Pour Couche-Tard Seulement

    Serge Tanguay est membre du comité d'entomologie de la FQPM ATOS et il nous présente Yves Dalcourt auteur de cet article sur les nymphes et qui est aussi membre de ce fameux comité.

Un zoo la nuit

     La nuit, les rivières et les lacs se transforment parfois en véritable zoo d'insectes. Les uns profitent de la noirceur pour quitter le fond de l'eau et émergent alors que les aures en profitent pour changer d'habitat. Yves Dalcourt, un collaborateur régulier de PMQ, nous fait découvrir le phénomène de la dérive nocturne, une manne pour les truites.

     Serge Tanguay

INTRODUCTION

     Les pêcheurs à la mouche, c'est bien connu, sont des lève-tôt. Cet article s'adresse à ceux que la noirceur n'effraie pas, ceux qui désirent prolonger leur journée de pêche et qui ne craignent pas de rater le Téléjournal de 22 heures.

     Un des secrets les mieux gardés de la pêche à la mouche est la dérive nocturne des nymphes des invertébrés aquatiques. Il y a plusieurs raisons qui expliquent qu'une nymphe qui passe la majorité de son temps sous les roches ou les débris végétaux puisse se retrouver dérivant dans le courant.

     La dérive des nymphes peut être de deux types, aléatoire c'est-à-dire liée au hasard ou encore comportementale, c'est-à-dire liée à la biologie de l'insecte. Cet article veut vous faire connaître ces deux types de dérive en s'attardant plus longuement à la dérive comportementale.

LA DÉRIVE ALÉATOIRE DES NYMPHES

     On s'imagine facilement que tout au long de la saison, indépendamment de l'heure ou de la température, des nymphes puissent perdre pied et être entraînées par le courant. Ce phénomène est assez fréquent pour expliquer que la pêche soit productive la saison durant dans de nombreuses rivières.

     Une crue subite des eaux est un autre événement aléatoire susceptible d'augmenter le nombre de nymphes à la dérive. Ce type d'événement ne présente pas vraiment d'intérêt pour le moucheur car une crue subite augmente le volume d'eau circulant et quoique le nombre de nymphes à la dérive augmente, la densité de celles-ci n'augmente pas. De plus, une crue subite entraîne généralement une augmentation de la turbidité de l'eau.

LA DÉRIVE COMPORTEMENTALE DES NYMPHES

A) La dérive de pré-émergence

     Inévitablement, à un moment ou à un autre, les nymphes doivent quitter le fond pour émerger. Peu importe le mode d'émergence, la nymphe aura à se déplacer et cette activité accrue augmentera le nombre de nymphes disponibles. À cette étape de leur cycle biologique les nymphes sont très actives. La présentation de notre imitation en dérive passive (dead drift) n'est pas nécessairement l'approche à privilégier. Les Tricoptères en donnent un bel exemple car l'ascension vers la surface se fait rapidement et il y a peu de dérive vers l'aval. Il est donc avantageux d'avoir des connaissances de base sur le comportement des insectes que nous tentons d'imiter.

B) La dérive liée au rythme circadien

     En 1960, un entomologiste japonais, Hikaru Tanaka publiait un article intitulé : « On the daily change of the drifting of benthic animals in streams, especially on the types of daily change observed in taxonomic groups of insects ». Ce qui nous importe de retenir de cet article au titre on ne peut plus rébarbatif, c'est que ce chercheur a démontré de façon non équivoque l'influence du rythme circadien, c'est-à-dire l'alternance du jour et de la nuit et particulièrement dans les heures qui suivent le coucher du soleil. Cet événement étant prévisible, on comprend immédiatement qu'il est d'intérêt pour le pêcheur à la mouche. De là à penser que nous négligeons une période majeure de pêche, il n'y a qu'un pas.

     Ces recherches de Tanaka suscitèrent beaucoup d'intérêt chez les entomologistes dont le Dr Thomas Waters (USA) et Karl Mueller (SUEDE). Voici en bref les conclusions que nous pouvons tirer de leurs travaux.

     I) La dérive comportementale se fait surtout la nuit.

     II) La dérive est déclenchée par une diminution de l'intensité lumineuse.

     III) Durant la nuit, il y a habituellement deux périodes d'activités, un pic majeur survenant quelques heures après le coucher du soleil et un pic mineur survenant peu avant le lever du soleil.

     IV) La densité des nymphes qui dérivent est plus grande les soirs sans lune ou nuageux que les soirs où la lune est présente. Le Dr Anderson (Université de l'Oregon) a réussi en illuminant artificiellement une rivière à diminuer la densité des nymphes à la dérive à celle que l'on retrouve durant le jour.

     V) Le seuil de luminosité qui stimule la dérive des nymphes varie selon les espèces.

     VI) La dérive des nymphes se produit tout au long de l'année, les densités maximales se rencontrant de juin à août.

     VII) Selon Waters, les invertébrés qui dérivent le plus sont les Éphéméroptères, les Diptères (particulièrement les Simuliiadae), les Tricoptères et les Plécoptères et apparemment dans cet ordre.

     Nous savons pourquoi un insecte adulte dérive à la surface. Le subimago qui sèche ses ailes, la femelle exténuée ou morte après la ponte en sont des exemples. Nous ne savons toutefois pas pourquoi les nymphes profitent de l'obscurité pour se laisser dériver. Nous pouvons cependant émettre quelques hypothèses :

     I) Recherche de nourriture

     II) Contrer la surpopulation

     III) Éviter la prédation

     IV) Exploration de l'environnement

     V) Échapper à la disseccation, etc..

LA PêCHE A LA NYMPHE LA NUIT

     Ce qui est intéressant à la pêche de nuit c'est que les quatre principaux ordres d'invertébrés aquatiques (Éphéméroptères, diptères, Tricoptères et Plécoptères) d'intérêt pour le pêcheur à la mouche profitent de l'obscurité pour dériver. En d'autres mots, tous sont au rendez-vous.

     Les Éphéméroptères, par exemple, dérivent en grand nombre. Les Beatidés dont les nymphes sont bonnes nageuses dérivent sur de grandes distances. Nous savons aussi que leur densité est maximales 90 minutes après le coucher du soleil.

     Comme à toutes les règles, il y a une exception, il n'en va pas autrement ici. Plusieurs espèces de Tricoptères dérivent durant la journée (densité maximale), le stimulus étant la température de l'eau plutôt que l'intensité de la lumière. Encore dans Tordre des Tricoptères, la famille des Lirrtnéphiles, même si abondants ne dérivent que rarement à cause de leur encombrant fourreau.

     Même si la pêche se fait la nuit, cela ne signifie pas que les gros prédateurs que nous convoitons ont perdu toute méfiance. La noirceur réduisant la vision du poisson, notre nymphe doit lui passer sous le nez. Pour susciter une attaque, la dérive de notre imitation doit être naturelle (passive). Quand on pêche dans le noir et à la dérive passive, il y a inévitablement du mou dans l’avançon. Il est donc recommandé de garder votre canne basse et pointée vers la surface de l’eau. L'utilisation d'un détecteur de touche phosphorescent peut aussi être d'un grand secours.

     La décision de plomber ou non votre nymphe dépend surtout de la force du courant. Lors de la dérive nocturne des nymphes, celles-ci se retrouvent partout dans la colonne d'eau. Il n'est pas question ici de « racler » le fond mais bien de rompre la tension de surface de l'eau et de pêcher entre deux eaux. Des accrochages trop fréquents auront tôt fait de faire grimper votre tension artérielle à des niveaux inacceptables.

     Sachant que les plus gros spécimens sélectionnent habituellement les plus grosses proies, je recommande l'utilisation de nymphes plus grosses que celle de l'insecte imité. Il ne faut toutefois pas exagérer au risque d'intimider le poisson. Si par exemple une imitation commande un hameçon no 10, on montera la nôtre sur un hameçon numéros 8 ou 6.

     Quand à la couleur des nymphes, les imitations aux couleurs sombres tels le noir, le gris, le brun, m'ont toujours donné de meilleurs résultats que les couleurs pâles. Les imitations montées avec des matériaux phosphorescents ne m'ont donné, si ce n'est que quelques Crapets de roches et petits achigans, que de piètres résultats.

     Les petits poissons (vairons) profitent aussi de cette manne nocturne pour se gaver de nymphes et quelques gros prédateurs ne rateront pas une si belle occasion. N'oubliez pas vos « streamers ».

CONCLUSION

     Les salmonidés recherchent et défendent les territoires les plus propices à l'interception des nymphes à la dérive. À vous de trouver ces territoires et de profiter de l'obscurité pour les envahir.

     Bonne pêche et ne craignez pas la solitude, de nombreux représentants de la famille des Culicidae (maringouins) viendront vous tenir compagnie. 

     Bonne nuit!!!

référence

» Par Yves Dalcourt, Novembre, 1993.
» Atos, Mai 1994.

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