nourriture plus abondante. Cas des poissons planctophages, qui suivent les nuages d'animalcules qui se déplacent dans les courants du milieu aquatique. Ce plancton existe dans toutes les eaux bien équilibrées, pas seulement en mer comme beaucoup de gens le croient.

     Ainsi dans nos eaux, le Coregone, appelé aussi poisson blanc, est un grand consommateur de plancton. Ses moeurs lucifuges (bien qu'il soit apparenté aux salmonidés) le font vivre dans les grands fonds et s'il vient en surface pour moucheronner, il ne le fait qu'à la brunante ou pendant la nuit. Les dorés suivent les bancs de cyprins et autres menés. Les grises ou Touladi également.
 
Le Rhéotropisme

     C'est la réaction et l'entraînement vers des eaux plus courantes. C'est donc un antagoniste du limnotropisme que nous avons étudié plus haut. L'organe en cause est la ligne latérale qui perçoit les mouvements de masses d'eau qui s'écoulent dans des directions déterminées. Les poissons peuvent donc détecter un mouvement d'eau (arrivée ou fuite) et se porter à la rencontre de ce phénomène s'ils sont de bons nageurs et affectionnent les eaux courantes, ou alors, fuir devant ce qu'ils estiment être un danger. Ou encore, se servent du courant pour fuir plus vite comme les cyprins de ruisseaux sont si habitués à le faire. Cette perception de masses d’eau est très importante pour la montée de certaines espèces vers les frayères. Cas du saumon et de la truite. Les poissons qui aiment vivre dans les rivières à forts courants, l'achigan par exemple, savent se servir des courants montants et descendants. Les forts remous lui servent d'ascenseurs vers la surface ou vers le fond selon les cas!

     Maintenant que nous avons vu les différents tropismes qui déterminent la conduite des poissons, disons en terminant que ces tropismes sont parfois concordants et parfois contradictoires !

     Je m'explique : Si un tropisme alimentaire entraîne poisson dans un lieu qui lui est normalement interdit par s tropisme respiratoire, il ne faudrait pas conclure que le po son fait un choix mais seulement qu'un tropisme est plus périeux que l'autre dans cette circonstance particulière.

     Un autre exemple serait qu'un troisième tropisme respiratoire celui-ci (branchiotropisme) entre en conflit avec un tropisme qui fait que le poisson est à la recherche d'une température plus élevée (thermotropisme).

     En eau chaude, l'oxygène se dissout moins bien. Le fait de trouver de la truite dans une eau « chaude » ne doit pas vous faire conclure que ce poisson a des exigences d'oxygénation peu élevées, mais simplement qu'il s'y trouve de façon temporaire à la recherche d'une nourriture plus abondante (trophotropisme) dont il a un besoin pressant. Donc il faut conclure en disant que les poissons ne sont pas soumis à u -seul tropisme mais à plusieurs qui constituent leur équilibre vital à la recherche duquel ils sont constamment en quête.

     Pas plus que les hommes, les poissons ne peuvent espérer un bonheur parfait. Certaines espèces de poissons sont moins chanceuses, moins douées ou moins armées pour le combat de la survivance.

     C'est là que nous devons intervenir en intégrant toutes nos connaissances scientifiques aux divers programmes de, CONSERVATION actuellement en cours.

     Si nous avons étudié les tropismes avec parfois un luxe de détails qui ont dû choquer certains pêcheurs peu enclins à l'étude, nous nous en excusons.

     C'était pourtant pour leur rendre service... Car pour prendre un poisson, il faut savoir où il va ! En tenant compte j des besoins organiques, du milieu changeant, l'influence des tropismes se traduit par de continuels déplacements.

     L'Indien ou le guide d'expérience ignore peut-être ce qu'est un tropisme, mais il connaît mieux que le pêcheur « scientifique » tous les lieux de séjours et les déplacements des poissons de sa région. Ça revient au même. L'important est de connaître son gibier si bien qu'on lui est supérieur !

     J'ai le plus grand respect pour les conseils des guides, des Indiens ou de tous ceux qui vivent près de la nature et ont appris, non dans les livres, mais dans un contact intime et quotidien les secrets qu'elle révèle aux initiés. Si un guide vous dit que passé midi, ça ne mordra plus, et qu'il faut changer d'endroit, écoutez-le. Cet homme connaît son petit monde...

     Il ignore très certainement tous les termes scientifiques mais pas la vie de ses poissons. Il n'a ni thermomètre, ni un grand assortiment de leurres mais l'expérience lui a enseigné le principal : L'Instinct de pêche.

     C'est une qualité qu'il faut acquérir à tout prix et que la science ne remplacera jamais. On ne pêche pas avec des équations et des thermomètres, mais on se sert de ces moyens civilisés pour suppléer à notre manque de contact fréquent avec la nature.
Souvenez-vous qu'un guide n'est pas un magicien et n'a pas les yeux meilleurs que les vôtres, mais LUI voit ce que vous ne voyez pas parce que vous ne savez pas regarder !

     J'ai vu des chasseurs écarquiller les yeux pendant cinq minutes pour découvrir une perdrix que le guide leur montrait du doigt... à moins de 15 pieds de là ! Également des pêcheurs qui s'obstinaient à lancer à se décrocher les bras pendant des heures dans une baie où il était physiquement impossible pour un poisson de chasse (ce qu'ils recherchaient) de s'embusquer... !

     J'espère que notre petite étude sur le comportement général des poissons vous aura été utile, pas seulement dans la conversation, mais dans la chaloupe !

6 — Pas de télévision mais de la télégustation !

     Si les poissons vivent parfois dans les chenaux, ils ont l'avantage heureux de pouvoir se passer des canaux, du 2 au 12, douze mois par année !
     Il nous est permis de croire que leur système nerveux s'en trouve mieux équilibré et que dans ce monde du silence, on se la coule douce ! Toutefois, ce que les poissons ont et que nous n'avons pas (et c'est bougrement dommage) c'est la Télégustation. Ce mot implique qu'à distance, le poisson peut goûter sa proie ! C'est pas merveilleux, une pareille faculté ? Oh ! comme j'aimerais téléguster Brigitte Bardot... Mais ne nous éloignons pas du sujet. Le système nerveux du poisson comprend le cerveau, la moelle épinière et les nerfs. Chaque fibre musculaire possède sa fibre nerveuse. Un nombre incalculable d'impulsions nerveuses se croisent et s'entrecroisent de l'extérieur vers l'intérieur, et réciproquement, coordonnant les mouvements du corps dans les diverses attitudes de la vie. Les barbillons et les antennes constituent les organes du toucher.

     Ces organes sensitifs sont très variés et comprennent un vaste assortiment d'instruments permettant de déterminer la nature de la proie ou de la denrée convoitée. Les pores sensitifs du brochet sont très visibles, non seulement sous sa mâchoire mais également sur sa tête. Le réseau de nerfs faciaux, chez la truite par exemple, est particulièrement sensible. Il faut qu'il le soit !

     Pour qu'une truite puisse entendre et téléguster une mouche qui tombe sur la surface d'un lac, il faut que ce système soit très au point... !

     Mais les papilles sensitives (fort nombreuses) sont surtout visibles chez la plupart des poissons en un lieu qu'on appelle la ligne latérale. Cette ligne commence directement derrière les opercules et traverse le corps jusqu'à la naissance de la caudale. On relève plusieurs genres de lignes et l'on peut dire qu'elles sont rectilignes, concaves, bifurquées, réduites aux deux tiers dans le cas de certains ménés ou atherine quand elles sont absentes. Cette ligne latérale peut porter d'autres noms. Dans le cas de la perchaude, on dit qu'elle est convexe (idem pour dorés, achigans ou crapets) mais oblique pour le bar. Sinueuse pour la barbotte.

     C'est au moyen de cette ligne latérale que les poissons peuvent entendre et goûter à distance leurs proies. Car bien que les poissons soient souvent pourvus de narines ils ne peuvent flairer au sens propre de ce mot. Les petits canaux de la ligne latérale mettent en communication avec l'extérieur les ramifications du nerf latéral. Ces deux séries de pores sensitifs sont destinées à la perception de vibrations dans l'eau (chocs, battements, frémissements, mouvements de nage). Voilà pourquoi la plupart des leurres artificiels sont destinés à faire des vibrations imitant plus ou moins bien les allures erratiques d'un mené blessé. Les cuillères tournantes ou fixes outre les vibrations qu'elles impriment sur le milieu aquatique ambiant, jettent également des reflets imitant ceux que projettent les écailles émaillées des ménés en action.

Les organes de vision

L’oeil des poissons présente la forme d'une sphère limitée à l’avant par une surface légèrement convexe.  L'oeil du poisson, comme chaque bon pêcheur le sait, n'est pas très expressif.. . Sauf dans le cas du brochet qui mérite vraiment le titre de Tigre de nos eaux. Même mort, le brochet a un regard cruel et perçant. Les lucifuges comme le doré ont un oeil morne qui fait penser aux nyctalopes. D'ailleurs les Anglais l’appellent Walleye, ce qui veut tout dire. L'étymologie latine est également descriptive de cet oeil vitreux : Stizoste-dion vitreum vitreum!!

     Nous n'allons pas entreprendre une description complète a Physiologie de l'oeil des poissons, cela serait un peu trop technique. Mais le tableau suivant, dans sa simplicité, permet d'apprécier l'acuité visuelle de certains de nos poissons. On donne des « notes » sur 10 ! Saumon 8, truite 8, brochet 8, épinoche et autres petits poissons 8. On tombe à 7, 5 pour la perchaude, 7 pour la carpe et un pauvre 6 pour la barbotte. On tombe à un misérable 3 pour la plie ... et 0 pour le congre ! 

     En conclusion, disons que les poissons possèdent des yeux dans lesquels ne peuvent se former que des images imparfaites et leur champ de vision binoculaire est restreint. C'est, du moins, l'avis des spécialistes de la question. Pourtant, personnellement et sans preuves scientifiques dois-je dire, il me semble que la truite mériterait mieux que 8 sur 10 ... Quant au doré, même si c'est un poisson de fond et nocturne par surcroît, que ses yeux sont riches en bâtonnets, partant sa vision est très atténuée, je lui donnerais mieux que 6 sur 10 car je trouve qu'il se débrouille bien ! Très bien même ! Quant au zéro du congre, je suis assez d'accord. Ce maudit animal ne semble pas voir plus loin que sa rétine !

     La plupart des pêcheurs de truites savent par expérience qu'une truite de ruisseau (Salvelinus fontinalis) ou mouchetée peut voir venir un pêcheur à 30 pieds au ras de l'eau et plus de cent pieds si la berge est élevée ! Voilà pourquoi le 8 sur 10 ne me paraît pas une note très juste. Moi je lui donne volontiers 9 1/2 sur 10! Qu'en pensez-vous?

7 — Une « truite » n'est pas une truite !

     Je vais peut-être en étonner plusieurs, mais il n'y a pas de truites dans la province de Québec ! Ce que nous appelons truite est en réalité un omble. Arrangez-vous comme vous voudrez, discutez, protestez, la truite (Salmo fario ou comme dit Linné, Salmo Trutta) n'existe pas ici ! Les savants sont formels et c'est ça qu'est ça ! D'ailleurs, si l'étymologie latine vous intéresse, vous constaterez qu'aucune de nos espèces de « truites » indigènes au Québec ne porte l'appellation Fario ou Trutta à moins que ces poissons aient été transplantés, acclimatés ou importés ici.

     C'est vers 1883 que les Américains importèrent d'Allemagne les premières vraies truites sur ce continent.

     Il s'agit de la truite brune ou truite d'Europe (Salmo fario) que nous pouvons pêcher au Québec depuis que les piscifactures du Gouvernement en ont aleviné dans quelques-uns de nos lacs et plus particulièrement dans la Rivière du Nord. Dans les Cantons de l'Est, le Lac Memphrernagog, le lac Massawipi, et leurs tributaires contiennent des truites brunes. De temps en temps, les pêcheurs qui connaissent la question réussissent de belles prises et il y a tout lieu de croire que dans ces lacs, elle est parfaitement acclimatée. La truite brune peut peser jusqu'à 30 livres ! C'est donc un poids lourd dans la famille des Salmo et notre Omble québécois que nous appelons truite mouchetée n'atteint jamais ce poids. Mais le peuple a toujours raison même quand il se trompe.

     C'est pourquoi, si sous le voulez bien, nous allons laisser tomber les guillemets et continuer de nous tromper joyeusement en disant truite pour désigner nos ombles. Avant de parler de nos différentes espèces de truites habitant le Québec; disons que les provinces de l'Ouest nous ont envoyé une truite que nous ne connaissions pas ici et que le gouvernement tente d'acclimater depuis une trentaine d'années. Il s'agit de la truite arc-en-ciel (Trutta iredea ou Salmo Gairdj nerii) que l'on peut prendre dans certains lacs de club privés ainsi que dans les lacs de l'Estrie dont j'ai parlé plu haut.

     Son lieu d'origine étant les grandes rivières et les torrents des Rocheuses, elle s'habitue mal aux eaux tranquilles de lacs.

     Le gouvernement de la province a fait quelques essais dans une série de lacs du Parc national des Laurentides (Québec à Chicoutimi) mais il appert que ces essais ne furent pas concluants.

     L'arc-en-ciel ne se reproduit pas en eau calme et l'alev1 nage fut un échec. Mais les lacs possédant un cours d'eau peuvent espérer voir se reproduire cette merveille de coule qui porte si bien son nom.

     Une cousine de l'arc-en-ciel est la truite fardée Cuthroat Trout qui se distingue de la précédente par plusieus taches noires et, en plus de la ligne rouge sur les côtés possède deux taches près de la gorge en forme de traits rouges. La truite fardée est rarissime au Québec et seul quelques clubs privés en ont importé. Etymologie latine Salmo Clarkii. Une autre espèce plus rare encore que le clubs très riches ont implantée dans leur domaine : la truite du lac Leven (Ecosse). Cette sous-espèce de la truite brune les moeurs de cette dernière.

Nos truites à nous

     Rare mais trouvable est la Dolly Varden, ou Omble d'Orégon (Salvelinus malma spectabilis).

     Elle se distingue de la mouchetée à cause de taches rond et rouges aussi grosses que ses yeux. Sur le dos ces taches son sensiblement pâles. Elle se reconnaît facilement au premier coup d'oeil disent les pêcheurs. Personnellement je ne l'ai vue qu'en image. Elle se conduit à peu près comme notre mouchetée.

     La mouchetée : (Salvelinus Fontinalis). C'est elle que nous péchons sous tant de noms différents ! Exemple : Truite Rouge de lac, Truite de Ruisseaux, Truite de Mer, Truite Saumonée, Truite Blanche, Queue Carrée, etc. Qu'elle ait six pouces de long ou 26 pouces et 10 livres de poids, c'est la même ! Qu'elle habite un grand lac, une rivière ou un minuscule ruisseau, c'est pareil. Sa couleur peut varier infiniment, même dans les eaux du même lac, ce qui apporte encore plus de confusion dans l'esprit du pêcheur non averti. Sa taille a peu d'importance et elle est adulte même si elle n'a que six pouces. Sur les fonds rocheux dans une eau très claire, sa couleur sera très atténuée et elle sera presque blanche ou bleue ou argentée. Dans les fonds vaseux ou en eau moins translucide, ses couleurs s'avivent et elle présente les magnifiques mouchetures que vous lui connaissez.

     Ses nageoires peuvent être d'un rouge violent avec un premier rayon d'un blanc-bleu éclatant. Son dos peut aller du noir le plus profond au vert pâle ou au brun léger. La même chose pour son ventre qui est parfois orange ou blanc, jaune ou argenté.

     Bref la mouchetée pratique le mimétisme qui lui convient le mieux en accord avec la nature des eaux qu'elle fréquente. Sa chair aussi étonne le pêcheur néophyte qui s'imagine qu'elle DOIT être rouge ou rosée. Il n'en est rien.

     La nourriture qu'elle absorbe détermine la couleur de ses chairs. On trouve des mouchetées à chair parfaitement blanche, parfois jaune, quelquefois rose ou orangée, dans certains cas, rouge saumon. La queue de la truite mouchetée est généralement carrée.

     Je dis généralement mais cette caudale varie parfois avec l’âge et l'aspect physique du poisson lui-même. Car elle peut être fusiforme ou au contraire presque oblongiforme et la caudale sera légèrement fourchue ou doublement échancrée. Bref, ce poisson, le plus commun de tous les ombles du Québec, est souvent la source de violentes discussions entre pêcheurs qui ne veulent pas admettre (on se demande pourquoi ?) qu'une truite de ruisseau, c'est la même chose qu'une une prise dans le lac. Ceci nous amène tout naturellement à Us parler de la véritable truite de lac ou grise ou touladi.

La grise

     (Cristivomer namaycush ou Salvelinus namaycush) Le namaycush n'est pas du latin comme on voit mais le nom de cette truite en langue Cri. La fosse nasale interne et le palais (vomer) sont donc crételés. Mais le pêcheur que les considérations anatomiques internes rebutent peut distinguer la Grise non par sa couleur qui ne l'est pas nécessairement mais par la caudale fourchue qui caractérise cette dernière. Cette queue! fourchue aux lobes homocerques (c'est-à-dire égaux) vous permettra de l'identifier au premier coup d'oeil. Règle générale, la truite grise a en effet des reflets métalliques de cette couleur sur la livrée qui porte aussi des mouchetures plus ou moins foncées selon les lacs.

La grise
    Son dos peut être franchement noir ou vert ou brun foncé. Son ventre est parfois jaune ou orangé, ce qui a souvent été un sujet de controverse parmi les pêcheurs. Aucune controverse possible : Il n'y a qu'une seule espèce de truite grise dont le lieu d'habitat est très répandu sur tout le continent nord-américain. La plupart des lacs de nos Laurentides en contiennent et si on n'en prend pas plus souvent c'est qu'on ne sait pas la pêcher, tout simplement ! Je consacrerai un chapitre entier à la Touladi, elle en vaut la peine !

     J'aurais aimé vous parler de la truite alpine (salvelinus alminus), de la truite rouge du Québec hélas de plus en plus rare (Salvelinus marstoni), ainsi que de la fameuse truite de mer de l'Hudson qui est sans doute une sous-espèce de notre mouchetée. (Salvelinus Fontinalis Hudsonius). Comment aussi ne pas vous parler des Corégonidés, proches parents des truites…

Cette grande mystérieuse, la truite grise!

     Depuis une dizaine de jours, j'ai rencontré plusieurs pêcheurs aussi furieux que frustrés... Ce qui n'allait pas ? Tout ! Le premier item sur la liste de récriminations : la maudite Grise ne voulait pas mordre ! Et les détails suivants de me tomber dessus comme de la pluie :

     1. la température était idéale - l'eau était entre 37 et 44 degrés F. ;
     2. Y'avait pas trop de vent, ce qui permettait tous les genres de pêche ;
     3. l'eau n'était pas trop haute ;
     4. on a vu des ménés près du bord et on en a pris dans nos cages dans les ruisseaux, par conséquent ,la truite aurait dû mordre près du bord ;
     5. en désespoir de cause, on a tout essayé... aussi bien la pêche en profondeur que le lancer léger, et même le lancer à la mouche ;
     6. on a vu des truites grises suivre les appâts jusqu'au bord de la chaloupe mais rien à faire pour leur faire saisir le leurre...
     7. on a pris trois grises à l'épuisette alors qu'elles venaient jusqu'à la chaloupe... as-tu déjà vu une affaire pareille ?
     Oui, j'ai déjà vu des « affaires » pareilles... et plusieurs fois encore ! Le plus étonnant, c'est qu'il y a encore des pêcheurs qui s'étonnent, précisément, des agissements illogiques de la Grise ! Illogiques pour nous, être humains, mais parfaitement logiques pour un poisson comme la touladi, un poisson en proie à de multiples tropismes, surtout en ce moment alors qu'elle, la grise, est en période de transition. C'est cela qu'il faut comprendre et c'est cela qui nous la rend mystérieuse quand on ne l'a pas compris.

     Je ne prétends pas que ce qui va suivre réglera définitivement vos problèmes de pêche à la Grise, mais ça pourra sûrement vous aider.

En période de transition : somnolence

     Si vous observez un peu moins distraitement la nature, vous constaterez qu'il existe une période, plus ou moins courte, — entre la fonte des neiges et les bourgeons — où il ne passe rien, du moins en apparence. En effet, pendant quelques: jours, rien ne bouge ... Le gazon reste grisâtre, les ramures sont frigides, et les rares oiseaux parmi les premiers arrivés restent perchés inlassablement pendant des heures... C'est, qu'après le grand sommeil hivernal, nous entrons dans une période de transition qui évoque, à mon avis, la somnolence. Cela peut durer une semaine, même deux, avant qu'on sente un éveil.

     Dans l'eau, un phénomène analogue se produit, mais avec cette différence : ça se passe plus rapidement que sur terre. Ainsi, un lac peut devenir actif quelques heures seulement, parfois certains quarts-d'heure, après la disparition de la glace ... mais ce n'est pas une règle générale. Certains lacs sont plus lents à démarrer. En fait, ce n'est pas le lac qui démarre, mais le benthos (ensemble des êtres habitant ce milieu aquatique) ! Et TOUS les êtres vivants du lac « X » n'entrent pas en action au même instant, comme si un pistolet eût été tiré annonçant le départ d'une course ! Les réactions et les entraînements vers ou contre telle situation (les tropismes, donc), qu'il s'agisse de lumière, de chaleur, de courant, d'abondance de nourriture, etc., ne sont pas les mêmes pour toutes les espèces de poissons.

     Ainsi, la truite mouchetée se réveillera beaucoup plus tôt que les cyprins. Le brochet avant le doré, la carpe avant la barbotte — en principe, et dépendant du lac. En ce qui concerne la Grise, cet éveil est généralement espéré dans les 3 ou 4 jours suivant la disparition de la glace. Cela devrait (et non doit) correspondre à l'arrivée des ménés sur les bords ou à l'embouchure des ruisseaux. Quand la température de l'eau marque 57 degrés F., la grande majorité des ménés (qui fraient le printemps) sont en robes de noces. C'est alors que la Grise, en principe, s'approche des bords.

     Je dis en principe, et souligne ce mot, car il faut que la truite ait besoin de s'approcher des bords pour qu'elle le fasse autrement — si elle trouve ce qu'il faut dans les fonds — elle restera où elle est.

Péchez avec une extrême langueur

     Je ne dis pas lenteur, mais langueur, cette nuance est importante. En d'autres mots, ne récupérez pas votre leurre dans un mouvement régulier. Si vous le faites, il y a des chances pour que la truite, vaguement intéressée, suive ... mais elle ne mordra pas. Il faut que vous péchiez avec la même attitude de somnolence, de langueur, qui caractérise la nage de notre touladi.

     Exemple : vous dérivez, non loin du bord, sur 15 pieds d'eau ; le temps est plutôt clair ; nature des flots : vaguelettes. Température : 40 degrés F. A l'air libre, vous gelez, vous êtes nerveux, impatient, bref, toute chose qui est contraire au climat d'une bonne pêche.

     Deux grises sont venues presque jusqu'à la chaloupe... Ce qu'il faut faire : attachez un streamer genre Magog Smelt ou Gray Ghost au bout de l'avançon qui est lui-même relié à votre Wet-Cel (ou autre ligne qui coule rapidement). Comptez jusqu'à 30 — 30 secondes — et récupérez d'un long mouvement de la main gauche en partant du premier guide jusqu'à votre hanche. Attendez 5 ou 6 secondes. 

     Pendant ce temps, le streamer qui aura fait, sous l'eau, une longue volute se mettra à couler lentement. Puis vient le second coup pour récupérer — et ainsi de suite.

     Au lancer léger, c'est la même méthode mais en se servant e la canne pour faire le mouvement et du moulinet pour entrer la ligne. Ce genre de pêche donne mieux avec des mouches streamers qu'avec des leurres métalliques, soit dit en passant.

     Au lancer à l'appât : même système, mais on peut se passer complètement du moulinet, comme à la mouche. Voyons maintenant l'appât qu'il faut.

     Si vous avez du corégone, alors vous êtes vraiment en affaire comme on dit ! Mais le jeune corégone ne s'achète pas... il est même introuvable, même dans les cours d'eau où il abonde. Il n'y a que les pêcheurs à la mouche qui en prennent. Les ouitouches, les semolitus en général, sont des bons appâts.

     Les menés exotiques : il est facile de vous procurer une fiole d'alcool et de faire le tour des magasins qui vendent des poissons exotiques ou d'aquarium. Il en meurt chaque jour (surtout les poissons rouges) et le commerçant ne sait que faire de ces cadavres - sauf de les jeter. Réservez-les! Laissez-lui votre flacon et dites-lui — moyennant un léger pourboire — d'y placer tous les poissons exotiques qu'il pourra ramasser. Ce sont des appâts sensationnels ! Si vous êtes amis des commerçants poissonniers, demandez-leur de vous rendre ce même service avant de jeter les stocks avariés.

La truite de ruisseau

     Il faudrait plusieurs volumes pour parler intelligemment et complètement de la question des truites de ruisseau. Ce n'est pas quelques chroniques qui vont régler le problème ! Toutefois essayons de jeter un coup d'oeil panoramique sur les diverses méthodes de pêche qui nécessitent non seulement un équipement à point, mais une farouche détermination !

     La truite mouchetée des ruisseaux (Salvelinus fontinalis) est la même que celle qui habite le lac ou le cours d'eau dans lequel se jette le ruisseau en question. Qu'elle ait 3 livres ou qu'elle ne mesure que quelques pouces avec un poids qui se compte en onces, c'est exactement le même gibier ! Le milieu, la nourriture, l'importance du ruisseau déterminent la taille moyenne de ses habitants. Les meilleurs ruisseaux à truite sont, hélas, les plus « sales »... les plus encombrés de branches, de grands arbres morts et dont les bords sont bien gardés par un impénétrable fouillis de taillis, généralement des aunes.

     Que de bassesses le vrai pêcheur ne commettrait-il pas pour découvrir, puis explorer un bon ruisseau à truites ? Toutes ! Et il les fera au prix d'efforts considérables que ne peuvent absolument pas comprendre les non pêcheurs... Il rampera dans les herbes et les taillis, fera un trou dans les buissons pour passer sa ligne, bravant héroïquement des nuages de mouches noires et de maringouins, sous la pluie battante ou sous un soleil de plomb, dans l'eau glacée jusqu'à la ceinture et dans les rochers escarpés ! Rien ne l'arrêtera car il connaît la plus haute satisfaction à laquelle un pêcheur puisse aspirer : sentir au bout de sa canne le glorieux combat dont la mouchetée a le secret!

Cette pêche est une chasse!

     Ou presque ... Ça n'a rien à voir avec la bucolique tranquillité de la pêche en canot sur un lac! Chaque prise demande des efforts, du jugement, une connaissance de la question et surtout, une vue excellente. On reconnaît l'expert de la pêche en ruisseau par ce « don », cette certitude de ce qui va se produire. La truite est là! Dans ce coin d'ombre à l'orée du pool, sous ce billot immergé ou derrière cette pierre qui fait glousser le courant... La précision du lancer en amont de la retraite. Le son de la cuillère, toujours très léger, qui s'abîme dans le courant. Le retrait tour à tour lent et saccadé qui fera passer l'appât exactement au bon endroit... puis l'heureuse conclusion de ce calcul quand survient la touche, franche et sauvage!

Truite mouchetée
     Le coffre de ruisseau doit être soigneusement aménagé AVANT le départ. Tout doit y être en double et en triple si Possible. Il faut tout prévoir : de la minuscule cuillère au dare devil de 3 pouces! On peut découvrir des coins où les truites sont « gigantesques » et l'on s'étonnera qu'elles vivent en milieu si restreint. Si les fosses naturelles du cours d'eau sont suffisantes, les truites y vivent à l'année. Si non, après la fraie d'automne, elles redescendent au lac ou à la grand rivière.

     Les cachettes multiples qu'offre un ruisseau très encombré sont à rechercher. Vous perdrez sans doute des leurres mais ça vaut la peine! D'ailleurs à force d'expérience, votre précision dans le lancer limitera les dégâts et augmentera votre moyenne de prises. Si vous péchez à la canne à mouche et si l'eau du ruisseau est tumultueuse, les mouches noyée sont en vedette. A l'ultra léger, les mêmes mouches traînant derrière une fine cuillère. 

     Ces mouches peuvent devenir « St-Sauveur » en y ajoutant un bout de ver de terre... Ou s l'on ne craint pas l'ire des puristes, on peut pêcher franche ment aux petits vers rouges habilement lancés afin de dérive dans le courant comme les vrais que les flots tumultueux arrachent aux rives. Le minuscule devon bien présenté ou le mi cro-flat fish remorqué avec intelligence donnent d'excellent résultats.

     La pêche dans les pools que l'on découvre au tournant du ruisseau demande une stratégie particulière et ces eau calmes sont susceptibles de recevoir la mouche sèche. Mais la taille des truites vous permet de supposer qu'une « grand-mère » truite s'y est embusquée, l'écrevisse doit être jetée au pool.

     Tous les leurres en caoutchouc imitant les crustacés les insectes ou leurs larves et que l'on réserve généralement pour l'achigan, sont bons pour la mouchetée. Même la souri artificielle, lancée sur la rive et récupérée à travers la calme surface du pool, s'avère un leurre tout aussi efficace pour la truite que pour le glouton et féroce achigan!

     D'ailleurs, il n'y a pas de règle générale et de leurres types pour la mouchetée des ruisseaux. Tout doit être essayé sans vergogne, c'est le résultat qui importe. Si les mouches noyées derrière une petite cuillère sont à recommander, il ne faut avoir aucun complexe pour améliorer la situation et cacher l'ardillon sous un ver!

     Un ruisseau est un grand livre ouvert sur la vie des mouchetées qui l'habitent. Le tout est de savoir lire... et il y a des signes qui ne trompent pas. Il y a des « passages » toujours employés quand les truites montent en amont et changent de niveau, des pools de repos, d'autres d'affût, des cachettes, des cascades et des « bains d'oxygène » sous les petites chutes. Bref tout un monde qu'il faut savoir interpréter et qui correspond à une solution qui existe dans votre coffre... ou dans votre esprit !

Des truites fardées dans le Québec? Oui !

     Fantastique, incroyable, mais tout ce qu'il y a de plus vrai ! Je ne sais si le monde halieutique en sera bouleversé, mais moi... je suis absolument renversé par cette nouvelle! Eh bien, on pourra dire que l'année 1966 nous en aura fait voir de toutes les couleurs!

     D'abord la nouvelle « en direct » et sans commentaire :

     « Samedi, le 18 juin 1966, 4 truites « Cutthroat » (Salmo clarkii) pesant respectivement : 1 livre et 2 onces ; 2 livres et 9 oz., 3 livres et 10 oz. et 4 livres et 5 onces furent capturées dans la rivière du Loup, en amont de St-Paulin. L'heureux pécheur : M. René Boulet, sportsman bien connu et distributeur des appareils électroniques « Fish Lo-K-Tor ».

     Évidemment si vous ne savez pas ce qu'est une truite ardée, cette nouvelle risque de vous laisser assez froid. Afin de vous faire participer au plaisir général, voici ce qu'il en est.

Une truite western à la « gorge coupée »!

     La truite fardée est à l'Ouest du pays ce que notre mouchetée est à l'Est. « Cutthroat », en anglais, signifie : «gorge coupée». En effet, ce salmonidé possède une marque rouge très caractéristique sous la mâchoire inférieure — d'où le nom de l'espèce. Mais si vous êtes un lecteur assidu de publications halieutiques américaines, vous aurez entendu parler de ce magnifique poisson sous les noms suivants : « Snake river cutthroat » ; « Yellowstone cutthroat » ; « Montana black spotted trout»; « Tahoe cutthroat»; «Colorado cutthroat », etc.

     En fait le McLane's Standard Fishing Encyclopedia ne donne pas moins de 8 noms régionaux et souligne que dans l'Ouest, les résidants disent simplement Native trout, c'est-à-dire truite indigène.

     Ce poisson ayant une forte tendance à l'hybridation, il est parfois difficile de l'identifier avec certitude en raison de la grande variété de robes qu'il peut porter. Le trait rouge sous la gorge est le plus sûr moyen.

     Le corps de la truite fardée est généralement 5 fois plus long qu'il n'est haut. La nageoire caudale (queue) est légèrement fourchue. Toutes les nageoires sont à rayons mous.
     La couleur prédominante est un jaune bien doré. Les mouchetures, parfaitement rondes et noires, sont très abondantes — y compris sur la nageoire dorsale et sur la petite adipeuse ainsi que sur toute la caudale. Les nageoires pectorales, ventrales et anales sont d'un bel orange très riche.

     La truite fardée comme sa cousine la mouchetée va souvent en mer et, comme cette dernière, sa couleur change. La fardée devient alors verdâtre. Certaines espèces deviennent anadromes — comme le saumon.

     Peu prolifique (comme notre mouchetée), la Cutthroat vit un peu plus vieille cependant : jusqu'à 9 ans. 6 ans est la moyenne d'âge. Elle est adulte et peut se reproduire vers l'âge de 4 ans - dépendant de la qualité des eaux. Ceci est à retenir : au contraire de notre mouchetée, la fardée fraye en hiver ou au printemps : en février ou mars pour les espèces côtières ; avril ou mai pour les espèces des eaux intérieures.

     Le record mondial pour la fardée est de 41 livres 1 Mais il s'agit d'une espèce de truite qui habitait le lac Pyramid et dont la race s'est éteinte en 1938... Dans les eaux intérieures, le poids maximum a été fixé à 5 livres. Les espèces côtières sont plus lourdes et le record est de 17 livres. Le poisson de 4 livres et 5 onces capturé par M. René Boulet est donc un sujet exceptionnel, à tous les points de vue !

Comment est-elle venue dans le Québec?

     Vous vous êtes sûrement demandé comment il se fait que ce poisson western se trouve dans le Québec ? Il ne s'agit pas d'un miracle, mais du fruit (tout à fait inespéré) d'un ensemencement expérimental effectué vers 1940 par le Service de la Faune de l'époque.

     Puisque aucun sujet n'avait été rapporté — jusqu'à ces jours-ci — aux biologistes du gouvernement, il nous était permis de croire que l'expérience avait raté... comme chaque fois qu'elle fut tentée dans l'Est du Canada ou des Etats-Unis, d'ailleurs. Par un hasard extraordinaire et une suite de circonstances heureuses, les fardées ont survécu! Et ce, dans un milieu qui est loin d'être propice à la prolifération d'une espèce aussi délicate que notre mouchetée, sinon plus ! En effet, la petite rivière du Loup, en amont de St-Paulin (route 44 vers St-Alexis-des-Monts) est territoire d'achigans et autres poissons ennemis des salmonidés. Quoi qu'il en soit, et contre toutes prévisions, la fardée est installée chez nous et atteint, comme on l'a vu, son poids maximum ! Le nom de René Boulet passera aux annales de la pêche sportive : vive le découvreur!

Comment la pêche-t-on?

     A la mouche, au lancer léger, à l'appât. A la mouche surtout : M. Boulet a réussi son exploit avec une mouche streamer Mickey finn. La fardée est méfiante, timide, mange « petit » : hameçons No. 8, 10 et même 12. Dans l'Ouest, les nymphes, les bucktails et les sèches donnent bien. Appâts : cette truite affectionne les écrevisses (!), les vers et les ménés. Les petites cuillères genre Jewel-lures ou Mepp's vous sont recommandées. L'avançon (comme pour la truite Brune) doit être très fin — 4 livres-test est un maximum selon les connaisseurs de l'Ouest.

     Il est à noter, cependant, que si M. Boulet avait suivi l'avis des experts de l'Ouest, il n'aurait sans doute pas rentré l'énorme sujet de 4 livres 5 oz.!

     Au fait, la prise record du pêcheur René Boulet mesurait 21 pouces.

     Ferons-nous bientôt des pêches miraculeuses comme celle de M. Boulet? Verrons-nous la truite fardée s'inscrire au rang des poissons sportifs primés par le Club de Pêche Maison de l'ami Richmond Pelletier? J'en doute.

     Bien que je sois fort optimiste de nature, je ne pense pas que les truites fardées s'installent chez nous d'une façon aussi éclatante que les truites brunes, par exemple, ou encore comme ces indésirables : les carpes allemandes . . . Mais espérons quand même !

     La petite rivière du Loup ainsi que la plupart des eaux de cette région sont publiques !

8— Qu'est-ce que la « Marigane »?
 
     Depuis quelque temps, des coups de téléphone et des lettres parviennent aux bureaux du Service de la Faune, rue Fullum, au Club de pêche Molson, rue Notre-Dame, ainsi qu'à La Presse.

La Marigane
     Qu'est-ce qui se passe ? Eh bien, on veut savoir au juste de quoi il s'agit quand on parle de la Marigane. Plusieurs lecteurs m'ont fait remarquer que ce nom n'était jamais employé il y a quelques années... serait-ce une nouvelle espèce de poisson ?

     D'abord « jamais employé » est exagéré. Dans la région métropolitaine, on a toujours employé ce nom, mais à cause de Claude Mélançon d'une part (voir « Les poissons de nos eaux ») et de Vianney Legendre, d'autre part (voir sa « Clef des poissons de pêche sportive et commerciale ») le nom de Marigane fut délaissé pour une traduction française de « Calico bass » — Le Crapet calicot. Ce n'est pas un nouveau poisson, c'est même un poisson très commun. Le vrai nom anglais de ce crapet est, selon le « Fishing Encyclopedia and International Angling Guide » : Black Crappie (Pomoxis nigromacu-latus) et « Calico bass » n'est qu'un nom régional.

     MARIGANE est le vieux terme français, et il est heureux qu'Albert Courtemanche, entre autres, l'ait remis à la mode au cours de ses rapports hebdomadaires de la pêche hivernale. Au début, l'équipe Courtemanche-Mongeau mettait toujours entre parenthèses l'appellation « officielle » — (Crapet calicot). Après quelques mois, ils décidèrent de n'employer que le nom français en pensant que la traduction de l'anglais serait oubliée ... Apparemment, certaines personnes ont la mémoire longue !

     Mon avis : on devrait dire Marigane (au féminin) tout court et oublier définitivement la traduction de l'anglais. Il ne s'agit pas ici d'une manifestation dissimulée de la « révolution tranquille »... mais de la logique pure et simple. Puisqu'il y a un nom français, employons-le, un point c'est tout.

Carte d'identité de la marigane

     Dans le royaume des crapets, Pomoxis nigromaculatus (son nom en latin) occupe une place de choix. Sa taille d'abord, le rend « noble » car elle dépasse son confrère d'un bon 4 à 5 pouces et peut atteindre, dans de bonnes conditions, le poids impressionnant (pour un crapet) de 4 livres! La moyenne toutefois se situe dans les y4 de livre avec une taille de 9 pouces. .. Maximum : 18 pouces.

     La Marigane est un beau poisson maculé de taches noires (nigro-maculatus) mais moins sombre, quand même, que le crapet de roche, par exemple. Dans les eaux bien éclairées, elle a même une tendance à grisonner si l'on peut dire. Sa nageoire dorsale est formée de 7 à 8 rayons épineux (le reste est mou) et sa nageoire anale en contient 6.

     Grégaire, Carnivore, toujours affamée (ce qui la rend sympathique aux pêcheurs), elle est largement répandue sur le continent nord-américain, du sud du Manitoba au Québec, et du Nebraska à la Pennsylvanie. On la trouve également, du nord du Texas au nord de la Floride, et tout le long de la côte de l'Atlantique. Elle fut introduite récemment en Colombie-Britannique.

     La Marigane affectionne les eaux calmes bien pourvues en végétation aquatique.

     La Marigane est strictement Carnivore et ses proies préférées sont les petits poissons, les insectes aquatiques et les crustacés.
Reproduction : la Marigane fait son nid au printemps (avril), en compagnie de ses congénères, Leurs nids forment une colonie serrée dans une profondeur de 3 à 6 pieds d'eau. La Marigane est prolifique! Une femelle d'une demi-livre produira entre 20,000 et 50,000 oeufs ! On cite même l'exemple d'une femelle ayant donné 158,000 oeufs! ! ! Ah ! si la truite mouchetée faisait de même...!

     La Marigane atteint la maturité à l'âge de 2 ans. Son taux de croissance moyenne est de 1 à 3 pouces 1/2 la première année, mais de 3 1/2 à 8 pouces la seconde. Ce poisson, pour atteindre une taille de 12 pouces, mettra 4 ans.

Comment on pêche la marigane

     Bien que la Marigane se pêche sous la glace avec un certain succès (voir les rapports de l'équipe Courtemanche-Mongeau), c'est au printemps et plus particulièrement pendant le mois d'avril, début mai, que se font les plus importantes captures. Pourquoi ? Parce que les Mariganes sont alors rassemblées en grandes compagnies dans le but d'aller fonder des colonies de nids. Les pêcheurs à la traîne — se servant de petits ménés — ou les pêcheurs au lancer léger (combinaison cuillère et mouche) font de belles affaires. C'est au coucher du soleil, avec des leurres du type popper ou des mouches — sèches ou noyées — que c'est le plus amusant. Ne vous éloignez pas du rivage si la profondeur est la bonne, 3 à 6 pieds. Les buissons submergés, les grands herbiers bien touffus sont ses cachettes préférées.

     Pour retirer un maximum de plaisir, pêcher léger! La Marigane est très combative et il lui arrive d'imiter son grand cousin, l'achigan, quand elle saute hors de l'eau. Généralement, elle essaiera de gagner le fond ou les buissons les plus proches afin d'y empêtrer votre ligne.

     Valeur culinaire : les filets de mariganes sont aussi bons que ceux de la perchaude ou de l'achigan. Son corps oblongiforme nous donne de gros filets en comparaison de la taille du poisson, ce qui est avantageux.

9 — Parlons du saumon

     Avant de se faire mettre en boîte, le saumon de l'Atlantique (Salmo salar) mène, paraît-il, une vie heureuse. C'est du moins ce que l'on dit et ce qu'il est plaisant de croire. Je n'en suis pas tellement certain ... Si le saumon était aussi heureux que ça dans les eaux pures et claires et dans les riantes cascades des tributaires du fleuve, ça se saurait !

Le Saumon
     On en entendrait parler un peu plus souvent et les pêcheurs ne reviendraient pas de Matane ou d'ailleurs ayant si triste mine... Qu'est-ce qui se passe? Il n'y a donc plus de saumon? C'est pas qu'il n'y en a pas, mais c'est qu'il y en a moins. Beaucoup moins. Il n'y a pas si longtemps, la plupart des rivières gaspésiennes et les autres cours d'eau importants de la Côte-Nord contenaient du saumon. Aujourd'hui, on les compte sur ses doigts et on les montre du doigt. Pêche commerciale trop intense, pollution des eaux ? Il y a ça, bien sûr, mais ça serait trop simple de tout mettre sur le dos des pêcheurs commerciaux et de la pollution. Il y a sûrement autre chose. Quelque chose qui fait que le saumon ne revient plus dans la rivière qui l'a vu naître.

Ça se passe comme ça :

     Théoriquement, ça se passe de la façon suivante : le saumon passe les premières années de sa vie, soit de 2 à 5 ans selon les régions, dans le cours d'eau où il est né. S'il a échappé aux prédateurs, aux maladies diverses qui le frappent, aux pêcheurs à la mouche et aux engins des braconniers, il redescend à la mer où il séjourne de 1 à 4 ans. Puis il revient vers son lieu d'origine car il est prêt pour la reproduction et tout recommence. Notre saumon de l'Atlantique ne meurt pas après la ponte. Du moins, beaucoup ne meurent pas et peuvent redescendre à la mer où ils reprendront des forces pour faire d'autres remontées. Car n'oublions pas que le saumon adulte ne mange pas en eau douce. S'il prend la mouche artificielle, ce n'est pas une question d'appétit, c'est une question nerveuse ! A la veille de se reproduire, le saumon est nerveux, tout l'agace.

     Dans l'estomac d'un saumon, jamais de nourriture. Des petites feuilles colorées, des cailloux brillants, un insecte bigarré peut-être, mais c'est de rage qu'il les a avalés... et sans faire exprès!

     Jadis abondant, notre saumon fait à peine vivre les pêcheurs commerciaux du fleuve et s'il suscite encore un vif intérêt chez les pêcheurs à la mouche, rares sont ceux qui peuvent se vanter d'avoir pris la limite quotidienne de 5 ou 40 livres ! Enfin, c'est agréable et ça remonte le moral de constater en lisant le Résumé des Lois de la pêche, que l'on « peut » prendre 5 saumons! Limite enthousiaste qui contribue surtout à nous amener des touristes américains, pas des saumons.

Au ministère des Pêcheries ...

     Au ministère de la Chasse et des Pêcheries, à Québec, on ne parle pas d'aménagement du saumon, mais de réhabilitation. J'espère que cette nuance ne vous échappe pas... De toute façon, les biologistes s'occupent actuellement de réhabiliter ce délinquant de nos rivières. L'an dernier, le ministère faisait déposer 250,000 saumoneaux dans la rivière Ouelle. Au cours de l'été 1961, plusieurs relevés techniques ont été faits et les recensements qui se feront dans ces eaux nous indiqueront si oui ou non la Ouelle sera pêchable. Tout indique qu'elle l'est déjà. Voici quelques-uns des travaux que les biologistes ont accomplis, accomplissent ou projettent d'accomplir. En 1961, après l'analyse du relevé technique des eaux de la rivière Nouvelle, le ministère chargeait la « Canadian International Paper » de déblayer un chenal dans la rivière afin de frayer un passage au saumon et à la truite de mer. Dans la rivière Matane, les biologistes effectuaient également un relevé des prises et la statistique ainsi colligée donnait un total de 1,100 saumons capturés par les pêcheurs sportifs dans ces eaux publiques. Le relevé démontre que la rivière Matane, une rivière ouverte au public, est une des meilleures rivières à saumon de la province.

     A Port-Cartier, dans le comté du Saguenay, les biologistes de la recherche appliquée, après avoir enquêté dans les eaux de la Rivière-aux-Rochers, éprouvaient l'impossibilité de réhabiliter la rivière et ils faisaient porter leurs efforts sur la rivière Dominique qui se jette dans le fleuve par le même estuaire.

     En juin 1962, on y ensemençait 100,000 saumoneaux et un autre ensemencement tout aussi considérable fut effectué plus tard dans la saison. Pour ce qui a trait à la réhabilitation des autres rivières à saumons et à leur éventuelle ouverture au public, on effectuera des relevés préliminaires à la Rivière-à-Mars dans Chicoutimi, à la Rivière Malbaie, à la rivière du Gouffre dans Charlevoix, à la rivière des Escoumains au Saguenay et à la Rivière-du-Bic, dans Rimouski.

     En marge de la recherche de base, les biologistes de la division des salmonidés anadromes, qui relèvent du Service des Recherches et de l'Enseignement du ministère, ont maintenant à leur disposition une rivière à saumons qui répond à des conditions idéales d'expérimentation, soit pureté des eaux et forêt ambiante. Il s'agit de la rivière Nabisipi, sur la Côte Nord du golfe, face à l'Ile d'Anticosti, où le ministère a monté une station de recherche adéquate et où travaille actuellement un personnel de 12 hommes. Bref, s'il y a de moins en moins de saumons, ce n'est certes pas la faute du ministère et de ses biologistes, car comme vous avez pu le constater, ça bouge à Québec!

10 — La pêche au Corégone

     Au tableau des diverses espèces de poissons à l'intérieur de votre résumé (rose...) des lois de la pêche, il y a un petit item : poisson blanc, avec, entre parenthèses : corrégone. Outre la faute d'orthographe dont l'affuble le résumé, ce poisson est si mal connu et souffre d'une telle réputation qu'il me tardait d'en parler. Et j'ajoute : d'en parler avec le plus grand bien et le plus vif enthousiasme !

     Sa carte d'identité est quelque peu surprenante. D'abord, on le classe avec les salmonidés dont il partage les goûts pour l'eau froide et claire bien qu'on le trouve presque partout ailleurs y compris dans l'Outaouais... et même plus bas dans le St-Laurent ! Son étymologie latine (Coregonus Clupeaformis) le classe parmi les harengs...

Le Corégone
     Bien oui : Clupea : Hareng et formis, de forme! Bon chef de famille des Corégonidés, qui comprend le Cisco, l'Ombre Arctique ou Poisson Bleu, il ne ressemble pas du tout aux truites malgré la nageoire adipeuse qui orne son dos. Mais il ne faut jamais se fier à la nageoire adipeuse car des poissons aussi éloignés que la barbotte ou l'éperlan ont aussi une adipeuse ... Bref, ce drôle de numéro qu'on appelle vulgairement Poisson Blanc en anglais : White Fish, et qui est définitivement plus argenté que blanc (ses étincelantes écailles brillent mieux que vos meilleures cuillères ! est prolifique au possible et beaucoup plus répandu qu'on ne le croit généralement. On le trouve dans presque tous les lacs importants des Laurentides et du Nord en général mais ne soyez pas surpris de le prendre au sud, même dans le Richelieu ! Taille : 30 pouces. Poids : 15 livres.

     Je vous annonce que je suis un spécialiste de la pêche au corégone et que chaque printemps, je me fais une joie d'en prendre le plus possible (la loi ne prévoit aucune limite) pendant les deux heures quotidiennes où il est possible de le pêcher.

     Voici pourquoi : (je parle des 2 heures.) Le Corégone est 10 fois plus lucifuge que le Doré. C'est un poisson benthique qui ne s'aventure en eau basse ou en surface que la nuit ou tout de suite avant et tout de suite après ; donc environ une heure AVANT le lever du soleil (au petit jour) et l'heure qui suit le coucher : la brunante.

     Si la plupart des pêcheurs ignorent le corégone, c'est qu'ils ne connaissent absolument rien de lui, tant gastronomiquement parlant que sportivement et la moue qu'ils font en le regardant au fond de ma chaloupe me fait penser au renard de la fable qui reluquait les raisins verts... !

Technique de pêche

      La bouche du corégone est si petite (c'est un insectivore et un mangeur de plancton) qu'il ne peut rien avaler qui dépasse 1 pouce de long et même les sujets de 6 livres et plus ont de la difficulté à saisir une cuillère de 2 pouces! J'ai dans mon coffre une quantité de leurres dits pour la truite de ruisseau ou pour l'achigan, leurres minuscules, qui n'ont jamais pris ni truites ni achigans mais qui valent leur pesant d'or pour le corégone ! Les couleurs argentées et rouges (les deux mêlées) sont les meilleures et si vous jouez de la canne à mouche avec quelque peu d'adresse, les mouches blanches et rouges qui ne valent rien pour la truite sont excellentes pour cet étrange poisson. Il faut ferrer avec la plus grande délicatesse sans ça, vous lui arrachez la bouche. Sa touche ressemble un peu à l'impression qu'on a quand un leurre touche une herbe pendant une fraction de seconde pour se libérer ensuite.

     Mais là s'arrête toute comparaison ! APRES, c'est une lutte prodigieuse que bien des pêcheurs qui ne savent pas à qui ils ont affaire prennent pour le combat que va leur offrir un achigan. Je dis « va leur offrir » car il est bien rare qu'ils gardent le corégone ! Encore une fois, ce poisson a des lèvres si frêles qu'il faut le manier et le conduire au filet comme une jeune mariée ... si j'ose dire!

     Le corégone n'est pas difficile et prend tout ce qui est petit et de la bonne couleur. L'ennui c'est le peu de temps qu'il nous accorde pour le pêcher ... Une heure, par jour très clair, 3/4 d'heure à peine, ce n'est pas beaucoup. Il faut donc employer au maximum ce laps de temps. Au pied des rapides, en tout cas jamais loin de l'eau très courante, c'est là que vous le trouverez. Au mois de novembre il vient frayer dans les rapides et les Indigènes (dans le sens de : gens qui habitent cette région) le prennent à plein panier au trident fortement plombé qu'ils lancent au hasard et récupèrent vivement dans l'espoir qu'un hameçon se prendra dans le dos ou le ventre du Corégone. Cette façon de pêcher n'a rien d'illégal à condition de ne pas la pratiquer après le 9 novembre, date de clôture de la saison qui lui est réservée.

     Au printemps jusqu'en juin, il mord mieux le matin, AVANT le lever du soleil. En été, très tard le soir APRES le coucher du soleil ou mieux encore, au clair de lune. Le reste de la journée, il le passe en eau très profonde et sert de nourriture aux gros dorés et aux truites grises. Une grosse femelle peut pondre jusqu'à 150,000 oeufs. C'est donc un poisson très prolifique que bien des pays ont ensemencé avec succès dans leurs eaux. Ici, il est si abondant et si peu péché qu'aucune limite ne réglemente sa capture.

11 — L'achigan

     Enfin, le moment est venu de parler du plus extraordinaire poisson habitant les eaux douces de cette plantète : l'achigan ! Il est difficile d'écrire le mot Achigan sans un A majuscule et un point d'exclamation ... (!) car, pouce pour pouce, livre pour livre, c'est le plus fantastique combattant dont un pêcheur puisse rêver. Tout de muscles et d'humeur belliqueuse correspondante, l'achigan est un exemple des vertus halieutiques concentrées!

l'Achigan a petite bouche
     Toute proportion gardée, il est plus fort que le saumon, et aucun courant, si fort soit-il, ne le fatigue. Il saute dix fois mieux que la truite mouchetée et peut donner des leçons même à la ouananiche ; sa fougue ne connaît pas d'égale et la férocité du brochet est un gag comparée à la sienne : il ne craint personne, même pas le maskinongé (qui pourtant le mange...) et il attaque n'importe quoi, même l'homme armé d'un bâton qui menace l'invisible frontière de son nid à l'époque de la fraie. Son appétit est aussi imprévisible que varié.

     On dépense des millions de dollars pour le pêcher et des milliers de personnes lui doivent leur pain quotidien. Si l'achigan venait à disparaître, le monde halieutique connaîtrait une catastrophe absolument inimaginable causant le « suicide » massif de 10 millions de pêcheurs, publicitaires, manufacturiers, distributeurs et vendeurs de leurres qui n'existent qu'à cause de lui ! Nos voisins du sud, très forts en statistiques de tous genres, assurent qu'il se dépense annuellement sur le seul continent nord-américain plus de 20,000,000 de dollars pour pêcher l'Achigan ! Je trouve ce chiffre non pas exagéré, mais très conservateur quand on sait le nombre de pêcheurs (environ vingt millions. ..) qui ont dans leur coffre au moins une demi-douzaine de leurres spécialement conçus pour l'Achigan. Et vous savez le prix des leurres !

     A cause de l'Achigan, on édite des magazines en couleur aussi somptueux que des livres d'art... A cause de lui, des compagnies importantes dépensent des sommes folles en recherches scientifiques. A cause de lui, des régions délaissées par la truite se sont transformées pour connaître, à nouveau, les fruits d'une bouillonnante activité halieutique.

     C'est le cas de le dire, l'Achigan vaut son pesant d'or et bien des États d'outre frontière lui doivent, par ricochet, de balancer leur budget ! Au Québec, pays de la mouchetée, la situation n'est pas la même et nous pouvons encore (mais pas pour longtemps !) nous payer le luxe de ne pêcher que le saumon (de moins en moins...) ou la truite. D'autre part, nous n'avons ici qu'une seule espèce d'Achigan. Celle dite : à petite bouche, (Micropterus Dolomieu) la lèvre ou maxillaire supérieur ne dépassant pas l'oeil. Ce poisson n'atteint jamais la taille de son cousin « à grande bouche » (Micropterus salmoides) puisqu'on a déjà pris des sujets de 36 pouces de long avec un poids de 20 livres! L'Achigan à Grande bouche est un ami des eaux chaudes et ne se plairait pas, même dans le St-Laurent, et je doute qu'il pourrait survivre à nos hivers rigoureux. Nous allons donc parler de celui que nous avons et qui, entre parenthèses, vaut bien l'autre, car les eaux froides de notre province ont décuplé (est-ce possible î) son ardeur au combat.

Un redoutable poids-plume !

     Je vais peut-être m'attirer l'ire des connaisseurs de la boxe, mais personnellement, je préfère les poids-plumes aux poids lourds. Ce qui m'impressionne, c'est la fulgurante vitesse des coups donnés (et esquivés !), la grâce féline de l'attaque et de la retraite, et surtout la vitalité électrifiante qui se dégage du combat. L'Achigan, c'est le poids-plume de nos eaux! S'il est théoriquement possible qu'il atteigne une taille de 24 pouces et un poids de 8 ou 9 livres, la moyenne se situe dans les 10 ou 12 pouces avec un poids d'une livre et demie — deux livres. Pourtant, quand on connaît bien l'achigan, qu'on sait où aller et quoi lui offrir, on améliore très sensiblement ces moyennes et j'ai, pour ma part, souvent pris des sujets de 3 et 4 livres et quelquefois (rarement je l'avoue) des « pépères » de 5 livres et quelques onces... Pourtant, même avec un poids aussi faible, comment se fait-il que l'Achigan fasse tant parler de lui et réussisse à allumer dans l'oeil de tout pêcheur digne de ce nom cette lueur glorieuse ? C'est très simple : L'Achigan est un « monstre » d'énergie et il sait employer chaque once de son poids à bon escient. Quand un achigan percute un leurre, il s'ensuit une explosion d'action 1 II n'y a pas d'autres mots pour décrire le combat qui va s'engager et l'on ne prendra pas l'achigan au filet comme on veut. C'est lui qui mène le bal, et quand on n'est pas bon pêcheur, on ne le prend pas du tout!

Bon père de famille !

     Les poissons de nos eaux sont généralement de très mauvais parents (sauf la barbotte), l'achigan est une notable exception à cette règle. Si vous voulez bien, nous allons faire nos petits voyeurs et suivre l'Achigan dans son voyage de noce! Quand, vers la mi-juin, l'eau atteint les 60 degrés F. le mâle se dirige vers un fond pierreux de la rive où, dans une profondeur de 3 à 5 pieds d'eau, il va commencer à faire le ménage ! Le fantaisiste Jacques Normand prétend que « le Castor est le seul animal qui construise sa maison avec sa queue...» et bien c'est faux et exagéré ! C'est l'Achigan qui fait cela, et qu'on se le dise! Or, c'est avec sa caudale qu'il nettoie le fond et fait un travail de nivelage des petits cailloux ou du gravier. S'il n'y en a pas assez, il fera du transport buccal (!) et nous assistons à un touchant va-et-vient dans ce qui va devenir une forteresse circulaire de 3 à 4 pieds de diamètre mais dont les invisibles frontières peuvent s'étendre jusqu'à une dizaine de pieds du point X. Désormais, tous ceux qui tenterons de s'approcher de cet endroit seront foudroyés sur place. Et ça, ça veut dire TOUT LE MONDE y compris le Maskinongé et l'homme et ses engins. Ce magnifique courage est, hélas, la cause de sa perte et d'une grave diminution de l'espèce dans les eaux que les lois ne protègent pas efficacement. Voilà pourquoi il est interdit de pêcher l'Achigan avant le premier juillet.

     Avant cette date, ce héros se sacrifie pour sauver sa progéniture et attaque en mordant sauvagement à n'importe quel leurre. Les braconniers et les gloutons de la pêche en savent quelque chose ... les maudits ! ACHIGAN est une déformation du mot indien de la tribu des Algonquins: atchi-gane, c'est-à-dire : celui qui combat. En effet, sa vie est un perpétuel combat. Pour la possession des femelles, nous assistons parfois à des duels héroïques et glorieux pour une belle qui assiste à tout cela avec la choquante indifférence qui caractérise les femelles... pas nécessairement Achigans. Après cette furieuse démonstration de sa vigueur, il vient « caresser » les flancs, les opercules et les maxillaires de sa fiancée et la pousse tout doucement vers le nid où elle viendra gratter son ventre, lourd de son faix, et déposer sur le gravier entre 2,000 et 5,000 oeufs adhérents. La puissance sexuelle de l'Achigan lui permet de recommencer cette opération avec 3 femelles. Donc, un nid peut contenir théoriquement, 10,000 oeufs.

Stratégie de la pêche à l'Achigan

     Nous avions quitté l'Achigan qui venait de conduire au nid une ou deux belles de son choix. Ayant jeté sa laitance sur les oeufs adhérents et chassé des lieux les femelles qui n'auraient rien aimé de plus que de gober le fruit de leur labeur, le mâle se poste maintenant en amont du nid et « aère » les oeufs, les rafraîchit et les oxygénise, par un lent et régulier battement des nageoires pectorales.

     De cette façon il règne dans l'enceinte même du nid un « climat » assez constant. Pendant cette pacifique opération, l'achigan ne dort pas, loin de là ! Il est tout yeux tout oreilles aux moindres ombres, aux plus petites vibrations. Non seulement des confrères ou ses ex-épouses essaieront de le distraire pour lui voler ses oeufs, plus tard ses petits, mais poussés par la faim, de stoïques cyprins vont essayer leur chance...

     Même si l'Achigan ne mange rien pendant la période d'incubation et jusqu'à ce que les petits soient assez grands pour prendre soin d'eux-mêmes, il n'a rien perdu de son humeur belliqueuse et de son grand talent pour les attaques explosives et meurtrières! Malheur à quiconque s'approchera de la frontière ... il ne mange rien mais il tue tout aussi bien ! Au bout de quinze jours les petits sont nés. Le père en prend un soin tout aussi jaloux et pousse même la délicatesse et l'amour paternel jusqu'à prendre dans sa bouche les petits qui se sont éloignés du nid afin de les ramener à la sécurité du bercail ! Toutefois, il arrive qu'il s'oublie et avale « sans faire exprès », bien entendu, son rejeton ... Mais la chose est rare si l'on en juge par la prolifération de l'espèce et malgré la pêche intense dont elle fait l'objet. Oui, l'Achigan est un bon père de famille!

     Devenus grands et capables de se débrouiller seuls, les petits Achigans gagnent les herbiers où vivent les ménés ou cyprins. Ils ne vont pas tarder à se tailler une solide réputation! Fini le plancton des premiers jours, maintenant c'est du sérieux. Dans de bonnes conditions et si le benthos est assez généreux, l'Achigan va désormais prendre une demi-livre par année. Il atteindra les poids records que nous souhaitons si : ses parents ne le mangent pas un quart d'heure après la libération du nid (ils ne le reconnaîtront pas...), si les brochets et les gros crapets, sans parler des perchaudes, ne le découvrent pas et s'il ne moucheronne pas trop avidement dans des coins habités par les pêcheurs à la mouche ! Ses compagnons d'enfance vont soudain se transformer en pâture et il va connaître les joies de la déprédation massive. L'appétit de I'Achigan est aussi varié qu'imprévisible, je l'ai déjà dit, et l'on serait tenté de conclure qu'il est omnivore. C'est à ce moment que l'homme intervient et qu'il oppose son appétit sportif ou autre à celui, très légitime, de I'Achigan devenu grand.

Les leurres

    Les puristes pèchent à la mouche. Les autres, c'est-à-dire tout le monde, ou presque, vont connaître les affres d'un choix illimité dans un monde sans limite qui est le propre de l'homme, et particulièrement de l'homme qui pêche I'Achigan! Ce n'est pas une ou deux chroniques, mais des livres entiers qu'il faudrait consacrer au choix des leurres pour pêcher I'Achigan. Quand on feuillette les catalogues américains, on est estomaqué par l'abondance et la profusion d'engins aussi invraisemblables que bigarrés, aussi logiques qu'illogiques... Dans tout cet arsenal, que va-t-on choisir et qu'est-ce que ça vaut ? Eh bien, aussi étrange que cela puisse paraître tout est bon ! ! ! Ça n'a pas l'air logique, mais c'est la stricte vérité. Car I'Achigan défie toute logique et peut rendre fou n'importe quel systématicien de la pêche dans mon genre . .. d'ailleurs, autant vous l'avouer tout de suite, I'Achigan m'a rendu un peu fou. Témoins, mes coffres de pêche !

     Mais je ne suis pas seul et je me console en me disant que mes collègues sont aussi atteints que moi et un simple coup d'oeil dans le coffre du voisin me l'a toujours prouvé. Puisque mon métier veut que j'explique ce que j'avance, voici : si I'Achigan mord à tout et à rien et qu'on ne peut définitivement pas pêcher avec « rien », il faut se procurer tout. Vous me suivez ? Bon. De toute façon les manufacturiers, eux, ont très bien compris la chose comme on peut le constater en visitant le premier marchand ou distributeur venu.

Oui, ça fonctionne !

     Pensez ce que vous voulez de nos voisins les Américains, mais admettez tout de même une chose : Ce sont d'extraordinaires hommes d'affaires, des commerçants dont l'efficacité n'est plus à démontrer, des propagandistes hors de pair. Pour qu'un leurre soit rentable, qu'il se vende et se maintienne dans le « hit-parade » des catalogues halieutiques, saison après saison, qu'on le trouve dans 8 coffres de pêche sur 10, il faut que ce leurre donne des résultats. Et j'ai le grand regret de vous l'annoncer, ce n'est pas un leurre qui prendra I'Achigan mais 500 différents leurres selon les humeurs ou l'appétit de ce difficile petit snob !

     Or, si on fabrique, distribue et met en vente une telle variété de leurres, c'est qu'ils ont fait leur preuve. Sans ça on discontinuerait la « ligne ». Tant qu'on n'aura pas trouvé le leurre définitif (agréable mais très improbable supposition ...), il y aura toujours du nouveau sur les comptoirs. Que voulez-vous que je vous dise de plus?

     Un poisson qui, sans raison apparente, refuse le ver de terre pour happer un dare devil, ne prend que la souris quand la veille il ne mordait qu'aux grenouilles, choisit l'écrevisse quand vous êtes monté pour devonner, ne gobe que les larves quand vous vous mettez à moucher ! Y'a de quoi rendre fou, c'est bien simple.

     Le bon pêcheur doit donc tout avoir dans son coffre et tâcher, une fois sur place, de deviner aussi intelligemment que possible ce que voudra I'Achigan. Il y a des heures où les crazy crawlers et les poppers sont meurtriers, d'autres où vous jugeriez que ça leur fait peur ! Certains jours, pour aucune raison connue, il n'y a que les flat-fish qui donnent bien et les devons, rien du tout. Pourquoi? Je n'en sais rien ! Et je vous mentirais si pe prétendais le contraire. Je ne vends pas de leurres moi, je les achète ! Et même pour vous faire plaisir, je ne pourrais même pas dire quoi acheter. Depuis 15 ans, j'achète sans cesse de nouvelles et d'anciennes trouvailles, européennes, japonaises ou américaines, qu'importe ? Depuis 1886, la plupart des pays du monde civilisé ont implanté dans leurs eaux notre Achigan. S'ils ont réussi à l'acclimater, ils ne sont pas plus fins que nous et n'ont pas encore découvert le leurre miracle... Je peux vous raconter les pêches que j'ai faites en détail. Je ne peux pas vous dire comment pêcher!

     Car moi-même, à chaque voyage dans le pays de l'Achigan, je redeviens explorateur et j'ai honte, car je passe pour un grand connaisseur... l'Achigan se charge de me remettre à ma place et devant lui, comme bien d'autres, je ne suis qu'un amateur.

Le mystère des « petits » achigans

     Combien d'amis pêcheurs, même de grande expérience, et combien de lecteurs m'ont demandé : « Comment se fait-il que les achigans de la plupart des lacs ou des rivières du nord de la province sont si petits î Est-ce qu'ils ne peuvent pas grossir en eau froide. Est-ce une race spéciale ? »

     Entre pêcheurs, l'achigan des Laurentides est un sujet de conversation très courant et il est surprenant de constater à quel point ces pêcheurs sont peu renseignés... Ce n'est pas les théories visant à expliquer la petite taille des achigans qui manquent, pourtant ! Sur cette question, tout le monde se fait une idée. Tout le monde semble assuré que son explication est la bonne... Que diriez-vous d'une explication scientifique basée sur de récentes observations (études poursuivies en 1960 et 1961) et signée par un biologiste du Service d'aménagement de la faune ? Voilà, je crois, qui va régler bien des discussions et jeter un peu de lumière sur le mystère des petits achigans.

     Cette étude sur l'achigan et son comportement dans les lacs des Laurentides est le fruit du travail de M. Gérard Pageau, biologiste, à l'emploi du Service d'aménagement de la faune du district de Montréal depuis 1962. Auparavant il a travaillé sur l'achigan, comme sujet de recherches pour la préparation de son doctorat. De plus, M. G. Pageau a été le responsable de l'équipe qui, en 1962, a étiqueté le doré à Ste-Anne-de-Bellevue. Plus tard M. Pageau fut en charge de l'équipe qui s'occupa du maskinongé à St-Gabriel-de-Brandon.

Comportement de l'achigan introduit dans les lacs

     L'achigan, introduit dans les lacs des Laurentides, ne donne pas toujours, du point de vue de la pêche sportive, les résultats attendus, loin de là ! Les premières années, la pêche peut être intéressante ; mais bientôt les achigans se multiplient à profusion et demeurent petits — trois à sept pouces de longueur — ce qui, pour le pêcheur sportif, ne présente plus aucun intérêt.

     A très peu d'exception près, c'est l'évolution habituelle de l'achigan introduit dans les lacs des Laurentides. C'est pourquoi les biologistes s'opposent à l'introduction de cette espèce dans les lacs du nord. D'autant plus que l'achigan est un poisson vorace qui peut rapidement faire maison nette auprès des autres espèces d'intérêt sportif. En fait, dans les Laurentides, nombre de lacs ont été ruinés par l'introduction de l'achigan.

     Jusqu'ici, on a interprété de la façon suivante le comportement des populations d'achigans dans les lacs des Laurentides : l'achigan qui est très prolifique se multiplie très rapidement et, en très peu d'années, la population devient très considérable ; faute de nourriture suffisante pour l'abondance de la population, l'achigan demeure petit. Un comportement semblable se remarque chez la perchaude, le crapet et la barbotte, dont les eaux plus chaudes et plus productives de la plaine du Saint-Laurent constituent l'habitat naturel.

L'explication suivante est la bonne!

     M. Gérard Pageau poursuit son étude et nous apprend que l'explication fournie jusqu'à maintenant sur la faible croissance de l'achigan du nord, ne serait pas exacte. Voici pourquoi : Des déterminations d'âge par les écailles ont démontré que les achigans de même longueur provenant des eaux de la plaine de Montréal ou des lacs du nord étaient sensiblement du même âge. Tout au plus remarque-t-on un léger avantage de poids en faveur des achigans d'eau chaude. Dans les lacs du nord, les populations sont formées à peu près exclusivement de jeunes achigans, qui dépassent rarement 3 ans. Les sujets plus âgés, partant de forte taille, sont très peu nombreux. Ils suffisent toutefois à assurer une progéniture abondante.

     La petite taille des populations d'achigans des lacs du nord ne serait point, ainsi qu'on l'a cru jusqu'ici, un phénomène de nanisme par manque de nourriture, mais une question de survie chez les adultes.

     L'achigan est très peu actif en hiver : il vit sur les réserves de graisse accumulée durant la belle saison. Si la saison froide est trop longue, les sujets adultes, même si la nourriture est abondante, n'arrivent point à emmagasiner autour de leurs viscères des réserves suffisantes pour survivre. Des spécimens recueillis au départ des glaces ont montré un épuisement total des réserves.

     Dans les Laurentides, l'hiver est long : l'achigan, poisson d'eau chaude, inactif en eau glacée, ne se nourrit pas ou très peu depuis la fin d'octobre jusque vers la fin mai. Les réserves de graisse s'épuisent avant le retour de la saison favorable et l'achigan meurt. Ainsi, la faible taille des populations d'achigans dans les lacs des Laurentides ne serait point un phénomène de nanisme causé par manque de nourriture, mais une question de climat.

     Quelle que soit l'explication fournie, le résultat est le même : l'achigan est dans son milieu et a une très haute valeur sportive dans les eaux de la plaine de Montréal, mais son introduction dans les lacs des Laurentides est généralement vouée d'avance à un échec. Vous voilà donc renseignés de façon exacte sur cette importante question halieutique. Ceci est une preuve de plus qu'on ne devrait JAMAIS ensemencer à la légère des territoires de pêche. D'ailleurs, la loi interdit désormais tout programme d'ensemencement d'une pièce d'eau quelconque sans la permission du gouvernement. Et c'est heureux qu'il en soit ainsi. Car, les gens s'imaginent que la Conservation, c'est de mettre du poisson dans les eaux dépeuplées... D'accord, mais encore faut-il que ce poisson soit le bon et que son introduction dans des eaux qui ne lui conviennent pas ne fasse exactement le contraire de ce qu'on aurait voulu faire !

Les achigans à grande bouche :

     A la suite d'articles où je traitais des moeurs de l'Achigan et des méthodes de pêche qui conviennent à ce difficile poisson, j'ai reçu de nombreux coups de téléphone de protestation car j'écrivais : «... nous n'avons ici qu'une seule espèce d'Achigan, celle dite à petite bouche (Micropterus dolomieui) la lèvre ou maxillaire supérieur ne dépassant pas l'oeil. Ce poisson n'atteint jamais la taille de son cousin à grande bouche (Micropterus salmoides) puisqu'on a déjà pris des sujets de 36 pouces de long et d'un poids de 20 livres. » J'ajoutais aussi que : « l'Achigan à grande bouche est un ami des eaux chaudes et ne se plairait pas, même dans le Saint-Laurent, et je doute qu'il pourrait survivre à nos hivers rigoureux. »

l'Achigan a grande bouche
   Voilà ce que j'ai écrit et c'est ce que je pense. Ça fait plus de 20 ans que je pêche l'Achigan et je n'ai jamais pris ni jamais vu d'Achigan à grande bouche, sauf dans les aquariums des stations de pisciculture. La plupart de mes amis qui pèchent régulièrement l'Achigan dans la meilleure région du Québec pour ce faire, i.e., la Rivière Saint-François, le Lac St-Louis et le Lac des Deux-Montagnes ainsi que la Rivière Outaouais, sont de mon avis. On m'a souvent fait voir des Achigans à grande bouche... Après un examen plus minutieux, nous avons toujours conclu qu'il s'agissait de l'espèce « petite bouche » même si le maxillaire dépassait légèrement l'oeil... Le maxillaire n'est d'ailleurs pas le caractère essentiel permettant de différencier les espèces, c'est un caractère permanent, soit, mais il faut aussi compter les écailles sur les joues de l'animal. Horizontalement de l'oeil au bord de la joue, il doit y avoir de 9 à 12 rangées d'écaillés. Théoriquement, nos eaux froides du nord ne contiennent que l'Achigan à petite bouche (Micropterus dolomieui) MAIS il se pourrait que son frère sudiste se soit acclimaté dans quelques lacs du nord. J'aimerais pouvoir être catégorique sur cette question mais je ne le peux pas. Malgré les énergiques protestations de Jean Baulu, estivant du Lac Simon, je ne croirai à l'Achigan à grande bouche que lorsque je l'aurai vu!
 
Aidez-moi s.v.p. !

     Je m'adresse à vous tous, lecteurs, si vous prenez un Achigan à grande bouche, de grâce, ne le mangez pas ! Congelez-le et amenez-le-moi. On le passera à la télévision et on le fera identifier positivement par un biologiste. Non seulement je serais curieux de savoir s'il existe vraiment des Achigans à grande bouche dans les rivières ou lacs de la province de Québec, mais aussi, de savoir quelle taille ces géants de la famille atteignent en eau froide. N'ayez pas honte de m'apporter un spécimen d'une livre ou d'une demi-livre !

     Quelles que soient les dimensions de l'Achigan à grande bouche, nous apprendrons beaucoup en l'examinant en compagnie d'un biologiste. Son âge sera particulièrement révélateur en comparaison de son poids et de sa taille. Ne trichez pas et ne traversez pas la frontière pour aller chercher une « grande bouche » aux Etats-Unis, par exemple ! Je suis intéressé aux Achigans à grande bouche du QUEBEC seulement ! Je suis également persuadé que la Société canadienne d'écologie sera intéressée par votre prise. Dans le livre du Dr Vianney Legendre, « Clef des poissons de pêche sportive et commerciale de la province de Québec », l'illustration (une photo) est gracieusement fournie par le State of New York Conservation Department... c'est tout dire ! Et pour illustrer l'achigan à petite bouche jeune, très reconnaissable à cause des taches sombres tout le long de la ligne latérale, il fallut demander où se procurer une photo provenant du State of Illinois,

     Department of Registration and Education ... Ce qui prouve que le Département de biologie de l'Université de Montréal n'a pas tous les jours sous la main un Achigan à grande bouche à photographier! Les personnes qui m'ont téléphoné rendraient un grand service à la science en gardant précieusement un spécimen grande bouche afin qu'on puisse l'examiner sérieusement.

     Voilà les questions que je me pose et dont j'aurai bientôt les réponses, grâce à VOUS. S'agit-il de l'espèce « grande bouche » (Micropterus salmoides) ou d'un hybride des deux espèces? Ce géant des centrarchidés souffre-t-il de nanisme congénital en eau froide? Pourquoi vit-il dans tel ou tel lac et non ailleurs dans la région ? A-t-il été amené dans ce cours d'eau ou est-ce un authentique indigène?

     A toutes ces questions, nous trouverons des réponses. Et s'il y a vraiment des Achigans à grande bouche dans un lac laurentien, que faudrait-il faire pour améliorer leur sort afin qu'ils puissent atteindre la taille et le poids remarquables qui font la joie des sportsmen d'outre-frontière? Encore une fois, je compte sur votre collaboration et votre amitié. D'avance je vous remercie!

12 — Cette "pin-up" méconnue, La Laquaiche !

J'aime parler des jolies choses (et les pin-up en font partie ...) et, lorsqu'il s'agit d'un poisson, c'est toujours avec un enthousiasme débordant : la Laquaiche ou Laquesche, comme on l'écrit dans certains ouvrages, argentée mérite cet enthousiasme.

la Laquaiche
     Ce magnifique poisson est, hélas, fort mal connu et peu de Canadiens français le pèchent. C'est bien dommage... d'autant plus, qu'au bout d'une mince canne de lancer léger ou mieux, ultra-léger, la Laquaiche livre un combat de premier ordre qui fait penser à l'achigan, ce qui veut tout dire !

     Cette grande nageuse, témoin sa caudale fourchue, est également une sauteuse remarquable dont tous les pêcheurs à la mouche qui connaissent un peu la question vous diront le plus grand bien. Comme le Corégone ou l'Alose, avec laquelle on la confond parfois, la Laquaiche moucheronne avec plaisir mais ses lèvres délicates et sa très petite bouche interdisent les leurres importants ou les hameçons de forte taille. On a souvent des touches de Laquaiche (que l'on prend pour du petit achigan ou de la grosse perchaude qui mordraient mal...) mais lorsqu'on n'est pas connaisseur, on ne s'en rend même pas compte ! Il n'est pas nécessaire de s'équiper spécialement pour pêcher la Laquaiche. N'importe quelle cuillère à truite mouchetée de ruisseaux fait l'affaire et l'on améliore le rendement en ajoutant un ver et, si vous mouchez, en « Saint-Sauverisant » vos mouches!

Amie des eaux courantes…

     C'est sur le territoire des achigans que l'on trouvera cette amie des eaux courantes. Tous les cours d'eau voisins de la métropole en contiennent et si je devais spécifier un endroit, je recommanderais vivement le grand courant en amont du pont de Ste-Anne-de-Bellevue, entre la jetée du canal et l'Ile-aux-Vaches, ou bien encore, dans les rapides en aval du pont de Dorion. Il va sans dire qu'on pêche la Laquaiche ailleurs, et je ne cite ces endroits que parce que je les connais bien et que j'y ai remporté des succès dont je suis très fier ... sans modestie !

     Le secret : faire de très longs lancers, laisser couler le leurre, récupérer.

     Quand vous ferrez, le coup doit être donné en douceur ; le moindre geste brusque de votre part et les lèvres ultra sensibles de la Laquaiche se déchirent. Somme toute, c'est sensiblement la même technique que pour le Corégone dont nous avons déjà parlé dans cette chronique. Mais, le Corégone se pêche AVANT le lever du soleil et APRES son coucher, alors que la Laquaiche peut se pêcher toute la journée. Cet avantage est à exploiter. Mais s'il faut en croire certains spécialistes de l'île Perrot, comme Guy Godin par exemple, c'est de 7 h. 30 à 9 h. 30 p.m. que ça mord le mieux.

Carte d'identité :

     La Laquaiche argentée est si mal connue qu'il m'apparaît essentiel de vous la décrire et de vous parler de ses moeurs, car ne perdons jamais de vue le principe suivant : c'est en connaissant son poisson que l'on devient bon pêcheur.

     La Laquaiche argentée, tout comme sa cousine de l'ouest dont nous parlerons tout à l'heure, est un poisson de l'ordre des Isospondyles, donc à vertèbres égales. C'est un poisson oblongiforme et assez plat qui peut servir de modèle pour confectionner un aviron. D'ailleurs, il emploie cette technique de l'aviron chère à l'achigan en se plaçant de travers dans le courant, opposant la masse d'eau entre vous et lui ! Famille des Hiodontidés : indique qu'il a des dents sur la langue. D'ailleurs les Américains disent parfois « Toothed Herring » mais le terme le plus employé est Mooneye en raison de ses gros yeux ronds, ma foi assez lunatiques en effet ! Son étymologie latine : Hiodon tergisus. Hiodon pour les dents linguales et tergisus pour l'éclat de ses brillantes écailles argentées. Ses écailles étonnent en raison de leur taille inusitée chez un poisson qui ne dépasse pas 15 ou 16 pouces de long avec un poids moyen de 2 livres. Mais, les pêcheurs commerciaux des Grands Lacs où la Laquaiche s'est installée (sauf le Lac Supérieur) ont déjà ramené des sujets de 3 livres. La moyenne des prises, dans nos eaux laurentiennes, se situe dans les 12 pouces avec un poids d'une livre, une livre et demie. Certains pêcheurs ont surnommé la Laquaiche : « Tarpon d'eau douce ». A mon avis, elle est tout à fait à la hauteur de ce compliment.

     La Laquaiche fraie au début juin dans les mêmes eaux que celles qu'elle habite l'été. Comme l'Alose, ses oeufs sont libres et flottent clans le courant. Malgré ce peu de soin apporté aux futures Laquaiches, l'espèce se maintient sans trop de difficulté. Heureusement, car il est presque impossible de faire reproduire artificiellement la Laquaiche.

     Car les glandes sexuelles des mâles ne renferment des spermatozoïdes actifs qu'à leur extrémité postérieure et, même sous forte pression, la laitance n'est exprimée que par de rares petites gouttes. D'autre part, on croit savoir que les femelles qui n'arrivent à maturité qu'à l'âge de 4 ans, ne pondent que tous les 2 ans. Les Laquaiches mangent des petits menés, des insectes ou les larves de ceux-ci, des petites écrevisses et des escargots aquatiques. Donc, tous les micro-leurres (toujours à cause de la bouche !) imitant cette nourriture doivent être employés. Le bon vieux ver de terre fait toujours le même bon vieux travail... c'est ce qu'on emploie le plus souvent, à condition d'ajouter une petite cuillère pour créer de l'intérêt !

Sa cousine de l'Ouest...

     On voit souvent dans les grands marchés de poissons de la métropole une espèce de laquaiche vendue sous le nom de « Winnipeg Gold Eye ». La province du Manitoba doit être bien fière, à juste titre d'ailleurs, d'avoir fait connaître au monde gastronomique un si beau poisson. Ce Winipeg Gold Eye est en réalité ce qu'on appelle la Laquaiche aux yeux d'or et qui vit dans certains lacs de YAbitibi, à Macamic par exemple.

     Comme tout bon citoyen de ce pays des mines d'or, la Laquaiche a fait une concession et ses écailles ont le reflet de ce précieux métal. Et son oeil rond est complètement doré, d'où son nom anglais. L'étymologie latine est moins descriptive et se contente de dire : Amphiodon alosoides. C'est-à-dire « ayant des dents partout comme l'Alose ». Cette cousine de l'Ouest canadien et de l'ouest du Québec est sensiblement plus grosse que notre Laquaiche argentée du St-Laurent car on pêche plus souvent des sujets de 2 livres et quelques onces. Par ailleurs, les moeurs sont à peu près les mêmes, et l'on peut reconnaître d'un simple coup d'oeil les mâles des femelles car les mâles ont des glandes reproductrices de couleur rougeâtre toute l'année et leur nageoire anale forme un lobe prononcé aux rayons gros et forts. Chez la femelle : les rayons sont droits et la nageoire peu concave.

     Les pêcheurs à la volée de Senneterre, de La Sarre et de Macamic connaissent bien cette belle aux yeux d'or et c'est un peu grâce à eux que j'ai pu vous entretenir quelque temps de cette « cousine de l'Ouest ».

13 — Cette mystérieuse ouananiche

     Comme de toutes les choses que l'on ne connaît pas bien, on en parle beaucoup ... comme de la religion, de la politique et de la météo! La ouananiche n'échappe pas à cette maxime, d'autant plus que c'est un poisson très controversé au sujet duquel les systématiciens ne sont pas tous d'accord. Est-ce un saumon? Serait-ce la SEULE véritable TRUITE indigène au Québec ? Ou n'est-ce qu'une sous-espèce de la famille des Salmonidés ? Si l'on s'en reporte à son étymologie latine, il faut immédiatement conclure qu'il s'agit bien d'un SAUMON auquel le mot indien ouananiche a été ajouté pour en indiquer la taille. (Salmo salar ouananiche).

la ouananiche
     En Montagnais, Ouanan veut dire saumon, et Ichi : petit. Ça ne peut pas être plus clair et à mon avis on devrait en rester là. Quelles que soient les théories sur la provenance de la ouananiche, on constate un fait unique au pays. Cette mystérieuse nageuse, amie des eaux froides et limpides, a choisi le Lac St-Jean et le Saguenay pour patrie. La plupart des essais pour la répandre ailleurs furent des échecs. Quoique dans le lac Memphrémagog on ait assez bien réussi ainsi que dans certains lacs des parcs dont le Mont-Tremblant et, bien sûr, dans les territoires de clubs privés assez riches pour se payer une telle pensionnaire.

     Les Américains l'ont implantée aussi dans certaines régions et l'appellent Land locked salmon. Mais il faut se méfier de cette appellation car, dans la plupart des cas, il ne s'agit pas de la ouananiche mais du véritable saumon de l'Atlantique (Salmo salar) que l'on a ensemencé ou aleviné dans des eaux intérieures et qu'à force de sélection on a réussi à l'y maintenir.

     Un essai semblable au parc du Mont-Tremblant s'est soldé par un échec à la grande tristesse d'Albert Courtemanche, biologiste et directeur du parc. On réessaie en ce moment avec de la ouananiche.

     Donc, si on fait parfois la différence entre « land locked salmon » et ouananiche, vous comprendrez maintenant pourquoi. Les connaisseurs ne s'y trompent pas et en anglais écrivent ouananiche : « Wananish ». Mais ce ne sont là que les premières complications.

Mystérieuse, capricieuse et taquine ...

     St-Félicien, Roberval, Chambord, Desbiens, St-Jérôme de Metabetchouane, autant de noms magiques qui s'inscrivent sur la carte du pays de la ouananiche! Riantes municipalités, accueillante population qui n'a qu'un admirable défaut : les pêcheurs du Lac St-Jean sont susceptibles comme des jeunes mariées dès qu'on aborde le sujet sacré de la Ouananiche ! Susceptible est un mot doux... j'en connais qui se fâchent rouge quand on se hasarde à faire quelque allusion à leurs méthodes de pêche ! Mais je les comprends. Cette mystérieuse, capricieuse et taquine combattante a le don d'exaspérer les pêcheurs les plus patients et d'épuiser les plus savantes recettes.

     Je vais peut-être faire des jaloux dans la région de Chambord, mais le plus grand pêcheur de ouananiche que je connaisse est monsieur Eugène Cloutier de l'auberge Rocher Percé. Au printemps 1962, par exemple, il guidait des amis au pied de ces fameux rochers, précisément, où ils sortirent 36 ouananiches en trois jours! Étonnante performance que bien des amateurs sportifs doivent lui envier ... Personnellement, je ne suis pas étonné outre mesure car Eugène Cloutier fait mieux que pêcher, il « pense » ouananiche !

Dis-moi ce que tu manges ...

     Et je te dirai qui tu es ! Même si la ouananiche a un appétit redoutable, ses habitudes gastronomiques sont des plus discriminatoires. J'ai eu le plaisir de faire quelques analyses stomacales sur des sujets fraîchement capturés. J'ai découvert que le printemps et jusqu'à la fin juin, 75% des ménés que mangeait la ouananiche étaient des Ouitouches (Leucosomus corporalis). Choisir sa Ouitouche a également son importance. Les sujets en « robe de noces », c'est-à-dire les mâles qui ont de petites « cornes » ou excroissances dermiques sur le museau sont de merveilleux appâts. Le reste de l'été, c'est au Corégone qu'il faut demander de l'aide pour capturer la ouananiche. Tout comme la grise, elle ne tolère pas les eaux chaudes et si elle moucheronne volontiers, c'est à contre-coeur, car elle est également lucifuge. Donc, si on pêche à l'artificielle, ce sont des leurres argentés qu'il faut employer.

     A la mouche : Toutes les mouches à saumons sont excellentes à condition d'accentuer dans le genre « silver ». Les tandems « Gray ghost » sont à recommander. En rivière (le printemps) ça va, mais au lac, ne pas fouetter trop bruyamment.

     Au lancer léger : Tous les wablers argentés sont bons et, règle générale, tous les leurres qui tentent d'imiter la Oui-touche et le Corégone. Le leurre « Alligator » est excellent et l'on peut très sensiblement améliorer sa performance en grattant, au moyen d'une lame de rasoir, la mince bande de peinture rouge qui borde ce leurre.

   Au lancer lourd ou « bait-casting » : Les wablers aménagés d'un demi-méné au triple hameçon. Certains ne jurent que par la couenne de lard lancée au large et ramenée du fond par saccades à la « saute-mouton ». Quand on est adroit et que l'on sait plomber sa ligne avec efficacité, les « chapelets » de petites cuillères d'argent sont bons. A la suite du chapelet, un tandem Gray Ghost remplace le méné mort ficelé.

    A la traîne : on trolle la ouananiche tout l'été. Tous les chapelets de cuillères argentées sont à conseiller. Au wabler armé d'un poisson mort, de préférence un Corégone. Quand on ne connaît pas les sources sous-marines de la rive sud entre Chambord et Desbiens, par exemple, c'est assez creux qu'il faut aller la chercher. Dans les environs immédiats de l'auberge du Rocher Percé, une exploration sous-marine m'a fait découvrir ce que je soupçonnais déjà et qu'Eugène Cloutier connaît mieux que quiconque : les sources glaciales en eau relativement peu profonde permettent à la ouananiche de « coller les bords ».

     Au coup ou arrêté : Cette pêche, peu sportive avouons-le, donne d'excellents résultats quand on connaît les emplacements des sources sous-marines et que l'on sait choisir et appâter sa ouitouche. Je n'aime pas la pêche au bouchon, mais c'est parfois, hélas, la seule solution ...

14 — Qu'est-ce qu'un poisson Castor?

     Avouez qu'il n'est pas étrange que des tas de gens me demandent : « Dis donc, c'est quoi ça, un Poisson Castor? » Ou encore : « Est-ce que ça existe ? » On me demande aussi et surtout : « Où est-ce que ça se pêche?» et bien sûr : « En as-tu déjà pris? »

Poisson Castor
     A toutes ces questions je vais tâcher de répondre, d'autant plus que j'ai reçu voici plusieurs années, une lettre d'un jeune étudiant que j'ai conservée précieusement pour me servir d'entrée en matière pour vous parler de cet étrange et fascinant poisson « castor ». Cette lettre, la voici :

     «Cher monsieur.

     Vous êtes ma dernière ressource! Je me suis renseigné à un centre de pisciculture à Lachine ainsi qu'à un professeur de zoologie. Car c'est pour le Poisson Castor que je vous écris. Tout ce que j'ai pu recueillir sur ce poisson, c'est son nom scientifique ainsi que la famille à laquelle il appartient : Amia Calva. Famille des Amidés. Alors voilà ! Je voudrais savoir, si la chose est possible, quelles sont ses moeurs et ses habitudes. Aussi, je voudrais savoir si c'est vrai que certains poissons ne mordent pas parce qu'ils reconnaissent la corde à laquelle pend d'hameçon ! Je vous remercie d'avance. Pierre Morency, un élève que Chasse et Pêche dans LA PRESSE passionne.

     Cher ami, je m'étonne que la Station de pisciculture de Lachine n'ait pu vous renseigner sur le Poisson Castor ou L'AMIE (Amia Calva, comme vous le dites si bien) et connu en anglais sous les noms Bowfin ou Mudfish. Ce poisson est assez rare, certes, mais pas au point que les biologistes de Lachine ou d'ailleurs n'en sachent rien et que votre professeur de zoologie ne puisse vous en parler quelque peu ! Je vais donc tâcher de vous éclairer à ce sujet, tout en répondant à tous ceux qui m'ont demandé : « Qu'est-ce qu'un Poisson Castor? ».

Un poisson « préhistorique » !

     Nous sommes assez gâtés dans la province de Québec, côté fossiles vivants... En dehors de certaines personnes de ma connaissance, signalons le Lépisosté Osseux (Lepisosteus Osseus oxyurus) qui vit en paix dans le St-Laurent et ses tributaires et que l'on prend, à l'occasion, dans le Lac St-Louis et le Lac des Deux-Montagnes. L'AMIE fréquente aussi ces eaux mais on peut également la trouver un peu partout dans les grands lacs du nord de la province. Je connais des baies du Baskatong où, le printemps, il est relativement facile de pêcher quelques Amies. C'est une farouche combattante et si vous n'avez pas un long leader d'acier, elle coupera votre ligne sitôt qu'elle se sentira prisonnière ! Ses dents sont tranchantes comme des rasoirs et sa gueule n'a rien à envier à celle du brochet et du doré. Mais c'est à l'achigan qu'elle ressemble le plus, tant par ses moeurs que son comportement général (sauf pour ce qui est de sauter en dehors de l'eau).

Carte d'identité :

     L'Amie ou Poisson Castor est un poisson fusiforme de couleur sombre (brunâtre avec dos noir) à larges écailles enduites très libéralement d'un épais mucus. Sa nageoire dorsale occupe la majeure partie de son dos et s'arrête là où la caudale commence. Fait unique chez les poissons de nos eaux intérieures, l'Amie se sert de sa dorsale pour se propulser, et non comme agent stabilisateur comme chez les autres poissons. Cette nageoire est ondulante. Sa tête est ornée d'une plaque osseuse, vestige d'une armure dont étaient pourvus ses ancêtres. Si je disais plus haut que c'était un poisson « préhistorique », c'est qu'elle présente une très sensible analogie avec les poissons pulmonés comme les Dipneustes et le Ceratodus. En fait, c'est un poisson plutôt archaïque qui peut encore vivre fort longtemps en dehors de l'eau (jusqu'à 36 heures à l'ombre!).

     Vorace et fortement musclée, elle donne au pêcheur de très vives émotions. Elle se bat mieux et plus longtemps que le doré, le brochet et la grise mis ensemble. L'Amie fraie en eau basse le printemps et prend le même soin que l'achigan apporte à ses petits. C'est-à-dire qu'elle défend sauvagement le nid et se précipite sur tout agresseur (ou toutes cuillères ou devons !) qui envahit l'invisible frontière qu'elle a tracée autour de son domaine. En hiver, on la confond souvent avec des bancs de carpes car les Amies se réunissent en grandes bandes pour passer la froide saison dans le fond des baies.

Au mois de mai :

     Péchez près du bord à proximité des herbiers qu'elle est en train de nettoyer afin d'y aménager son nid. Les mâles portent à la naissance de la caudale un « oeil » ; sorte de tache noire curieusement entourée d'un cercle jaune pâle qui fait penser aux « yeux » des papillons. Le nid étant situé à l'intérieur de l'herbier, l'Amie a fauché un couloir d'accès dans lequel elle s'embusque. Toutes les cuillères WEEDLESS ou anti-herbes sont à recommander. N'oubliez pas un leader d'acier!

     Longueur maximum : 36 pouces avec un poids de 12 livres. Mais la moyenne se situe dans les 24 pouces avec un poids de 5 ou 6 livres.

     Votre première touche est franche comme celle d'un brochet mais elle combat comme un maskinongé de 25 livres! J'ai, à plusieurs reprises, pris des sujets (toutes des femelles, qui, incidemment, sont plus grosses que les mâles) de 4 livres mais avant de les embarquer clans la chaloupe et sur la balance, je leur en aurais bien donné 15 ou 20!

     Il arrive souvent que les marchands de ménés vous vendent des soi-disant « poissons castors »... Il n'en est rien, rassurez-vous! D'abord, pas un marchand de ménés sur mille ne connaît les poissons qu'il vend. Ni leur nom, ni leur moeurs. A peu près tout ce qu'il connaît, c'est le prix de la douzaine... Ce que LUI appelle « poisson castor », c'est un misérable et très commun petit Méné de Vase ou Poisson-chien. En réalité : L'Ombre de vase (Umbra limi). Il ne ressemble aux petits de l'Amie que par la couleur et l'embryon d'une tache près de la caudale. Mais il n'a pas la dorsale ondulante. De plus, il éprouve une grande difficulté à nager à l'horizontale et a la fâcheuse habitude de s'enterrer dans la vase avec votre hameçon si par malheur vous lui laissez trop de jeu ! Comme appât, ça ne vaut pas cher ... bien que les marchands vous assurent « qu'il dure indéfiniment et ne meurt jamais! » Je comprends, enterré dans la vase, il ne risque pas de se faire mordre par un doré ! Peu pêchée au Québec, l'Amie est un poisson très apprécié de nos voisins les Américains qui admirent en elle (avec raison) sa force et son magnifique courage au combat. Je vous souhaite de faire connaissance au plus vite avec cet archaïque habitant de nos eaux qui n'a pourtant rien d'archaïque au bout d'un fin nylon et d'un leurre moyen !

     La chair de l'Amie ressemble à celle de l'Achigan : même goût.

15 — Si nous parlions du doré . . .

     Si je vous parlais du Doré, avec un D majuscule s'il vous plaît, comme je voudrais le faire, ce n'est pas une ou deux pages qu'il me faudrait, mais cent! Tout un livre, quoi. Je ne connais pas de poisson de nos eaux inférieures possédant autant de qualités réunies sous ses belles écailles, dorées précisément...

le Doré
     Bref, le doré, c'est un poisson en or ! Robuste, prolifique, de chair succulente en tout temps de l'année, mordant avec conviction à une grande variété d'appâts et de leurres et, ce qui à mon avis est de toute première importance : faisant bon ménage avec la truite grise tout en tolérant la mouchetée!
Carte d'identité :

     Le doré est un des rares poissons qui n'ait pas de surnom, ou d'appellations locales ou régionales. Partout on dit : Doré. L'étymologie latine : Stizostedion vitreum vitreum. Ce qui est assez descriptif de l'espèce. C'est-à-dire : Gorge armée de piquants et yeux vitreux. Vitreux, ils ne sont et nous verrons tout à l'heure pourquoi. Longueur : 40 pouces au maximum. La moyenne est de 17 pouces. Poids : 25 livres est un maximum bien que certains auteurs croient qu'il peut atteindre 35 dans des conditions idéales. La moyenne oscille dans les 3 livres mais il est difficile d'établir une moyenne avec le Doré. C'est un poisson grégaire qui n'aime pas vivre seul et se joint toujours à des troupes d'individus d'à peu près le même âge, partant, du même poids et de la même taille. Il est excessivement rare de prendre un Doré de 9 livres, par exemple, et quelques minutes plus tard, sortir un sujet de 3 livres. D'ailleurs, on ne prend jamais UN Doré, mais DES Dorés et je trouve ça très bien, pas vous?

     Il faut être un bien mauvais pêcheur, n'avoir aucune sensibilité au bout du doigt ou faire exprès (!) pour ne pas prendre plusieurs dorés quand l'un d'entre eux a mordu. A moins de faire un bruit d'enfer dans l'embarcation, le banc de poissons continuera à croiser doucement sur les fonds, décrivant de larges cercles dans un mouvement stratégique qu'il est important de connaître et que nous examinerons plus tard.

     Le temps de la fraie a lieu le printemps et si la température de l'eau est à 57 degrés F., c'est en 7 jours que les oeufs vont éclore. Les Dorés ont la curieuse habitude de venir faire un voyage de reconnaissance sur les frayères en automne, mais la nuit de noces a lieu en mai!

     Plus précisément, dès que la glace est partie. Dans les Laurentides, la fraie commence vers la deuxième semaine de mai. Voilà pourquoi la Loi ne permet, chaque année, de pêcher le doré qu'aux alentours de la mi-mai.

     Hélas, ces dates sont arbitraires et il m'est arrivé de prendre légalement (en temps permis) des femelles encore lourdes de leur faix. Si la chose vous arrive, je vous conjure de les remettre à l'eau avec délicatesse et respect. Songez qu'une bonne grosse femelle de 9 ou 10 livres peut pondre jusqu'à 300,000 oeufs!

     Les sujets de 4-5 livres pondent dans les 65,000... ce qui n'est pas à dédaigner non plus! Alors, soyez un vrai sportsman et pensez aux pêches futures que votre geste vous assurera. Avec une telle ponte, il est bien évident que la femelle a besoin de plus d'un mâle. C'est généralement 3 ou 4, quelques-fois 6 mâles (!) qui se pressent, anxieux et amoureux, dans le sillage de la belle. Mais là s'arrête l'amour paternel ! Si 15 jours plus tard, le petit dorain qui va naître rencontre son père, il sera mangé avec la plus grande insouciance... en effet, les dorés sont (hélas ...) homophages !

Petit doré deviendra grand ...

     Pourvu que braconniers, esturgeons, carpes, cyprins divers, moxostomes et catastomes, sans parler de ses propres parents, lui prêtent vie ! C'est ce qui s'appelle : débuter dans la vie avec un certain handicap ! Mais il réussit tout de même à survivre, mieux, à se maintenir malgré une pêche d'ordre sportif très intense et une pêche commerciale tout aussi meurtrière. Même le gouvernement lui en veut! A preuve, ces fameuses licences de pêche commerciale que le département de la Chasse et des Pêcheries dispense au petit bonheur à « certaines personnes » dans un but de Conservation, sans aucun doute... O politique, que de crimes ne commet-on point en ton nom! 13 licences dans la Baie Missisquoi, une bonne demi-douzaine dans le Richelieu, je ne sais combien dans le Lac St-Pierre, St-Louis sans parler du fleuve St-Laurent et des grands réservoirs du nord : Mistassini, Gouin, etc. A quand les permis pour le Cabonga et le Baskatong? Ça viendra, ne vous en faites pas. Brave petit Doré, nous t'admirons. Nous t'admirons et nous t'aimons. Sans plus tarder, examinons la vie et les moeurs de ce courageux combattant de nos eaux. C'est en connaissant son poisson que l'on devient bon pêcheur.

Vie et moeurs du doré

     Nous venons de jeter un rapide coup d'oeil panoramique sur ce magnifique poisson de nos eaux. Nous avons vu par exemple, qu'il pouvait atteindre une taille de 40 pouces et un poids de 25 livres, que la fraie avait lieu au printemps dans une eau claire et rapide, que les oeufs éclosent en 7 jours si la température est favorable, c'est-à-dire : 57 degrés F.

     Mais avant que le petit doré atteigne cette impression¬nante taille de 40 pouces (exceptionnelle dans nos eaux sur-pêchées) il lui faut résister à bien des ennemis, parmi lesquels ses parents arrivent bons premiers s'ils le rencontrent au détour d'un herbier!

     Le doré étant un poisson de grande nage et de poursuite, témoins ce corps fusiforme et cette caudale fourchue, principe de l'hélice, il ne tarde pas à grandir très vite et dépasse rapidement ses compagnons du « jardin d'enfance », menés, catastomes et cyprins divers.

     Au fait, dès qu'il le peut, il les mange avec un appétit remarquable et venge ainsi ses frères que ceux-ci avaient gobés alors qu'ils étaient dans l'oeuf. Ayant atteint 7 ou 8 pouces, il devient aussi féroce que ses parents, mais beaucoup moins prudent!

     Il n'est pas rare de voir un doré de 6 ou 7 pouces s'attaquer à des proies qui font presque sa taille!

     Il fonce sur des dare devils géants et sur les grands devons avec la conviction meurtrière du brochet! C'est un plaisir de pêcher ces petits êtres féroces au pied d'un rapide. Avec une petite cuillère et un ver, ou des leurres de lancer ultra-léger, c'est presque aussi amusant que la truite de ruisseau qui, entre parenthèses, cohabite bon gré mal gré avec lui quand les circonstances s'y prêtent.

     Je me souviens d'une merveilleuse soirée de juin où je devonnais (oui, devonner est un verbe!) en ultra-léger au pied des rapides de la Desserte du Lac d'Argent (Polonais sur les cartes; barrière de la CI.P. donnant accès aux territoires du Notawissi, Piscatosin et Baskatong). Mon compagnon de pêche, Roger Baulu, s'amusait à prendre et à relâcher ces dorés-minus depuis un bon 20 minutes quand une truite mouchetée de 3/4 de livre vint saisir son Voblex!

     Alerte générale dans la chaloupe Inutile de vous dire que nous changeâmes immédiatement nos leurres pour des mouches noyées avec le plus grand succès. Le plus agréable, c'est que le doré prend bien la mouche noyée et nous ne savions jamais, en ferrant, ce que nous avions au bout de l'hameçon.

     De cette anecdote, il ressort ceci : le doré cohabite avec tous les poissons, même avec la truite mouchetée. Cette expérience n'est pas unique et j'ai maintes fois, dans des rapides ou rivières analogues pris dans la même heure et dans le même endroit, dorés, truites, achigans, corégones ainsi que des mulets (particulièrement Semotilus atromaculatus) de grande taille.

     Toutefois, j'ajoute que je n'ai jamais pris de truite mouchetée là où il y avait du brochet. Mais la chose est possible et dans le grand lac Assinica (via Chibougamau) où se trouvent probablement les plus belles truites mouchetées du monde, on prend côte à côte des mouchetées de 8 livres avec des brochets de 20 ou 25 livres ! Dans ces territoires merveilleux, mais si éloignés que peu de Québécois ont les moyens de s'y rendre, il n'y a pas de règle générale ni de théories qui tiennent. Dans cette nature sauvage, les poissons mordent à TOUT et l'on peut tout aussi bien pêcher le brochet à la mouche que la truite au daredevil de 6 pouces !

     Ce qui frappe le plus quand on regarde un doré, ce sont ses yeux. Enormes, vitreux, ces yeux de nyctalopes semblent morts... même dans l'agonie de l'asphyxie, au fond de votre chaloupe, aucune lueur ne passe dans les yeux de ce lucifuge au regard tendre ...

     Quel contraste avec le regard cruel et perçant du brochet qui vous fixe haineusement jusqu'à la mort! Même mort, son regard ne perd rien de sa sauvage fierté.

     Ce qui distingue les yeux du doré, de ceux du brochet ou de l'achigan, par exemple, c'est qu'ils sont là pour voir dans le clair-obscur des grands fonds. Lucifuge, le doré fuit les eaux trop éclairées. Quand il est ferré, c'est vers le fond qu'il cherche un appui, un secours.

     Le doré ne saute pas en dehors de l'eau avec le leurre dans sa bouche comme sait si bien le faire la truite ou l'achigan. Ce dernier étant un expert du « je le crache ton devon, tiens ! » ce poisson benthique ne s'aventure sur les hauts-fonds que lorsque la chose est tout à fait essentielle. Dans la poursuite des bancs de cyprins par exemple. Au printemps, on le trouvera dans 10 ou 15 pieds d'eau non loin de sa frayère et dans le pays des ménés. Ceci est provisoire, un mois plus tard, c'est dans 30, 40 et même 60 pieds d'eau et plus qu'il faudra l'aller chercher.

16 — Un poisson à barbe, la barbotte !

     J'espère que ce qui va suivre n'a pas trop de barbe et que vous ne direz pas « la barbe ! » avant d'en avoir terminé la lecture... Il faut bien que les lacs dégèlent, que les rapports sur la truite me parviennent, que toutes les pêches de printemps soient examinées même celles qui ont trait à des espèces de poissons aussi « vulgaires » que la barbotte.

la Barbotte
    Si je mets vulgaire entre guillemets, c'est que c'est là une opinion qui est loin d'être partagée par tout le monde et je connais nombre de pêcheurs qui se spécialisent dans la capture de ce chat noir de nos eaux. D'ailleurs, en Europe et dans les pays de langue anglaise on dit : Poisson Chat ou plutôt CAT FISH.

     Est-ce à cause des barbillons tactiles (il y en a 8, comptez-les!), du corps velouté se coulant comme une ombre, ou du petit oeil perçant cerclé de blanc qui vous fixe jusqu'à la mort ? (A ce sujet, la barbotte voudrait-elle baisser les yeux qu'elle ne le pourrait pas n'ayant pas de paupières !) Ou serait-ce parce qu'elle a neuf vies ?

     Une chose est certaine, la vie qu'elle possède, elle y tient bougrement et son endurance proverbiale fait l'objet de maintes histoires de pêche. Elle a d'ailleurs donné son nom à un certain jeu de hasard (parfois volant...) qui, selon la police, est également fort dur à tuer!

     De toute façon, si vous trouvez qu'elle ne ressemble pas à un chat, que pensez-vous de sa ressemblance avec la truite dont elle partage d'ailleurs les mêmes eaux ? Je ne blague pas ! Examinons son anatomie. L'étymologie latine : Ameiurus nebulosus nebulosus nous indique que sa caudale, tout comme la truite mouchetée, n'est pas fourchue (ameiurus), qu'elle possède une nageoire adipeuse (la mouchetée aussi) ; et tant qu'à nebulosus, la couleur de sa robe ne fait aucun doute : nébuleusement noire. Selon les eaux, son ventre peut être très blanc ou très jaune, son dos très noir ou brun foncé. Mais ce qui la rend célèbre et impose chez tous ceux qui l'approchent le plus grand respect : ce sont ses nageoires pectorales et sa traite dorsale munies d'un rayon épineux ayant la rigidité et la force d'une aiguille d'acier trempé ! Regardez vos mains, amis pêcheurs et souvenez-vous de cette minuscule cicatrice...

Un poisson exemplaire

     Sous ses allures lymphatiques, la barbotte cache un coeur d'or et une ténacité à toute épreuve que bien d'autres poissons devraient lui envier, y compris la truite.

     Si elle manque de combativité au bout d'un hameçon, les mâles eux se livrent de durs combats pour la possession des femelles et nombre de sujets capturés portent au corps des blessures profondes en forme de demi-lune, répliques des mâchoires « bouledoguesques » de l'adversaire.

    A l'image des orignaux dont les bois s'entremêlent, les mâchoires des combattants peuvent se verrouiller définitivement car une barbotte qui a décidé quelque chose ne change jamais d'idée!

     Pourtant il y a des vainqueurs. Ceux-ci amènent leur belle en eau peu profonde et creusent dans le fond un nid en forme de sillon. S'ils ne sont pas aussi prolifiques que la perchaude, leur amour familial est un exemple de dévouement et ceux qui ont observé les « nuages » de petites barbottes convoyés par les parents attentifs, savent de quoi je veux parler. La barbotte hiverne dans la vase et c'est maintenant, alors que l'eau se réchauffe que les combats vont avoir lieu et que la montée vers les fonds propices va commencer.

     Même si l'eau n'est pas assez chaude, la barbotte fraiera quand même tâchant d'aérer, d'agiter, de « souffler » sur sa progéniture avalant et rejetant ses petits avec une conscience admirable quand on connaît sa voracité coutumière ... En ce temps-ci de l'année, elle n'est pas très grasse et son énorme tête (un tiers du corps) une fois tranchée ne laisse au pêcheur qu'une bouchée du corps. Mais quelle bouchée ! Sa chair rouge saumon (en eau froide) a la fermeté et la délicatesse de nos fines truites et je connais bien des gourmets qui hésitent à classer la truite en premier!

     La barbotte mord sans discernement à tout appât placé près du fond avec un engouement sérieux pour les gros vers de terre. Comme la perchaude, c'est un des rares poissons qu'on peut pêcher à la ligne avec autant de succès qu'au filet commercial tant elle met de la bonne volonté à mordre ! La seule difficulté réside dans le nettoyage de celle-ci car n'ayant pas d'écaillés, il faut dégainer sa peau et la barbotte est anti-striptease au possible! ! !

     Une planche, un clou, des incisions autour de la dorsale et des pectorales, une bonne paire de pince et un coup de poignet judicieux et le tour est joué!

     Vous ne réussirez peut-être pas du premier coup mais je ne doute pas qu'un pêcheur voisin ne vous aide si vous le lui demandez poliment. Entre confrères de pêche il existe une loi d'entraide, non écrite, et peut-être justement à cause de cela, mieux respectée.

17 — De la truite dans les rapides de Lachine !

     Il n'y a pas de « truites » indigènes au Québec, ce que nous appelons « truites » sont en réalité des Ombles. Notre « truite mouchetée » est un Omble de Fontaine (Salvelinus Fontinalis). Si l'Omble ne peut pas vivre dans le St-Laurent — et dans les eaux métropolitaines en général — la Truite Brune, elle (qui n'est pas un omble), le peut!

     Voilà toute la différence et tout l'intérêt de ce futur programme d'aménagement dont Albert Courtemanche, directeur du Service de la Faune, s'occupera dès la fin de septembre. Pour bien comprendre ce que cela implique et ce qui en résultera (si l'ensemencement réussit), il faut examiner de plus près cet étrange poisson très connu en Europe, mais encore rarissime chez nous.

Truite brune, qui es-tu?

     Ce n'est qu'à la fin du siècle dernier, en 1883 pour être exact, que la Truite Brune (qui n'est pas nécessairement brune, qu'on s'en souvienne !) fit son entrée sur le continent nord-américain. Les eaux dépeuplées de nos voisins du sud, les Américains, avaient besoin d'une espèce de poisson plus robuste, plus prolifique, moins « bête » aussi... que nos mouchetées, pour résister à la pression sans cesse grandissante de la pêche sportive. Le poisson qui répondait le mieux à toutes ces exigences était la « Salmo trutta » de M. Linné, c'est-à-dire la Truite brune.

     Moins fragile que la mouchetée, moins exigeante au point de vue température de l'eau, plus lourde, musclée, c'était bien là le poisson idéal ! Allait-il s'adapter aux eaux américaines et résister à nos hivers ? Il ne fallut pas attendre très longtemps avant de constater que non seulement ce poisson s'adaptait, se maintenait, mais qu'il faisait même « place nette » autour de lui ! Dans certains milieux halieutiques on jeta même des cris d'alarme...

     La brune augmentait son aire de dispersion en dévorant les mouchetées qui subsistaient encore ici et là!

     Il y a moins d'un siècle de tout cela. Aujourd'hui, la truite brune est très largement répandue dans la plupart des cours d'eau de l'est des Etats-Unis, du centre et du mid-west. On la diffuse encore dans toutes les rivières suffisamment propres et dont le débit n'est pas trop paresseux. L'alevinage réussit très bien partout, à condition que les eaux ne subissent pas de brusques variations de température. Elle tolère bien la chaleur et le froid, mais graduellement. Cela nous indique tout de suite que les rivières de la plaine lui conviennent parfaitement. Notre fleuve St-Laurent est un exemple parfait. S'il est vrai que le St-Laurent n'est pas partout l'habitat idéal, certaines zones le sont ! Et les rapides de Lachine sont exactement ce qu'il faut ce qui convient à la brune. Sans aide, elle s'y maintient déjà!

Un poisson très difficile à pêcher

     Malgré sa taille et son poids, ses moeurs agressives, son goût prononcé pour les appâts vivants, la brune est un poisson très difficile à pêcher. Pour une fois, les livres, les magazines et autres publications halieutiques européennes vous seront d'une grande utilité pour bien comprendre le comportement de la truite brune.

     Cette immigrante a gardé toute la méfiance qui caractérise les poissons européens ! Elle n'est pas bête, je dirais même idiote, comme nos truites mouchetées qui soudainement se décident à mordre et bouffent n'importe quoi — y compris les mégots de cigarettes que vous jetez à l'eau ! S'il est théoriquement possible de prendre cent truites mouchetées à la suite (certains braconniers et certains gloutons de la pêche le font...) sur une surface donnée d'une pièce d'eau, rien de tel pour la brune n'est possible!

     Cent brunes, même dix brunes de suite, ça n'existe tout simplement pas. Il faut « travailler » sérieusement pour la faire se décider. A la mouche, la présentation doit être impeccable. A l'appât, le moindre soupçon d'un ardillon l'éloigné définitivement... Une truite brune ne mord qu'une fois, jamais deux. Il n'y a pas de « reprise » pour ce poisson. Vous l'avez du premier coup (si vous ferrez à temps) ou vous ne l'avez pas. Mon estimé confrère Georges Carpenter (Izaac Hunter de la Gazette) vous en parlera sûrement dans ses colonnes. Lui, ça fait cinquante ans qu'il pêche activement et il m'assure qu'il n'existe pas un poisson plus difficile à capturer — saumon compris !
La brune est un poids lourd

     Dans la famille des salmonidés, la brune est un poids lourd. Il s'agit d'un poisson dont la taille moyenne est de 24 pouces avec un poids de 5 livres, ce qui laisse supposer une gueule assez « caverneuse » (et un appétit correspondant) pour prendre n'importe quel leurre ! Mais non ... même les brunes de 35 pouces et pesant 22 livres (il s'agit là de records) se montrent aussi prudentes, difficiles et j'ose ajouter discriminatoires (elles semblent choisir parmi les pêcheurs!) que les petites de taille moyenne.

     Dans le territoire du club Oriskany de la Compagnie Internationale de Papier, il y a quelques lacs à truites brunes où nagent des monstres de 10 livres et plus! Rares sont les pêcheurs, même parmi les plus habiles, qui réussissent à capturer ces méfiantes truites. Combien de fois ai-je essayé? Tous les ans depuis 5 ans! Quels furent mes succès ? Aucun ! Pas une fois. En cinq ans, j'ai eu quatre touches — non concluantes. La seule truite brune que je n’ai jamais capturée pesait 2 livres. J'avais 14 ans. C'était dans la Rivière du Nord au pied des rapides de Mont-Rolland. Je péchais aux vers... sans cuillère à l'avançon. Et je n'étais pas venu là pour ça, d'autant plus que je ne savais même pas ce qu'était une truite brune! C'était le hasard. Maintenant que je « sais », et que je m'estime bon pêcheur, tout au moins pêcheur compétent, pas moyen d'en capturer une... même une toute petite!

     Pourtant, je ne désespère pas. Car la pêche, ce n'est pas prendre beaucoup de poissons, ou de très gros poissons, mais prendre les poissons que les autres ne prennent pas! Quand je réussirai, comptez sur moi pour vous le faire savoir illico!

     En attendant, je lève mon chapeau aux gars qui ont réussi à sortir des rapides de Lachine, de la rivière Châteauguay, du lac St-Louis ou du Memphrémagog d'aussi nobles et intelligents poissons.

18 — La pêche au maskinongé

     Généralement, une saison de pêche à un poisson quelconque d'ordre sportif débute un samedi ou un vendredi afin de permettre au plus grand nombre possible de pêcheurs de profiter d'une fin de semaine. Le maskinongé, ce géant des eaux douces, ce « tigre » des herbiers, n'est décidément pas comme les autres à plusieurs points de vue. On ne peut même pas le comparer au brochet (son cousin) qui pourtant lui ressemble comme deux gouttes d'eau ! Tous les pêcheurs vous diront que les poissons ont des moeurs particulières, que chaque espèce a un caractère, une personnalité ... Si je devais classer le maskinongé, je dirais tout de suite : c'est un aristocrate !

le Maskinongé
     Mais pas n'importe quel « aristo » de cour ! Ici, nous avons affaire à de la vieille noblesse terrienne, car il y a nobles et noblesse. Les Indiens de la nation des Algonquins avaient compris cette nuance. En algonquin, brochet se dit : « Ki-non-gé ». Le préfixe « Mash » exprime non seulement le mot « grand » mais aussi le mot « grandeur ». Ainsi, « Mash-ki-non-gé » devait se traduire par Le Plus Grand des Brochets dans le sens de « Grand Chef » — leur noblesse à eux. Les systématiciens qui examinèrent les premiers maskinongés rapportés d'Amérique par les explorateurs pensèrent sur la même longueur d'ondes. En latin, cela devint Esox Nobilior. « Esox » pour exprimer le mot brochet, le « nobilior » qui veut dire : le plus noble.
     Ce n'est que beaucoup plus tard que l'on décida de lui redonner son nom algonquin, précédé du mot « esox », d'où : Esox maskinongé.

     Bien que le maskinongé sut se rendre assez célèbre pour qu'un lac, une rivière et même un comté du Québec portent son nom, il est relativement peu connu des pêcheurs sportifs. On en parle beaucoup, énormément, superlativement même ... mais comme disait Mark Twain : « C'est comme la météo ... tout le monde en parle et personne n'y fait rien 1 » Personne ? C'est à voir. Il y a des spécialistes.

     Il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil sur la liste des gagnants du Concours de Pêche Molson pour s'en rendre compte. Vous savez, tous les gagnants de concours ou de derby de pêche ne sont pas nécessairement « chanceux »... Il y a des noms qui reviennent tous les ans, régulièrement. Il ne s'agit donc plus d'un heureux hasard, mais d'une heureuse technique de la part du pêcheur. Puisque « bien connaître son poisson, c'est être bon pêcheur », nous allons tâcher de faire une petite enquête et comme d'habitude, nous allons poser la question que nous avons déjà posée au sujet de maints autres gibiers.

Maskinongé, qui es-tu?

     Le maskinongé est le plus gros représentant de la famille des esocidés, c'est-à-dire des brochets. Au Québec, il semble qu'il n'y ait qu'une seule espèce de maskinongé : Esox mas-quinongy, masquinongy. Il est toutefois possible qu'une sous-espèce (Esox masquinongy obiensis), dite « de l'Ohio », habite aussi nos eaux. Une enquête biologique se poursuit à cet effet. Nous ne parlerons ici que du Maskinongé du St-Laurent dont la présence est certaine et dont l'aire de dispersion vient d'être étudiée, puis cartographiée par le Service de la Faune du district de Montréal, sous la direction d'Albert Courte-manche, assisté du biologiste J.-R. Mongeau, c.s.v.

     Vous avez sans doute déjà jeté un coup d'oeil sur la carte de distribution du maskinongé. C'est un outil précieux pour planifier vos futurs voyages de pêche. Si vous vous sentez l'âme d'un explorateur, vous pourrez sans doute aider le Service de la Faune en ajoutant des « points noirs » sur la carte du Québec. Le fait qu'il n'y ait pas de « points noirs » à tel ou tel lac ou rivière ne veut pas dire qu'il est impossible d'y trouver du maskinongé, cela veut tout simplement dire qu'on n'en à pas encore découvert ! Rapportez donc vos prises et vos découvertes de « nouvelles zones » au 5075 de la rue Fullum, vous rendrez service non seulement à la science, mais à tous vos confrères pêcheurs.

     Encore faut-il savoir identifier un maskinongé ! Je vais tâcher de vous y aider. D'abord, ne vous fiez pas à l'aspect d'un maskinongé. La taille, la couleur, le dessin des écailles ne permettent pas de le différencier de son cousin le Grand brochet du Nord (Esox lucius). Car il y a des maskinongés bien « marqués »... et d'autres qui ne le sont pas. La plus sûre méthode d'identification du maskinongé est la suivante :
     Regardez sous la mâchoire du maskinongé. Sur les deux côtés, droit et gauche de la mandibule, il y a des petits trous — ce sont des pores sensoriels. Chacun des deux côtés porte de 6 à 10 pores. Le grand brochet du nord n'a que 5 pores.

     Une autre façon, c'est d'examiner la joue et l'opercule du poisson. Or, la moitié inférieure de la joue n'est PAS couverte d'écaillés. De plus, il y a 1 ou 2 rangées verticales d'écailles sur la moitié inférieure de l’opercule, le long de la marge postérieure du préopercule.

     Bien qu'il soit parfois difficile d'apprécier les couleurs et les nuances, sachez que le maskinongé a une robe pâle sur laquelle il y a des taches sombres. Il y a aussi des taches foncées arrondies et polygonales sur les nageoires dorsale et caudale — sur le dos et la queue. Chez le brochet, c'est le contraire. Mais la façon la plus sûre, la plus rapide et la plus facile reste de compter les pores sensoriels sous la mâchoire.

     Au point de vue taille et poids, le record mondial est de 60 livres — 72 pouces. La moyenne se situe dans les 36 pouces pour un poids de 10 livres. A signaler que le maskinongé fait l'objet d'une réglementation particulière : la taille minimum à partir de laquelle il devient « gibier légal » est de 28 pouces. D'autre part, vous n'avez droit qu'à 2 sujets par journée de pêche. Je vous rappelle que la limite de possession est la prise légale d'un jour.

     Saison : du 15 juin de chaque année au 31 mars de l'année suivante. Il vous est donc permis de pêcher le maskinongé en hiver. Il semble que le maskinongé fraie plus tard que son cousin le brochet, c'est pourquoi nous devons attendre jusqu'au 15 juin pour le pêcher.

Distribution du maskinongé dans le Québec

     Nous poursuivons notre enquête sur le maskinongé du St-Laurent. Cette fois, nous allons prendre connaissance des travaux biologiques du Service de la Faune dont Albert Courtemanche dirige les destinées.

     Cette étude a été faite en collaboration avec J.-H. Mongeau, c.s.v., grand spécialiste des ésocidés. Il y a des années que le frère Mongeau travaille sur cette question. La carte de la distribution du maskinongé nous indique que le maskinongé est un « sudiste » convaincu et, à l'échelle provinciale, un poisson « western » ! En effet, le pont de Québec (la rivière Chaudière, si vous préférez) est la frontière est de son domaine. Mais laissons à M. Courtemanche le soin d'élaborer sur cette question, après quoi nous parlerons de la technique de pêche.

     « Le maskinongé était beaucoup plus abondant dans le Québec autrefois qu'aujourd'hui. Toutefois, si l'on y regarde de près, on le trouve encore actuellement, en plus ou moins grande abondance, dans la plupart des lacs et des cours d'eau des basses terres de la vallée de l'Outaouais et du Saint-Laurent, depuis les rapides des Chats en amont de Hull jusqu'à la rivière Chaudière près de Québec.

     « Le lac Saint-François, le lac Maskinongé, la rivière Noire et le lac Joseph à l'est de Plessisville, constituent les principaux centres d'abondance du maskinongé dans le Québec. La rivière Chaudière donne également chaque année un nombre appréciable de captures. De même le fleuve Saint-Laurent dans les environs des îles de Boucherville.

     « Les cours inférieurs des rivières Gatineau, Assomption, Achigan, Ouareau, Châteauguay et Richelieu (bassin de Chambly) contribuent chaque année à la capture de quelques beaux spécimens. Dans les rivières Nicolet, Saint-François et Bécancour, le maskinongé était autrefois beaucoup plus nombreux ; la pollution industrielle serait la cause principale du déclin de la population. »

     « La rivière Outaouais et le lac des Deux Montagnes ont vu leur population de maskinongés, comme celle des autres espèces, disparaître à peu près complètement vers 1950, disparition due vraisemblablement à la pollution industrielle. Des ensemencements de maskinongés ont été effectués ces dernières années dans le but de reconstituer, si possible, la population originelle.

     « En 1964, sur la foi de renseignements fournis par des pêcheurs, nous avons repéré la présence d'une population indigène de maskinongés dans la rivière du Nord en amont et en aval de Lachute, ainsi que dans la rivière Rigaud en amont de Rigaud et dans la petite rivière Délisle clans la région de Saint-Polycarpe. Il s'agit évidemment là de populations qui ont réussi à se maintenir malgré une contamination élevée des eaux de ces rivières, surtout par les égouts domestiques.

     « Les tentatives d'introduction du maskinongé dans certains lacs des Laurentides du nord de Montréal faites depuis 1951 par le ministère, n'ont pas donné les résultats escomptés. Quelques rares maskinongés seulement ont été capturés à ce jour dans les lacs Nominingue, Ouimet, Tremblant et Supérieur. Aucune capture n'a été observée dans les lacs Monroe et Escalier. De même pour les lacs Ouareau et Archambault. Les lacs à eau claire, plutôt froids et peu productifs des Laurentides, ne constituent évidemment pas pour le maskinongé un habitat qui lui soit favorable."

Il lui faut des lacs de plaine !

     « L'introduction du maskinongé dans les lacs de plaine, tel le lac Saint-Augustin, près de Québec, a donné des résultats plus encourageants. Mais là où l'introduction du maskinongé a été vraiment un franc succès, c'est au lac Joseph, comté Mégantic, à l'est de Plessisville. L'introduction de 500 fretins de maskinongé en 1951 fournit depuis 1960 la capture de plusieurs centaines de maskinongés chaque année. La régénération est excellente. De même que la croissance: en 1963, douze ans après leur introduction, des maskinongés pesant jusqu'à 25 livres ont été capturés. Depuis deux ans, le lac Joseph constitue le réservoir dans lequel la pisciculture puise pour recueillir les oeufs dont elle a besoin pour fins d'élevage. »

     « Le lac Joseph, situé sur le parcours de la rivière Bécancour, semble présenter un habitat particulièrement favorable à l'établissement du maskinongé : peu profond, population abondante de poissons de toutes espèces, herbiers très nombreux. Le lac William, situé à quelques milles en amont, mais présentant des caractéristiques différentes : très profond, bords escarpés, herbiers peu nombreux, n'a fourni comparativement qu'un nombre limité de captures à la suite de l'ensemencement effectué également en 1951.

« Du maskinongé a été introduit en 1964 dans la rivière Noire en amont de Roxton Falls et dans la rivière le Renne à l'est d'Acton Vale.

« Il y a une population indigène de maskinongés dans les lacs Donaldson et Plumbago à l'ouest de Buckingham, qui, d'après les renseignements que nous avons recueillis, serait assez peu exploitée par les pêcheurs. »

Les herbiers, voilà le secret !

     Une vaste pièce d'eau, pas trop profonde et pas trop froide, de grands herbiers, voilà le secret ! Et voilà qui explique que les plus gros maskinongés du Québec soient pris dans le fleuve St-Laurent ou dans les lacs qui ne sont en somme que des élargissements du fleuve. A ce sujet, un coup d'oeil sur les résultats du Concours de Pêche Molson pour l'année 1964 par exemple (des chiffres des années précédentes le confirment aussi), nous indique que ce sont les lacs St-Louis et St-François qui sont les meilleurs producteurs de « géants ». En ce qui concerne la pêche à la traîne, le lac St-Louis remporte les 3 médailles - or, argent et bronze - avec des sujets de 37 livres et 12 onces, 36 livres et 32 livres et 8 onces ! Suit le lac St-François, le fleuve St-Laurent et, il fallait s'y attendre, le fameux lac Maskinongé de St-Gabriel-de-Brandon. Si vous connaissez ces cours d'eau, je ne vous apprends rien en vous disant qu'ils sont riches en herbiers, en ménés de toutes sortes et, sauf dans le cas du lac Maskinongé, très peu profonds.

     Poisson d'affût, et non de grande nage, le maskinongé sera donc en embuscade dans les herbiers, prêt à saisir la proie qui empruntera le chenal naturel ou artificiel. Regardez faire les pêcheurs de l'Ile Perrot, de Beauharnois et de la rive sud du lac St-Louis en général... vous apprendrez beaucoup !

19 — Préparez-vous pour la pêche à l'alose !

     En théorie, c'est à partir du 20 mai, qu'on devrait pouvoir pêcher l'Alose dans la région métropolitaine, et plus précisément, au pied du barrage de l’Hydro-Québec situé à l'extrémité ouest de la municipalité de St-Vincent-de-Paul. La route qui descend au bord de l'eau est devenue une rue pavée! Elle s'appelle: rue Arthur Buies. . . voilà qui fera sans doute plaisir à Paul Dupuis mais plus encore aux quelques milliers de pêcheurs qui dès le début de la semaine prochaine iront s'essayer dans le violent courant de la rivière des Prairies. Pourquoi « dès la semaine prochaine » ? Parce que malgré l'arrivée théorique de l'Alose, la grande voyageuse n'est pas encore dans nos parages ... D'ailleurs, la saison accuse un retard de 15 jours pour toutes les espèces de poisson. Dans le cas de l'Alose, ça se comprend encore mieux puisque cette « belle argentée » doit faire quelque mille milles pour venir frayer dans les rapides au pied du barrage de l'Hydro ! Mais elle voyage vite.

l'Alose
     Cette année, l'Alose fit parler d'elle pour la première fois le 12 mai. dernier alors qu'on signalait sa présence sur les marchés commerciaux de Moncton, Nouveau-Brunswick. C'est dire qu'elle venait à peine de quitter l'Atlantique. Grâce à un étiquetage effectué il y a quelques années par les biologistes du ministère à l'Ile Verte, dans le St-Laurent (face au Saguenay), on découvrit que les Aloses voyageaient rapidement : 25 à 50 milles par jour. Sur 1,855 spécimens étiquetés, 44 furent capturés plus tard, ce qui permit d'apprécier le déplacement de cette espèce. Une autre découverte, très intéressante pour les pêcheurs L'Alose ne mange pas en eau douce ! C'est dire qu'elle se comporte comme cet autre poisson anadrôme, le saumon, et ne prend les leurres que pour s'en débarrasser (ça l'agace !) et non pour se nourrir.

Du lac St-Pierre à Montréal : 3 jours

     Remontant le fleuve au rythme de 25 à 50 milles par jour, comme nous l'avons vu, l'Alose atteint le vaste lac St-Pierre où elle cherche déjà à frayer, soit dans la rivière St-François. soit dans la Yamaska (il faudra faire des études car cela n'est ni très sûr, ni très régulier) mais le gros du « troupeau » se dirige vers Montréal. Au bout de l'île, les Aloses prennent la rivière des Prairies jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la barrière artificielle de l'Hydro-Québec.

     Elles ne peuvent aller plus loin (pas d'échelle à poisson). Il y a donc une énorme concentration de poisson au pied du barrage ! Les résidants de St-Vincent-de-Paul, de Duvernay, de Montréal-Nord, etc., le savent bien, et c'est nombreux qu'ils se rendent sur cette frayère. Quand î Sitôt que les Aloses sont signalées au lac St-Pierre, ils calculent 3 jours de nage pour arriver au barrage. L'an dernier, la pêche débutait le 20 mai, comme je vous l'ai dit plus haut. Alors, cette année ! Il serait téméraire de fixer une date précise, mais si l'on se fie aux vieux pêcheurs, c'est 3 jours après le lac St-Pierre. Or, comment savoir quand elles y seront, à ce lac ?

     Le directeur du Service de la Faune du district de Montréal, M. Albert Courtemanche, va s'occuper activement de repérer la voyageuse et de m'avertir. Vous le saurez donc dès qu'il me le dira. Ces chroniques sont écrites d'avance, mais je donnerai un coup de fil au patron et il passera en caractère gras au bas d'une de ces prochaines chroniques quelque chose dans le genre : « Les Aloses sont arrivées ! » Vous saurez ce que ça veut dire et où aller.

Comment pêcher la « belle argentée »

     C'est bien beau de savoir que l'Alose voyage vite, que c'est un poisson anadrome, qu'elle fraie quand l'eau atteint 54 degrés F. (sortez vos thermomètres de pêche) et que les oeufs éclosent en 10 jours, mais ce que le pêcheur veut savoir : c'est comment la capturer. Bon. Allons-y ! Le fait que l'Alose ne mange pas en eau douce ne veut pas dire qu'elle ne mord pas, nous l'avons vu. Or, quel est le leurre ou l'appât qui l'agace ou l'irrite le plus ? Une étude préliminaire (encore Courtemanche !) commencée l'an dernier démontre que le leurre « vedette » est la cuillère VELTIC No 3 argentée ou dorée. Les pêcheurs employant ce leurre avaient un succès plus régulier, partant plus probant, que les autres. Il serait donc prudent que vous vous munissiez de cette petite cuillère (achetez-en plusieurs) ou de ce qui s'en rapproche le plus — comme taille et comme poids.

     Parlons maintenant de cette fameuse frayère, ou plutôt, du fond de la rivière sur lequel les Aloses célébreront leurs noces. Un mot décrit tout : c'est accrochant à mort ! Tellement, que je n'hésite pas à dire que l'Alose coûte cher en leurre, si non en long voyage. On perd de 4 à 5 cuillères par jour... une bien triste moyenne. Peut-on remédier à cet état de choses ? Oui ! Comment ? Il faut absolument porter des bottes cuissardes ou des bottes pantalons (avec bretelles) qui arrivent aux aisselles.
Les jeunes pêcheurs (et les moins jeunes) qui ne craignent pas les rhumes ou les crises de rhumatisme vont à l'eau tout habillé, c'est entendu. Afin d'éviter les coupures (cette rivière est fort sale) ils portent une vieille paire d'espadrilles. Le courant est extrêmement violent, je recommande donc de la prudence dans votre aventure au large... Il y a des trous aussi dangereux. — Souvenez-vous que l'eau froide « paralyse » les meilleurs nageurs... le fait d'être habillé, chaussé, ou ce qui est pire, botté, n'arrange rien.

L'alose : une gueule trop tendre...

     L'alose a un grand défaut (du point de vue du pêcheur), elle mord bien mais sa gueule est si tendre qu'elle déchire facilement ses « lèvres » — d'où les nombreuses touches non-concluantes. D'autre part, c'est une bonne combattante (un poisson de mer, ne l'oublions pas !) et la ramener sans la déchirer est moins facile qu'on ne le croit... Le courant n'aide pas, au contraire ! Donc, de la délicatesse s.v.p. Faites comme pour le corégone ou la laquaiche — doucement.

     Il y a très peu de pêcheurs à la mouche — en fait je n'en ai pas vus l'an dernier — qui s'intéressent à l'Alose, et c'est bien dommage ! Rien de mieux qu'une canne à mouche pour contrôler l'Alose. Le lancer léger est trop dur pour une gueule si frêle. On réussit quand même, mais c'est plus difficile.

     La Silver doctor, la petite Gray ghost me paraissent tout indiquées pour fouetter le coin. Y aura-t-il des amateurs î Je l'espère. En tout cas, il y aura moi, car je compte bien mettre en pratique mes « théories » sur l'Alose.

     J'ai d'ailleurs demandé aux frères Houle de me fabriquer quelque chose de brillant — mi-mouche, mi-mené — pour voir ce que ça donne. Il n'y a pas de raison pour que l'Alose ne réagisse pas comme le saumon. En tout cas c'est à voir.

     Au cas où vous songeriez à utiliser une embarcation, j'aime autant vous dire que ça ne sera pas facile. Et pour la mettre à l'eau, et pour naviguer dans ce violent courant. De plus, à moins d'être très compétent, ce n'est pas prudent et je ne le conseille pas.

     Il n'y a pas de limite de prise quotidienne ou de possession. L'Alose est un poisson commercial. Gastronomie : superbe, magnifique ! L'égale de la truite.

20— Je vous présente le catostome !
 
     Vous le connaissez sûrement déjà sous un autre nom pour peu que vous ayez fréquenté les lacs de la Laurentie, y compris les lacs à truite mouchetée. C'est surtout quand il est présent dans les lacs à truite qu'il fait parler de lui... et en mal !

Le Catostome
     A quel point les pêcheurs ont-ils raison de maudire et de vouer à tous les diables cette « carpe » à cochon, carpe blanche, noire, ronde, etc. » peut-être mieux connue sous son nom anglais de Sucker ? C'est ce que nous allons tâcher d'éclaircir.

     Ce qui inquiète le plus les propriétaires de « bons » lacs, c'est sa présence en aussi grand nombre, surtout au printemps alors que le catostome monte frayer dans les tributaires. On peut le prendre alors « à la poche » ! Beaucoup de clubs placent des cages, des verveux ou de simples trappes à menés ; ils construisent même des petits barrages dans l'espoir (toujours vain !) d'essayer de le détruire en masse, de l'occire et de l'éliminer définitivement de la liste des indésirables (du lac. Hélas, malgré tous leurs efforts - et ce, d'années en années - le castostome frustre tous les plans et semble immunisé contre tous les attentats visant à le faire disparaître. On voudrait bien que la truite mouchetée fût aussi tenace et prolifique ! Le plus grand crime dont on accuse le catostome, c'est de manger les oeufs de la mouchetée lorsque cette dernière ira frayer... Est-ce vrai ?

Ce scatophage herbivore ...

     Bien qu'il soit périlleux de généraliser quoi que ce soit en matière scientifique, disons seulement que le catastome ou aspirant (Catostomus commersoni) est un scatophage (qui mange des déchets, des détritus de toute sorte) et un herbi¬vore ! Il ne broute pas le fond d'un lac comme une vache, non, mais il mange les herbes malades, en état de décomposition ou si « faibles » qu'elles ne remplissent pas leur fonction d'agent oxygénérateur. Cette préférence « gastronomique » présente un très haut intérêt pour l'équilibre du milieu aquatique de votre lac. Le Catostome peut donc être classé comme un être utile. Un être qu'on aurait bien tort de faire disparaître à moins qu'il soit prouvé qu'il se nourrit d'oeufs de truites mouchetées, ce qui est peu probable.

     Avez-vous déjà trouvé des oeufs de truites (en automne) dans le ventre des catostomes ? L'avez-vous déjà observé suivant les truites dans leur frayère et surpris en train de se gorger de leurs oeufs ? Pouvez-vous l'accuser de manger des truitelles ou d'entrer en compétition avec la mouchetée ou la grise pour se nourrir ? Bien au contraire, jeune, il sert de pâture aux mouchetées, adulte, il nourrit les grises ! Et tout cela, tout en continuant son beau travail d'aspirateur des matières organiques qui reposent dans la vase. Sa bouche que les balayeuses électriques peuvent lui envier ! Ronde, extensible, les lèvres ourlées constellées de papilles gustatives ... et « discriminantes » !
 
Pas un indésirable

     Donc, si l'on fait l'addition de ses qualités, on s'aperçoit que le catostome n'est pas si indésirable que ça. Dans les petits lacs, il a le « bon goût » de rester petit — 7 ou 9 pouces, quelques onces. Dans les grands, il peut atteindre théoriquement la taille de 24 pouces et un poids de 6 livres ! Mais il y a plusieurs espèces de catostomes : noir commun, nain, un sujet s'appelle « Meunier de l'est », un autre «meunier nain...» Bref, les spécialistes ne s'y trompent pas ! L'important c'est de savoir qu'il s'agit de catostomes et de ne pas les traiter de « carnivores » et de les accuser de manger les truites ou leurs oeufs.

     Puisqu'on parle de manger, il convient d'ajouter qu'en eau froide, les catostomes sont très comestibles, même s'ils ont plusieurs arêtes. Plongés dans la grande friture (on les aura roulés dans la farine), ils ont un goût exquis. Les oiseaux aquatiques en consomment de grandes quantités. Pour pêcher le brochet ou le doré, c'est un appât de tout premier ordre. Il est si résistant qu'une douzaine de sujets dans le baquet à mené vaut trois ou quatre douzaines d'autres espèces ! Puissant nageur, il se promène dans tous les sens constamment. Si vous avez l'excellente idée de munir votre avançon (bas de ligne) d'une légère cuillère tournante, (les Jewel Lures de moyenne grosseur sont recommandées), vous aurez de meilleurs résultats car le Catostome « trollera » pour vous sur place !

     Je connais de très bons lacs à truite qui sont « pleins » de catostomes. Avant de faire empoisonner votre lac, consultez donc des biologistes. Votre problème n'a sans doute rien à voir avec leur présence. Ce sont d'autres « menés » qui en sont cause.

Rien d'autre que la truite !

     Beaucoup de pêcheurs rêvent de lacs où il n'y aurait « rien d'autre que de la truite »... Ça existe. J'en connais quelques-uns ... Le lac Carmel à St-Michel-des-Saints, le lac Malbaie dans le parc des Laurentides, etc. Et vous en connaissez sûrement autant que moi. Mais ils ne sont pas en majorité. Tous les lacs ne peuvent faire vivre une population donnée de truites qu'avec son plancton ! Les insectes ? Oui, d'accord, mais ce n'est pas suffisant. Qu'arriverait-il en hiver ? S'il y a, en effet, des lacs où il n'y a que de la truite, il faut conclure qu'ils sont extraordinairement riches en plancton, surtout si les truites ne sont pas homophages (qui mangent leurs semblables) cas du lac Malbaie, par exemple. Dans ce cas-là, l'introduction d'une espèce de méné, même de catostomes, n'est pas désirable. Puisque tout semble bien équilibré, pourquoi vouloir y changer quelque chose dans le but très aléatoire d'améliorer une situation ? Il est toujours très dangereux de vouloir jouer avec l'équilibre régnant.

21 — Dans la gueule du brochet !
 
     Qu'est-ce qu'il y a dans la gueule d'un brochet ? Mettez-y la main et vous serez douloureusement convaincu — si ce n'est déjà fait — qu'il a des dents ! Des milliers de petites dents et des centaines de grosses... du moins, c'est l'impression qu'il nous donne ! En fait, il a beaucoup moins de dents que ça. Les dents sont fixées sur la mâchoire inférieure et varient en nombre entre 15 et 17 pour la mâchoire gauche et 12 à 17 pour la droite. Donc un nombre de dents légèrement plus élevé à gauche qu'à droite, bien que certains spécimens offrent une symétrie parfaite. Tout ça pour vous dire que, la semaine dernière, je me suis fourvoyé dans la gueule du brochet... en d'autres mots : je me suis trompé. J'ai commis une erreur. Ce n'est pas grave en tant que simple pêcheur, mais quand on signe une chronique dans un journal de l'importance de LA PRESSE, on ne peut se permettre ce genre de fantaisie.

     Voyons un peu : j'ai dit, en parlant des brochets-monstres du lac Carter, que ces derniers saignaient de la gueule, ce qui indiquait qu'ils avaient frayé il y a peu de temps, et que c'était pour ça qu'ils ne mordaient pas ou peu. Or, c'est faux. Le fait qu'un brochet perde ses dents, et qu'au cours de ce processus, il saigne de la gueule (ce qui arrive) n'indique pas qu'il vient de frayer. Cela ne l'empêche pas de mordre non plus. Je ne l'ai pas dit, mais on aurait pu le croire car une croyance généralisée veut que le brochet ne mord pas quand il « change de dents ».

     Grâce à la vigilante amitié d'Albert Courtemanche, directeur du Service d'Aménagement de la Faune du district de Montréal, je viens de prendre connaissance d'un ouvrage très complet sur la question de la dentition du brochet. Cet ouvrage est signé par les Dr Trautman et Hubbs, biologistes. On y apprend des choses très intéressantes qu'il me tarde de vous confier.

Renouvellement de la dentition

     Comme beaucoup d'autres animaux, le brochet perd ses dents à une certaine époque de l'année. C'est un processus normal.

     Il ne perd pas toutes ses dents, mais seulement certaines dents, en particulier les canines de la mâchoire inférieure. Les dents de la mâchoire supérieure, sur un tiers seulement de la surface, sont généralement petites et ne manquent pour ainsi dire jamais. Idem pour les dents du vomer ou palais que l'on trouve en très grand nombre et qui font en quelque sorte office de râpe.

     Les seules dents que le brochet perd — et renouvelle — d'une façon constante sont les canines. A cause du grand nombre de celles-ci, il ne les perd jamais toutes à la fois et l'on peut dire que sa mâchoire est en perpétuelle régénérescence — la perte accidentelle d'une dent provoquant tout de suite la naissance d'une nouvelle dent. D'autre part, plusieurs de ces dents sont mobiles ou branlantes, ce qui peut faire croire qu'elles sont à la veille de tomber, ce n'est pas le cas.

     Ce renouvellement de la dentition du brochet n'a rien à voir avec son appétit et sa bouche n'est pas sensible, comme certains pêcheurs le prétendent. Si le brochet ne mord pas, c'est pour de toutes autres raisons. Ce qui vient d'être dit pour le brochet s'applique également au Maskinongé. Dans certains lacs, le brochet mord mieux et plus souvent au printemps et à l'automne. Dans d'autres, c'est le contraire et comme dans le lac Maskinongé de St-Gabriel-de-Brandon, par exemple, ces poissons mordent surtout en juillet et août ! Le lac Carter donne ses plus gros sujets en août-septembre. De l'étude très poussée (hélas un peu trop technique pour être élaborée ici) des biologistes Trautman et Hubbs, il ressort ceci :

     1— Le nombre de canines sur la mâchoire inférieure est constant pendant toute la vie de l'ésocidé (les brochets et le maskinongé). La moyenne étant de 16 dents par mâchoire.
     2— Ces dents sont confinées dans une certaine section des « gencives ».
     3— Les canines sont en effet remplacées très souvent par d'autres canines qui se développent dans chaque section des gencives.
     4—Un nombre efficace de dents restent en service en toutes saisons.
     5—Aucune preuve ne justifie la croyance d'un changement saisonnier de la dentition ou même d'un remplacement saisonnier de la dentition.
Gencives « rouges » ou saignantes

     Certains brochets ou maskinongés présentent, en effet, un aspect malade car les gencives sont rouges ou saignent.

     Les gencives rouges s'expliquent par le fait qu'un très grand nombre de petits vaisseaux sanguins sont présents dans les gencives où poussent les dents. Au cours de la lutte que l'ésocidé livre pour sa liberté - sa vie - ces vaisseaux sanguins éclatent. On remarquera que les gencives sont toujours plus abîmées dans la région immédiate où l'appât ou le leurre était engamé. Toutefois, on note une très sensible rougeur là où une nouvelle dent apparaît. Il se peut qu'une légère hémorragie survienne lors de la perte d'une dent. Enfin, en eau froide, les gencives saignent peut-être plus facilement qu'en eau plus chaude.

22—Un autre poisson disparaît

     Il disparaîtra complètement si une très sévère législation n'est pas adoptée dans un avenir prochain. Il s'agit de l'Esturgeon de lac (Alcipenser fulvescens) aussi appelé esturgeon jaune. Ce n'est pas une espèce de poisson que le pêcheur sportif a l'occasion de capturer tous les jours... Je dirais même que lorsque cela se produit, ça devient matière à nouvelle et La Presse publie la photo !

l'Esturgeon
     Il est vrai que l'esturgeon n'est pas tellement bien équipé pour mordre aux leurres artificiels, qu'il ne prend pas la mouche en surface ou entre deux eaux, que les trolles le laissent indifférent. C'est un lent promeneur, un flâneur des grands fonds. Il butine dans la vase et les petits cailloux au moyen de son long nez, créant ainsi des nuages d'eau trouble que sa bouche en aspirateur filtre inlassablement. Crustacés, vers de vase, larves d'insectes, oeufs de poissons et petits poissons morts ou vifs, plancton, voilà le menu de l'esturgeon.

     Bien qu'il ne soit pas tout à fait aussi prolifique que son cousin de mer ou Esturgeon noir (Alcipenser oxyrhynchus), les femelles de grande taille peuvent pondre près d'un million d'oeufs ! Dans les eaux douces du Québec, c'est, je crois, le poisson le plus prolifique. Alors d'où vient ce cri d'alarme et comment se fait-il qu'il soit en voie de disparition ? On relève 3 causes principales :

     1— Pêche excessive des reproducteurs dans les fleuves et parfois même sur les frayer es avant la ponte.
     2—Pêche abusive de jeunes individus entraînant la destruction de populations entières en diverses régions du monde.
     3— Altération grave du régime naturel de plusieurs rivières, par la pollution industrielle et par les égouts des villes, par les travaux destinés à faciliter la navigation et, ajoutons-nous, par les barrages hydro-électriques et une foule de barrages de tous genres.

Alerte sur le St-Laurent

     C'est le titre de la communication que vient de faire Gérard Beaulieu, B.Sc.P., au ministère des Pêcheries.

     Cette communication a été publiée dans le volume 6 No 2 d'Actualités Marines, revue trimestrielle du ministère provincial de la Chasse et des Pêcheries. Le biologiste Gérard Beaulieu n'y va pas par quatre chemins. Il pose des questions graves. Entre autres: « Dirons-nous bientôt adieu au caviar? Une richesse précieuse serait-elle en train de nous glisser entre les doigts, par négligence ou par ignorance ? » Et il ajoute : * Le profit immédiat a trop souvent pour effet d'obnubiler chez plusieurs le sens, très lucide en d'autres circonstances, de la prévision et de l'économie. Il appartient alors aux législateurs de prendre la situation en main ».

     En effet, il faudrait que le département de la Chasse et des Pêcheries remanie au plus vite les lois désuètes qui régissent l'esturgeon et qui font dire à Gérard Beaulieu : «...Comme nous trouvons très rarement des esturgeons adultes, dont la taille soit inférieure à 44 pouces de longueur totale, nous nous interrogeons encore pour savoir sur quel critère biologique on s'est basé dans le passé pour établir à 28 pouces la taille minimum des prises dans plusieurs régions de la province ».

     Une augmentation de l'ordre de 8 pouces serait souhaitable comme taille minimum. Mais il y a aussi les braconniers qui sont de connivence avec les commerçants et chargent le fruit de leur pêche à bord des camions de ces derniers ! Ah ! ces braconniers... Gérard Beaulieu donne un exemple frappant que j'ai moi-même observé plusieurs fois : * Un jour nous remontions la rivière St-François pour y tendre des filets ; nous voulions observer l'état de maturité et la taille des esturgeons. Aux « rigolets », endroit mentionné plus haut, l'embarcation s'immobilisa soudain au milieu de plusieurs filets, à la grande surprise, apparente, du garde-pêche de l'endroit. Ce dernier nous expliqua bien naïvement que ces filets, tendus illégalement dans la rivière, étaient l'oeuvre des Abênakis de la réserve d'Odanak. Rectifions en passant que ces Indiens étaient des blancs comme lui et moi ».

     Mais le travail des braconniers s'observe sous bien des formes. Par exemple : « D'autres pêcheurs sur le fleuve et ailleurs prendront parfois quelques esturgeons de belle taille durant la période interdite, soit du 14 mai au 15 juin inclusivement, mais l'on se gardera bien de rejeter à l'eau ces poissons. On les gardera bien vivants, dans des parcs cachés ou au moyen d'entraves passées dans la bouche du poisson, jusqu'à la réouverture de la saison. L'on pourrait multiplier les exemples du genre, mais cette liste s'allongerait presque indéfiniment ».

     Non seulement on note une alarmante diminution de l'espèce mais on ne prend plus d'esturgeons de grande taille. Depuis 1945, un seul esturgeon de lac pesant plus de 200 livres a été capturé à Saint-Michel-de-Bellechasse ! Si, théoriquement, notre esturgeon de lac peut avoir une taille de 96 pouces et peser dans les 230 livres, on ne prend guère de nos jours des individus qui dépassent de beaucoup 50 pouces et pèsent plus de 30 livres...

     Notons que l’Esturgeon Russe, le même que le nôtre, à quelques détails anatomiques près, peut atteindre une longueur de plus de 22 pieds et un poids de 2 tonnes ! Ça fait du caviar, ça mes amis !

     Tant que la Loi ne sévira pas contre les pêcheurs commerciaux et les braconniers qui pèchent sur la fraie ou raflent les jeunes qu'ils vendent sur le marché sous le nom d'Escargots ou Maillés, nous ne verrons plus d'esturgeons de grande taille. Je dirais même que nous ne verrons plus d'esturgeons du tout.

     Souhaitons que cette « Alerte sur le St-Laurent » ne soit pas une autre voix dans le désert et que les autorités concernées légifèrent au plus tôt.

23—Un étonnant visiteur au lac St-Louis

     Plusieurs pêcheurs de ma connaissance connaissent infiniment mieux un autre genre de bar que celui dont il sera question maintenant... Je parle d'un étonnant visiteur qui vient tout juste de signaler sa présence dans les eaux du lac St-Louis, plus précisément à l'ouest des îles-de-la-Paix, et au nord de Beauharnois. Il s'agit du magnifique BAR D'AMÉRIQUE (Roccus saxatilis), le Striped Bass qui fait courir tant d'Américains sur les rivages de l'Atlantique.

Bar d'Amérique
Bar d'Amérique, qui es-tu ?

     Comme c'est mon habitude, à chaque fois qu'on parle d'un gibier peu connu ou méconnu, je pose la question : « qui es-tu ». ? Ceux qui lisent régulièrement les somptueuses revues halieutiques américaines n'apprendront rien de très neuf en prenant connaissance de ce qui suit... Le Striped Bass est tenu en très haute estime chez nos voisins du sud. Chaque saison, les sportsmen américains dépensent des fortunes pour pêcher ce vaillant combattant des côtes atlantiques. Avec l’Achigan de Mer (Sea Bass), c'est l'incontestable vedette du Surf Fishing. Il existe toute une panoplie de cannes et de leurres hautement spécialisés pour la pêche sportive côtière. Le Bar d'Amérique est en vérité un poisson pélagique, même s'il se reproduit en eaux saumâtres et ne dédaigne pas les eaux franchement douces — l'exemple du lac St-Louis est concluant à cet égard.

     Au. premier coup d'oeil, le bar ressemble à un gigantesque achigan à petite bouche, mais là s'arrête toute ressemblance. La couleur d'abord : il est argenté avec des reflets verts. Ses flancs sont sillonnés de 7 ou 8 stries de couleur sombre — un peu comme des points de suspension, la nageoire dorsale est double. Vous pouvez compter 9 rayons épineux sur la première et 14 sur la seconde — ces derniers rayons sont flexibles. Les premiers peuvent piquer cruellement — attention !

     Si théoriquement le bar peut peser jusqu'à 130 livres, sa taille moyenne est dans les 20 livres (en eau salée) — infiniment moins élevée dans notre fleuve : 6 à 8 livres.

     Autrefois, le bar faisait l'objet d'une pêche commerciale (et sportive) importante dans le St-Laurent, notamment dans la région de Montmagny. L'excellent guide de chasse et chaloupier Joseph Lachance, de Montmagny, en faisait sa spécialité. Hélas... depuis 3 ou 4 ans, le bar a considérablement diminué. L'an dernier, il était au plus bas. A un tel point que Jos Lachance, comme beaucoup de ses confrères, dut abandonner son métier de guide de pêche au bar... ça veut tout dire !

     Pourtant, le bar est un poisson prolifique : les très grosses femelles peuvent pondre jusqu'à 10 millions d'oeufs ! Les petites de 10 ou 15 livres : 1,200,000. Sa disparition de la région de Montmagny, du Cap Santé, du lac St-Pierre et de la rivière St-François, pour ne nommer que ces endroits, est inquiétante. Son apparition clans les eaux « polluées » du lac St-Louis devient par conséquent extraordinaire

Vous le pécherez peut-être si...

     Le fait que les 3 spécimens recueillis au lac St-Louis le furent au moyen de filets maillés ne devrait pas inquiéter les pêcheurs sportifs. D'abord, ils furent tous capturés sensiblement au même endroit. Jetez un coup d'oeil sur une carte marine : vous constaterez qu'ils semblent fréquenter cette immense fosse — bordure du chenal — au nord de la rivière St-Louis. Cet endroit est idéal pour faire de la pêche à la traîne. Je suis loin d'être un spécialiste de la pêche au bar, mais quand on sait que ces poissons se nourrissent (dans leur milieu naturel) de harengs, de gasparots et de jeunes aloses, cela nous indique qu'il faut pêcher profond, avec des leurres argentés — de préférence avec des cuillères ondulantes, genre wabler. A mon avis, le Ruby-eye wiggler ne serait pas mauvais.

     D'autre part, je me demande ce que donnerait un attirail de traîne à Grise (vous savez les chapelets de cuillères Lucky-strike argentés) amorcé d'une queue de laquaiche, par exemple ... ? A défaut de corégones, les petites laquaiches font bien l'affaire.

     De toute façon il faudra tout essayer. Maintenant, retenez bien ceci : s'il vous arrivait la chance inouïe de capturer (sportivement) un bar d'Amérique, ne le mangez pas tout de suite ! Les biologistes du Service de la Faune (5075, rue Fullum, à Montréal) sont très vivement intéressés à examiner le poisson. Peut-être découvriront-ils la ou les raisons qui poussent le bar à délaisser ses territoires « historiques » pour venir dans le lac St-Louis ? Quoi qu'il en soit, l'apparition de ce magnifique poisson (aussi beau à voir que bon à manger, et amusant à pêcher) dans nos eaux métropolitaines est pour le moins une bien réjouissante nouvelle — les vrais sportsmen l'apprécieront !

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