Pour la Gloire de mon Fils

     Un jour de novembre 1995, mon fils, Pierre-Olivier, alors âgé de 10 ans, me demanda de lui construire, dans un arbre situé dans la cour arrière de notre résidence, une cabane en planches d'un esthétisme douteux. Malgré que je m'objectai à ce grand projet à plusieurs reprises, il y tenait mordicus. J'eus donc l'idée de lui offrir un cadeau pour acheter la paix et sauver l'arbre visé. Je lui proposai plutôt de lui acheter une canne à moucher. Les discussions furent laborieuses mais il finit par accepter ma proposition. Je lui offris une canne à moucher de 8 1/2 pi et c'est tout heureux qu'il en prit possession. Quant à moi, je traînais de vieilles cannes et cuillères de toutes sortes, vestiges d'une autre époque. La première fois que je le vis présenter sa soie, et tout au cours de nos visites subséquentes en rivière, je découvris un fils qui avait une nouvelle passion, laquelle allait aussi entraîner son père. Ces moments étaient précieux.

Pour la Gloire de mon Fils
     J'avais déjà franchi le début de la cinquantaine et les souvenirs de ma jeunesse surgissaient avec force: les odeurs familières, les couleurs, les bruits de la forêt; j'avais le même âge, comme si ses gestes étaient les miens. Le hic, c'est que je ne connaissais rien, mais rien, de la pêche à la mouche.

     Si, au début, nous fréquentions la rivière Kabir Kouba (Loretteville) où l'ensemencement annuel de truites nous procurait joies et plaisirs, l'idée de partager avec mon fils l'apprentissage de la pêche du saumon m'apparut plus emballante et je commençai les secrets du montage des mouches. Je poursuivis ensuite pendant tout l'hiver l'achat d'équipement.

     Durant l'été de 1996, j'avais découvert la rivière Matane, accompagné d'un habitué, M. Paul Gauthier, qui m'en avait vanté tous ses mérites. J'en étais revenu ébloui et convaincu de poursuivre mes efforts afin de pouvoir y pêcher. Ainsi, en ce début d'août 1997, l'aventure pouvait commencer. Gonflés à bloc, sans peur et sans reproche, nous quittions Québec pour notre premier vrai voyage de pêche.

     Après notre visite au centre d'interprétation de la rivière Matane, nous avons poursuivi notre route vers Saint-René et l'hôtel Métropole où Adorelle Simard et son mari nous ont accueillis avec beaucoup de gentillesse, l'hospitalité étant de mise. Dans la salle à manger, les photos qui tapissent les murs témoignent des exploits des pêcheurs de la Matane. Elles ont eu vite fait de nous convaincre que nous étions au bon endroit. Dès le lendemain, nous arrivions à une première fosse, la Petite Matane, surnommée au Métropole, un peu timides mais décidés à bien faire. Je dois dire que le père était sans doute plus intimidé que le fils de s'insérer pour la première fois dans une rotation; après tout, mes connaissances étaient assez limitées. Tout se déroula sans anicroche et, petit à petit, nous nous sentions plus à l'aise dans ce nouvel environnement, avec un sens d'observation bien éveillé pour connaître les tenants et aboutissants d'un vrai pêcheur de saumon.

Pour la Gloire de mon Fils
     Après quatre jours, malgré tous nos efforts, je sentis chez mon fils un léger sentiment d'impatience. Tenace malgré son jeune âge, il avait exploré de façon méthodique, mais sans résultat, chacune des fosses que nous avions visitées. Je pouvais le comprendre et m'inquiétais qu'il renonce. Les choses n'allaient pas s'arranger en cette dernière journée de pêche. Tôt le matin, il perdit pied dans la Petite Matane et se ramassa les quatre fers en l'air. L'orgueil en prit pour son rhume. Malgré la difficulté, je l'invitai à poursuivre pour éviter de sauter son tour de rotation; rien ne le fit changer d'idée. Son humeur s'était assombrie. Allait-il tout abandonner ?

     Il était près de 9 h, ce 11 août 1997, lorsqu'il réapparut dans le sentier qui menait à la fosse; ses yeux noirs en disaient long sur son sentiment de frustration. Faute d'argument, je lui déclarai comme dernier encouragement que, s'il prenait un saumon, je lui donnerais cent dollars, ce qui je vous l'avoue aujourd'hui représente, selon mes moyens, un montant fort respectable.

     On ne saura jamais si ce fut un acte divin, mais, aussitôt qu'il reprit du service à la tête de la fosse, il ne lui fallut que quelques minutes pour que j'entende un cri perçant: « Papa, j'en ai un ! » Wow ! Quelle surprise, je rien revenais tout simplement pas ; j'étais fier et content pour lui. J'assistai au combat majestueux, mené de main de maître par ce jeune homme de 12 ans, accompagné par un Marcel Massé généreux de ses conseils et qui, avec sa puise, se saisit habilement d'un saumon qui allait faire osciller la balance à plus de 11 1/2 lb. Nous avions notre premier saumon. Bien que nous nous étions entendus pour remettre à l'eau notre première prise, je dois avouer que ce fut au-delà de nos forces. Il était trop magnifique dans sa robe argentée. À ce moment, je compris que nous étions devenus des membres à part entière de cette communauté de pêcheurs et que mon fils avait réalisé tout un exploit. Après les félicitations de la galerie et les prises de photos, une vieille dame, présente de corps et d'esprit, est venue lui rappeler, ainsi qu'à moi, que ce saumon valait son pesant d'or... Quant au père, il rappela à son fils que cette gloire, si éphémère soit-elle, retombait aussi sur lui. Ces souvenirs et douceurs mémorables, sont fixés à jamais dans notre mémoire.

     Ces mots racontent nos gestes et nos émotions et témoignent de l'amitié et de l'affection qui unissent un père et son fils dans cette formidable école de la vie que constitue la pêche du saumon. Je m'en voudrais de passer sous silence l'hommage qu'il me fit, cette fierté ressentie en ce mois d'août 1997. J'eus l'occasion de le lui rendre en juin de cette année, par la prise d'un magnifique saumon de 14 lb sur la Matapédia. Comme lui, j'eus droit aux conseils chaleureux d'un initié, M. Jean Boismenu, envers qui je suis redevable. De même, des spectateurs Aux Fourches n'hésitèrent pas à me donner un coup de main au passage pour capturer mon premier saumon, le jour de la fête des Pères et sans doute pour la gloire de mon fils. Je comprends aussi qu'un jour nous allons retourner Salmo salar à la rivière; il le mérite, il s'agit simplement d'une question de temps.

références

» Texte et photos René Mercier
» Saumons illimités, Automne 1999.
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