La Mouche Artificielle...

une Oeuvre d'Art au bout des doigts et une Communion avec la Nature !

     Permettez-moi de vous rappeler d'excellents souvenirs, des moments exceptionnels pendant lesquels vous vous êtes retrouvé en pleine nature, plongé dans le silence et le calme d'une forêt paisible baignée par un plan d'eau. Vous êtes assis au bout d'un quai ou dans l'eau pure et fraîche. Vous vous sentez de plus en plus intégré à cette belle nature, attentif au moindre bruit, au cri strident du geai comme au gazouillis de la mésange, alors que tout à coup au tout de votre gros orteil, vous découvrez la merveille du cycle des éphémères. Une nymphe de l'Ephemerella subvaria quitte le fond de l'eau, monte tranquillement à la surface, déploie ses nouvelles ailes foncées qu'elle sèche en se débattant, rejoint la feuille d'un aulne tout près de vous et semble déjà prête à participer à la danse nuptiale à laquelle se livrent ses congénères que vous admirez maintenant alors que ce magnifique spectacle vous avait échappé jusque-là.

La Mouche Artificielle... une Oeuvre d'Art au bout des doigts et une Communion avec la Nature
     Sur ces entrefaites, survient un pêcheur à la mouche, tout fier de vous montrer une mouche sèche Dark Hendrickson, imitation de l'éphémère observée, qu'il a fabriquée au moyen de barbes de plume de flanc de Canard branchu, de fourrure de Rat musqué et de camail gris bleu. Il la fixe à l'extrémité d'une longue canne, la fait siffler dans les airs en effectuant quelques faux lancers et la dépose en douceur près d'une pierre émergée; un bel achigan à l'affût la gobe aussitôt. Le pêcheur, maître de son art, goûte chacune des pirouettes du poisson et le libère sain et sauf en le saisissant par la lèvre inférieure avec le pouce et l'index.

     N'en croyant pas vos yeux, vous demandez à votre pêcheur de vous montrer la mouche artificielle pour que vous puissiez bien l'examiner; vous avez beau la retourner dans tous les sens, elle est loin de ressembler à l'Ephemerella subvaria que vous avez observé longuement. Les couleurs et la silhouette sont à peu près semblables, mais l'imitation vous semble si imparfaite que vous vous demandez bien ce qui a pu pousser le poisson à passer à l'attaque.

     Votre pêcheur, lui, convaincu qu'il doit sa réussite à la qualité de sa présentation, est fier de vous montrer ses belles artificielles et tout heureux de vous donner un petit cours d'entomologie qui vous en fait voir de toutes les couleurs en passant par les nymphes d'éphémères, de phryganes et de perlidées dont les antennes, l'élytres, le thorax et les cerques ont été montés précisément pour les caractériser les unes des autres, par les mouches noyées, imitation des nymphes qui se détachent de leur carapace tout près de la surface, les vairons ou streamers, imitation des cyprinidés ou percidés recherchés par les prédateurs piscivores et les mouches sèches dont les couleurs varient du foncé au pâle selon les étapes d'un même éclosion ainsi que les mois de l'année.

     Vous apprenez de votre pêcheur que de nombreuses universités des États-Unis ont inscrit le montage de la mouche artificielle au programme de la faculté des arts et que, selon Alex Simpson, l'un des grands maîtres dans le domaine, le montage est un art et le produit fini, une oeuvre d'art. Il vous parie également de Colin Simpson, expert monteur à 15 ans, qui a passé quatre mois à l'apprentissage du montage des ferrets, des bouts et des queues ainsi qu'à l'étude de l'entomologie, des matériaux et de la teinture. À l'opposé, Rhoderick Haig-Brown, naturaliste pratique, croit que la mouche ne devrait être ni parfaite, ni superbe, mais assez efficace pour prendre le poisson.
Le monteur, un artiste qui s'ignore, est très souvent un pécheur qui aime reproduire fidèlement l'insecte qu'il a vu gobé à maintes reprises par un poisson; le poisson saisit-il son offrande que son plaisir en est décuplé. Comme le dit si bien Yvon, un bon copain et probablement l'un des meilleurs monteurs de notre grande fédération provinciale, l'apothéose survient lors de la capture du poisson auquel on rêvait lors du montage. En septembre dernier, Yvon prenait un saumon de l'Atlantique de neuf kilos avec une perlidée de sa propre conception, une sèche parachute impeccable, dont le procédé de montage lui avait demandé de nombreuses heures de recherche sur les outils, les matériaux et les teintures et il me confiait que rien ne lui faisait plus plaisir que d'entendre des bons copains de pêche comme Angèle, Jean, Jean-René, Pierre et René lui faire part de leur joie lors de la capture de saumons de l'Atlantique dans les belles rivières à saumon du Québec avec ses perlidées. On a d'ailleurs qu'à se rappeler le sourire de satisfaction de notre collègue Gilles Aubert, immortalisé dans le film La dernière chance du saumon, qui libérait le saumon du magnifique oiseau brun qu'il avait lui-même monté.

     À nous maintenant de découvrir la mouche artificielle, l'oeuvre d'art au bout de nos doigts qui nous réserve cette communion avec la nature...

référence

» Par Jean-René Lachance (Association des pêcheurs à la mouche de l'Outaouais)
» Atos, Octobre 1993.