La Nymphe en Rivière: Une Stratégie (1)

     Une artalyse sommaire de contenus stomacaux prélevés chez des truites capturées en rivière suffit pour mieux cerner certaines de leurs habitudes alimentaires. Les concentrations de larves d'insectes qu'on y observe ne laissent aucun doute quant à leur importance dans la diète de la truite.

     Certains auteurs prétendent même que les insectes aquatiques, aux premiers stades de leur vie, constituent environ 85 p. cent du régime alimentaire de cette espèce de poisson. Prenant pour acquis que ces insectes passent 90 p. cent de leur vie sous forme de larves, vivant accrochés aux herbes aquatiques ou cramponnés sous les cailloux, on comprend mieux pourquoi ils sont des proies convoitées par la truite qui cherche à se nourrir.

     Le pêcheur à la mouche, en choisissant de déjouer la truite de rivière en utilisant une nymphe, ne fait que reproduire ce qui se passe en réalité. Il ne suffit pas de savoir différencier une nymphe d'une mouche sèche pour avoir du succès en rivière... Certaines informations sur les habitudes de la truite et une connaissance de base de la structure d'un cours d'eau favorisent une approche plus compréhensive de la pêche à la nymphe en rivière.

COMPORTEMENT DU POISSON

     La truite est jusqu'à un certain point semblable à l'humain; elle a des besoins qu'elle cherchera à satisfaire. On sait que la truite ne peut pas lutter contre un courant très fort pendant une longue période. Cette constatation peut paraître surprenante, mais on convient qu'un courant violent peut épuiser une truite rapidement. Ceci ne signifie pas que la truite recherche des eaux calmes ou qu'elle ne fréquente pas les eaux rapides; elle sera plus confortable toutefois là où le débit de l'eau est ralenti par un obstacle quelconque. Certains spécialistes de la faune aquatique prétendent même que cette recherche de protection contre les courants violents constitue un de ses besoins prioritaires.

     La truite cherche également à se protéger contre ses prédateurs. Il suffit d'aborder nonchalamment une fosse pour réduire de 50 p. cent ses chances de succès. Je me suis souvent fait cette remarque: «la truite doit avoir quelque part dans son système nerveux une sorte de sentinelle qui veille constamment et qui la fait fuir au moindre indice de danger!» Elle a donc besoin d'un refuge. L'eau sombre de certaines fosses, le profil de grosses roches situées près de sa niche, les lits de végétation en eau plus calme sont autant d'endroits où la truite ira se cacher.

     La température constitue un autre facteur qui déterminera la présence de la truite dans un secteur de rivière. On sait que ce poisson recherche une eau fraîche et bien oxygénée. Durant les périodes chaudes de l'été, la truite se rapproche des sources qui alimentent la rivière; elle peut également fréquenter le pied des rapides où l'eau est bien oxygénée.

     Pour se maintenir en vie et pour devenir grosse comme on la souhaite, la truite doit se nourrir! On peut déjà déduire que les meilleurs endroits de pêche en rivière devront offrir à la truite protection contre ses prédateurs et les flots trop violents, une température convenable et une abondance de nourriture. Le pêcheur à la mouche qui est en mesure d'identifier ces endroits dans une rivière a déjà un pas d'avance sur celui qui ignore ces données.

Structures d'une rivière

     Pour un pêcheur débutant, la vue d'une rivière peut paraître déroutante. On se demande où pêcher. Cette question, je me la pose encore chaque fois que j'aborde un nouveau cours d'eau. Une bonne lecture du plan d'eau permet d'identifier les endroits les plus propices. Voici comment Dave Hughes dans son volume «Reading the water» décrit ces endroits.

Les coulées (riffles)
     Par définition, les coulées sont des eaux modérément rapides dont la profondeur peut varier de quelques pouces à trois ou quatre pieds (un mètre). L'inégalité du lit de la rivière, généralement pavé de cailloux difformes, crée une turbulence près du fond qui se manifeste à la surface par une ondulation, sorte de vaguelettes qui confèrent à ces sections de rivière leur caractère distinctif. Les multitudes d'interstices entre les cailloux, servant d'abri aux larves, la présence d'une flore aquatique microscopique et une eau bien oxygénée, font de ces eaux de véritables «champs» de culture pour insectes aquatiques.

Les fosses en coulée (runs)
     Les fosses en coulée sont fréquentes dans toutes les rivières. Elles sont parfois évidentes, quelquefois moins faciles à reconnaître. Causées par une dépression du lit de la rivière, ces fosses sont souvent situées entre deux rapides. L'écoulement de l'eau se fait généralement plus lentement que dans les courants avoisinants; si le fond de la fosse est peu accidenté, la surface sera plutôt calme, s'il arrive cependant que le courant rencontre des obstacles telles des roches, la surface de l'eau sera alors agitée; vu la profondeur, l'eau paraît plus sombre dans la fosse que dans les eaux des rapides qui l'entourent. Ces fosses que j'appelle parfois «passes» peuvent être très étroites et passablement longues.

Les fosses

     Une fosse est le résultat d'une dépression majeure du lit de la rivière. En examinant bien une fosse, on remarque que le lit de la rivière se creuse progressivement au début puis de façon plus abrupte pour atteindre le centre de la fosse. À la fin de ce trou en aval, le lit de la rivière remonte progressivement pour former la queue de la fosse. Les fosses sont des lieux de prédilection pour la truite dans une rivière. Ce sont les endroits les plus profonds de la rivière; le débit de l'eau semble leur convenir tout à fait.

Sections calmes (flats)
     Rares sont les cours d'eau qui ne présentent pas sur leur parcours des sections peu inclinées où l'eau coule au ralenti. Au fil du temps, les éléments en suspension dans l'eau se déposent pour couvrir le lit de la rivière de gravier, de sable et même de vase. Ces alluvions rendent le milieu très propice aux insectes aquatiques comme les phryganes et les éphémères. L'action hydraulique du courant étant minime, les plantes aquatiques peuvent s'enraciner et deviennent une caractéristique de ce milieu.

Les cuvettes (pocket water)
     Les cuvettes sont habituellement causées par l'affouillement des courants latéraux derrière des obstructions dans les rapides. Le lit de la rivière se creuse en aval de l'obstacle pour former une sorte de cuvette dont la dimension est généralement proportionnelle à la grosseur de l'obstacle et au volume d'eau dévié. Le courant en aval est ralenti et la truite en profite pour s'y nicher. Ces fosses sont très communes dans les eaux rapides des rivières. En ce qui concerne les berges et les coudes, la truite pourra se tenir le long des rives pourvu que le courant soit favorable et qu'elle y trouve un certain couvert.

Équipement

     Pour pêcher la truite à la nymphe en rivière, je préfère une canne de 9 pieds (2,75 mètres) en graphite, à action rapide, combinée à une soie flottante n° 5, à double fuseau. Ce système facilite de beaucoup le contrôle de l'artificielle, l'exécution de lancers roulés, et les amendements à apporter à la soie, si nécessaires.
Quand je décide de concentrer ma pêche surtout dans les fosses profondes des grandes rivières, j'utilise une canne de graphite de 10 pieds (3 mètres) et une soie type «Depth Charge» de «Air Flo». Cette soie, dont le poids excède deux fois le poids d'une soie plongeante n° 12, offre une vitesse de plongée extrêmement rapide; jumelée à un bas de ligne à plongée rapide, elle me permet de «gratter» le fond de la fosse!

     Revenons-en à la soie flottante n° 5. Vous aurez besoin d'une bonne quantité de lest. On trouve dans les boutiques de pêche des petits plombs style Split Shot, ou encore de petites lamelles de plomb Twist-on qu'on enroule autour du bas de ligne, le fil de plomb utilisé pour lester les artificielles peut également servir pour appesantir le bas de ligne. Quand on pêche à la nymphe en rivière, on doit constamment ajuster le poids du bas de ligne selon la vitesse du courant et la profondeur d'eau où Ton pêche.

     Lors d'une cueillette d'insectes, on remarque rapidement comment les nymphes se marient à leur environnement. Les larves sont le plus souvent de couleur grise, noire, brune, olive. À mon avis, les nymphes artificielles n'exigent pas de couleur très recherchée. Il n'est pas nécessaire non plus de disposer d'un éventail très large d'artificielles. Cherchez à vous procurer des nymphes artificielles faites de matériaux souples; elles ont plus de «vie» dans l'eau et sont généralement plus efficaces. Vous retrouverez, en fin d'article, quelques suggestions de nymphes.

Techniques d'approche

     Pour augmenter vos chances de succès à la pêche en rivière, il est bon de respecter certaines consignes: Évitez les mouvements inutiles qui pourraient dévoiler votre présence à la truite. Surveillez même votre ombrage s'il a lieu. Il s'agit avant tout de ne pas être remarqué par le poisson. Des vêtements dont la couleur se marie, si possible, à l'environnement sont préférables.

     Évitez des lancers très longs. Il est préférable de s'en tenir à des lancers plutôt courts; ils vous permettront un meilleur contrôle de la soie, les attaques de la truite seront plus faciles à détecter et vos réactions plus rapides.

     Demeurez constamment en contact avec l'artificielle, en récupérant tout le mou de la soie dès que vous avez complété votre lancer, et gardez les yeux bien rivés sur l'avançon.

     Dans les eaux rapides, le lancer en amont demeure une tactique très efficace. Elle consiste essentiellement à lancer l'artificielle tout à fait en amont de sa position. Cette présentation permet à la nymphe, qu'elle soit lestée ou pas, d'amorcer sa dérive dès qu'elle pénètre le film de l'eau. Pour garder un bon contact avec l'artificielle, on doit récupérer le mou dans la soie au fur et à mesure que la nymphe dévale la rivière; le scion de la canne suit le déplacement de la soie entraînée par le courant; lorsque celle-ci croise notre position, on peut dégager un peu de ligne pour permettre à l'artificielle de compléter sa trajectoire en aval. Cette façon de pêcher demande un peu de pratique et beaucoup de vigilance, car la truite gobe souvent l'offrande de façon très subtile. S'il n'y a pas d'activité particulière, je poursuis ma prospection en effectuant d'autres lancers en amont, prenant bien soin à tous les deux ou trois lancers de faire suivre à la mouche une trajectoire toujours plus éloignée de moi.

     Dans les rapides, et particulièrement derrière les grosses roches, la truite est très preneuse; c'est là qu'elle se protège des courants trop violents et de ses prédateurs. Les systèmes de courants qui prévalent transportent une infinité d'éléments en suspension dans l'eau dont la truite pourra se nourrir sans avoir à dépenser trop d'énergie. 

     Généralement, le poisson se tient près de la ligne du courant, ou à la rencontre des deux courants en aval de l'obstacle; quand on réussit à placer l'artificielle dans ce «couloir», si la truite y est, l'attaque ne tarde pas. Je souligne qu'il est important de laisser la nymphe dériver dans ce couloir; pour favoriser une dérive plus naturelle, il est parfois nécessaire d'utiliser l'avançon le plus fin que la situation permet. Si la profondeur de l'eau n'excède pas trois pieds (un mètre), une nymphe lestée suffira pour placer l'artificielle au niveau de la truite. J'ai l'impression que dans ces fosses, la truite se déplace plus facilement à la verticale qu'à l'horizontale...

     Dans les grandes rivières, telles la Broad-back et l'Ashuanipi, toutes deux reconnues pour leur population de grosses truites mouchetées, les obstacles dans les rapides sont d'une importance capitale. Le volume d'eau en mouvement et la force du courant obligent à recourir à des systèmes plus lourds, comme une canne en graphite de dix pieds (trois mètres) et une soie n° 10. Les grosses nymphes, les «Woolly Buggers» et les «Miracle Marabout» n° 2, 2/0, et même davantage, n'intimident pas ces truites, croyez-moi!

Stratégies spécifiques

     Les fosses demeurent certainement les lieux privilégiés pour les grosses truites. Comme elles se tiennent surtout près du fond, il faut y mettre du poids pour que l'artificielle descende à leur niveau. J'utilise un bas de ligne légèrement plus long que la profondeur estimée de la fosse; en y enroulant du fil de plomb, à environ 16 à 20 pouces (40 à 50 cm) de l'extrémité, je parviens à faire plonger la mouche près du fond; si la dérive est trop lente, j'enlève un peu de poids. Si la truite ne réagit pas à la première offrande, alors, je n'hésite pas à varier mes artificielles et à répéter mes lancers en amont de la fosse.

     Un bon pêcheur à la mouche sait respecter son «territoire» de pêche; tel un chasseur sur le point de traquer son gibier, le pêcheur se doit d'éviter tout mouvement susceptible de révéler sa présence; on s'abstiendra de «fouetter» la surface de la fosse: si on rate son lancer, mieux vaut récupérer lentement la soie dans sa main et recommencer par une série de faux lancers, en prenant soin de garder la soie bien haute.

     Quand les fosses sont vastes et profondes, j'utilise une soie et un bas de ligne à plongée très rapide. Comme je le signalais au chapitre de l'équipement, la soie «Depth Charge» de Air-Flo, ou son équivalent, permet vraiment de «sonder» le fond de la fosse; parfois, seule une récupération très rapide et par secousses très vives réussit à faire réagir le poisson.

     Dans les fosses en coulée, c'est aux abords des roches, près du fond, ou encore près des parois de la fosse, que la truite tend à établir son territoire. Comme il n'est pas facile de localiser les endroits où elle se positionne, je prospecte en lançant ma nymphe à 45° dans le courant, à une fréquence de un ou deux lancers à tous les deux ou trois pas vers l'aval. Si je remarque la présence de truites, je reprends mes lancers de façon plus méthodique.

     Dans les eaux plus calmes, la truite cherchera refuge près des lits de végétation, sous les troncs d'arbres submergés ou le long des rives, près des arbustes, si elle y trouve un couvert adéquat. Comme elle est particulièrement farouche dans ces eaux peu profondes, un bas de ligne de 10 à 12 pieds avec avançon de deux ou trois livres de résistance permettra des présentations beaucoup plus délicates. Une Hare's Ear n° 10 à 16, ou une nymphe Pheasant Tail n° 12 à 18, légèrement lestée, lancée près des berges, le long des troncs d'arbres ou près des plantes aquatiques peut devenir très productive. D'autres nymphes dans les mêmes grosseurs pourraient être aussi efficaces.

     Les contre-courants sont des déplacements de masse d'eau en sens inverse du courant principal. Ils sont généralement provoqués par une arrivée massive d'eau dans une fosse où l'eau est plus calme; on retrouve aussi ce phénomène le long des berges dans les coudes de rivière. Ils pren¬nent parfois l'allure de grands remous facilement remarquables par ces nappes d'écume qui se déplacent en décrivant d'interminables mouvements circulaires. Ailleurs, ils seront moins apparents; seule l'expérience, une bonne observation et la dérive de la soie nous indiqueront la présence de ces courants capricieux.

     Pour pêcher convenablement dans les contre-courants, il est important d'analyser les mouvements de l'eau afin de se positionner pour en tirer le maximum de profit. J'utilise un long bas de ligne, d'une dizaine de pieds ou plus, et une nymphe légèrement lestée; moins il y a de soie à la surface de l'eau, plus je trouve facile de contrôler la dérive de l'artificielle. Il est parfois impossible d'approcher suffisamment ces trous sombres pour ne pêcher qu'avec le bas de ligne et très peu de soie sur l'eau; j'ai en mémoire quelques endroits où la complexité des courants ont rapidement eu raison de ma patience!... Alors, je cède le «trou» à de plus habiles que moi!

Touf un défi

     Sans être très difficile, la pêche en rivière à la nymphe n'est pas simple non plus; je constate qu'il est plus facile de «pêcher sur papier» qu'en rivière où tout ne va pas aussi rondement et où les fosses ne se démarquent pas aussi clairement. Il y aurait encore beaucoup à dire sur la pêche à la nymphe en rivière; certains auteurs d'ailleurs en ont fait l'objet de volumes entiers. Cependant, une connaissance de base des moeurs et des besoins de la truite et une meilleure compréhension de la structure d'un cours d'eau demeurent le secret d'une pêche en rivière plus agréable et plus fructueuse.

Références

» Texte & Photos: Louis Tanguay (Février 1992).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

PrécédentPage 1 sur 8