Petite Histoire de la Canne à Pêche

     La perche, ou canne à pêche, fut inventée et utilisée bien avant l'apparition du moulinet. Simple bâton d'abord, on la retrouve déjà reproduite sur des fresques égyptiennes décorant les pyramides. Il est facile d'imaginer que les Egyptiens furent probablement parmi les premiers pêcheurs «sportifs». L'invention de la perche est probablement aussi vieille que l'utilisation du levier et aussi ancienne que la construction des pyramides.

Petite Histoire de la Canne à Pêche
     Au début des temps, la perche était simplement une extension du bras humain, permettant d'améliorer la présentation d'un leurre ou d'un appât au-dessus du poisson. Passant du simple bâton à une véritable perche, elle permit rapidement d'ajouter la distance sans négliger un meilleur contrôle dans la lutte avec le poisson. La corde, ou soie, était solidement fixée à l'extrémité fine. De longues perches permettaient de promener un appât de gauche à droite dans les petites rivières. A cette époque, les perches atteignaient facilement plus de 21 pieds de longueur. Les premiers fabricants de perche étaient les artisans locaux qui, souvent, fabriquaient les arcs et les équipements pour les archers ou les armuriers. Bien sûr, plusieurs pêcheurs fabriquaient leurs propres perches.

     A la fin des années 1600, les grands fabricants de cannes à pêche commencent leurs activités sur une plus grande échelle. Les matériaux principaux étaient le greenheart, le ash et bien d'autres sortes de bois d'une rigidité et d'une flexibilité suffisante. Plusieurs types de bois pouvaient être utilisés dans la fabrication d'une même perche. La longueur et la rigidité des cannes étaient toutefois limitées par les matériaux. L'effet de «ressort» de la perche était particulièrement recherché du pêcheur pour améliorer les distances et contrôler le poisson. On était loin du graphite et du boron. Bien que ralenti par la nature des matériaux disponibles à l'époque, le développement des perches débute vraiment au XVIe siècle et est associé de très près à l'usage et à l'évolution du moulinet.

Petite Histoire de la Canne à Pêche
     Au début des années 1700, la lourdeur des matériaux et la longueur des perches incitent les fabricants à les livrer en différentes parties s'insérant l'une dans l'autre, ce qui les rendaient plus pratiques. L'idée n'est pas nouvelle puisque l'on décrit des cannes à plusieurs sections à partir de 1496 (The book of St-Albans). Bien que la plupart des perches sont composées de deux ou trois parties rentrant l'une dans l'autre, les perches à saumon en comptaient beaucoup plus et certaines perches remisées dans une valise de voyage en comptaient jusqu'à douze. Les cannes de bois, particulièrement pour le lancer de la mouche, étaient composées de plusieurs types de bois et parfois d'écaillé de tortue ou d'un fanon de baleine pour la section la plus fine. Sous l'Empire britannique, les matériaux en bois furent sélectionnés parmi les meilleurs en Amérique du Sud, en Inde, en Guyane, en Jamaique et à Cuba. Tous ces matériaux et bambou étaient rapportés par la Royal Navy ou par les riches commerçants à la demande des fabriquants. Avec l'expansion économique et l'accroissement des échanges commerciaux avec tous les continents, les fabricants anglais (et de façon indirecte les Américains) ont eu la chance d'essayer de nouveaux matériaux dans la confection des perches. Le Hickory d'Amérique, le bambou des Indes, le Lancewood et le Greenheart d'Amérique du Sud furent utilisés. Ces noms parmi les plus populaires s'ajoutèrent à d'autres noms évocateurs de l'époque tels que le Washasa, le Lemonwood, le Snakewood, le Steelwood et autres.

     Vers la moitié du XVIIe siècle, on vit l'apparition du bambou dans la fabrication des perches. Dans un premier temps, il s'agissait d'une pièce unique de «Calcutta» entière ou combinée avec une partie plus fine de «Hazel» ou complétée avec un fanon de baleine.

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     La canne de bambou fendue en sections multiples (Split Bambou) est mentionnée dans la littérature anglaise dès 1801. Mais la perche moderne de bambou débuta vraiment avec la création d'un Américain. Il s'agit de la perche à six sections (six strip split bambou) qui bouleversa la pêche à jamais.

     Les historiens donnent crédit de cette fabuleuse invention à Samuel Philippe, de Easton, Pennsylvanie. Combinant les métiers d'armurier et de luthier, celui-ci réunissait les qualités d'un artiste incomparable de la canne à moucher. Cette invention arrive vers 1840 (quoique ce soit difficile à déterminer puisqu'il existe peu de publications ou de livres américains sur la pêche à cette époque). Il est douteux que nous puissions connaître un jour la chronologie exacte des événements, les Anglais continuant à vouloir faire de cette invention la leur.

     Contemporains de Samuel Philippe, Charles Murphy (Newark), E.A. Green (Easton) et William Mitchell (New York) contribuent, par leurs échanges constants, à l'amélioration des cannes à moucher.

     Comme les cannes de Philippe, Green et Mitchell sont extrêmement rares, il est de mise de connaître les autres fabricants composant l'élite de cette époque. Chez les Américains, on trouve Léonard, Thomas, Payne, Edwards, Chubb et bien sûr Orvis. Les Anglais Hardy, Forrest, Farlow et Sharpe complètent ce tableau. Après ses débuts en Angleterre, le développement de la perche se poursuit de façon vigoureuse aux Etats-Unis.

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     A partir de 1850, les cannes deviennent de plus en plus légères et leur diamètre diminue. L'apparition de l'anneau vissé suivant un rail pour soutenir le moulinet est breveté en 1880 par l'Américain Chubb. A partir de ce moment, l'évolution de la perche s'accélère. Plusieurs types de matériaux sont utilisés pour la poignée de la canne, du bois jusqu'à l'ivoire. Cependant à partir de 1890, le liège s'impose pour la poignée. Destiné à alléger les cannes pour les femmes (Ladies rod), le liège est rapidement adopté par l'ensemble des pêcheurs et demeure encore en grand usage de nos jours.

     Le bambou «Calcutta» fut la coqueluche des premiers producteurs modernes. Il peut être reconnu à la riche couleur jaunâtre et brune obtenue après que le bambou est passé à la flamme. Le bambou «Tonkin» compétionne le «Calcutta» à partir de 1905 et, ultimement, le remplaça complètement chez les fabricants.

     Les ferrules (pour joindre les pièces de la canne) posèrent de nombreux problèmes aux constructeurs en diminuant la flexibilité de la canne. Il existe plusieurs centaines de brevets déposés seulement pour des ferrules, notamment par Hardy, Léonard, Chubb et Edward. En ce qui concerne les guides pour diriger la soie sur la perche, plusieurs volumes pourraient leur être consacrés.

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     Parmi les fabricants américains célèbres, on retrouve Hiram Lewis Léonard, qui testait ses modèle en pisciculture et qui rendit célèbre la ville de Bangor, E.F. Payne, Charles Orvis, Thomas, Edwards, et Harold Steele Gillium surnommé Pinky. Parmi les Anglais, on retrouve principalement Hardy, Allcock, Farlow, Forrest, Sharpe, Ogden. Plusieurs autres manufacturiers ont aussi produit des pièces de collection.

     La restauration des cannes de collection est un art difficile que peu de gens maîtrisent. Une restauration effectuée par un amateur peut ruiner une pièce de collection. Je dois avouer que je cherche encore la personne idéale pour effectuer ce genre de travaux. Il reste que les perches en bambou sont celles qui possèdent la plus grande valeur aux yeux du collectionneur, suivies de près par les cannes en bois. Il est à noter que la valeur de ces cannes est souvent moindre que le prix initial qui était suggéré par le manufacturier à l'époque. Il n'en demeure pas moins que les perches sont superbes à collectionner et font l'objet de discussions interminables entre pêcheurs, particulièrement l'hiver.

référence

» Texte et illustrations Pierre Provencher
» Salmo Salar #37, Hiver, Décembre 1994.
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