L'Ère des Noyées Émergentes

     Voici de nouveaux modèles d'artificielles et une approche originale assortie qui permettront aux moucheurs de « s'adapter » à la sélectivité croissante des truites.

L'Ère des Noyées Émergentes Par Sylvain Trudel
     La légendaire témérité avec laquelle nos truites mouchetées attaquaient les mouches artificielles colorées présentées par nos prédécesseurs n'est malheureusement plus, aujourd'hui, à la hauteur de sa réputation... Du moins, avouerons-nous, dans les territoires de pêche assidûment fréquentés, ceux qui sont situés près des agglomérations urbaines, facilement accessibles pour une ou deux journées de pêche bien méritées!

     Je connais ainsi plusieurs lacs qui, de l'aveu de plusieurs pêcheurs expérimentés, n'offrent plus le potentiel de prise par journée d'antan. Cependant, souvent, l'affirmation est bien relative, puisqu'ils racontent immanquablement les dizaines et dizaines de ronds de gobage qu'ils observent régulièrement en de belles et mémorables soirées où, parfois et enfin, leurs Parmachene Belle ou Montréal Dark arrivent encore à prouver leur efficacité...

     En somme, le plus souvent, la truite est bien au rendez-vous, agressive, spectaculaire, affamée mais... farouche. Normal. Plus de pêcheurs, toujours plus, avec des leurres aux couleurs flamboyantes, parés d'or, d'argent, de rouge, de vert, de jaune. Ces leurres métalliques et ces mouches si colorées auront toujours, bien sûr, leur place dans l'arsenal du pêcheur averti. Ils attirent, brillent et suscitent la curiosité, mais aussi ils dérangent, perturbent et font peur aux truites plus expérimentées, ou simplement à toutes celles qui en ont peut-être trop vu passer ces derniers temps...

     Dans ces situations, la truite choisira ce qui ressemble plus à de la vraie nourriture qu'à une bibitte de métal, de poils ou de plumes trop éclatante. Et souvent la moindre petite émergence aura tôt fait de réduire à néant nos chances de récolter une mouchetée de plus avec les traditionnelles et inévitables Royal Coachman, Colonel Fuller, Parmachene Belle, Montréal Dark, Professor... Pour les inconditionnels de la mouche noyée, que je sais très nombreux, ou alors si le type de gobages des truites est plutôt discret et épars, il est temps d'exploiter l'immense potentiel de ce que j'appelle les «mouches noyées émergentes»...

Mouche noyée d'hier... à aujourd'hui

     Les débuts de la pêche à la mouche virent naître des artificielles essentiellement conçues pour imiter des insectes adultes, soit tombés accidentellement à l'eau, soit ayant accompli leur rituel d'accouplement et terminant dans le milieu où ils sont nés leur bref séjour à l'air libre. La recherche des modèles de mouches avait alors comme unique but de provoquer l'attaque de la truite, et non de la leurrer complètement avec une imitation très réaliste.

     C'est ainsi qu'au cours du siècle dernier, la majorité des modèles ayant connu une forte popularité avait un style et plusieurs caractéristiques en commun : ailes rigides de canard, d'oie ou de dinde, queue aux couleurs contrastantes ou carrément rouge, hackle en collerette également coloré et corps assez simple typiquement composé de soie floche aux couleurs variées avec des côtes de tinsel.

     Assez paradoxalement, ces mouches n'avaient souvent pas plus d'apparence naturelle que leur technique de récupération! En effet, alors qu'elles étaient conçues à la base pour imiter des insectes adultes qui se noient, elles étaient plutôt manipulées par des récupérations régulièrement saccadées de la soie, dans l'espoir de provoquer l'agressivité et l'opportunisme des truites dont la quantité compensait les défauts techniques ou le manque de raffinement des équipements de l'époque.

     Or, cette façon de monter les mouches et d'en exploiter l'aspect, plus associé à des mouches à saumon qu'à de véritables imitations d'insectes, a pourtant réussi à faire attraper des millions de truites à deux siècles de générations de moucheurs! Mais le problème se pose maintenant avec de plus en plus d'acuité, à mesure que la truite s'adapte en se montrant plus sélective... Et souvent, contre toute attente, même les modèles de mouches noyées aux couleurs plus subtiles n'ont pas toujours l'efficacité escomptée. Normal, car les modèles réputés, comme les March Brown, Greenwell's Glory ou Black Gnat, sont encore des imitations d'insectes adultes, avec des ailes rigides et un corps en soie floche et tinsel, que les poissons peuvent facilement associer aux mouches plus colorées.

Nouvelle approche et conception

     Évidemment, il pourrait être aisé de conclure que lorsque les truites boudent nos mouches noyées, un changement radical comme pêcher à la nymphe ou à la sèche s'impose. Cependant, il faut aussi avouer que tant dans leur technique de présentation que par le type de soie et d'avançon à utiliser, les sèches et les nymphes ont leurs propres exigences afin bien sûr d'espérer tirer le maximum de leurs potentiels respectifs.

     C'est ici que, tant pour les amateurs de noyées et les monteurs de mouches que pour ceux à la recherche de nouveautés, la technique de la «noyée émergente» prend toute son importance. Je m'explique.

     L'approche et le raisonnement sont ceux-ci. Il s'agit d'imiter un insecte ailé en train d'émerger, ce qui nécessite un montage se situant entre la nymphe et la noyée traditionnelle, présenté immédiatement sous la surface de l'eau, avec une allure très naturelle et un mouvement assez lent.

     En effet, pour qu'un insecte ailé puisse quitter son enveloppe, il doit d'abord s'appuyer le dos contre le film de l'eau, se servant de ce dernier comme d'un aimant, pour ensuite s'extirper de son enveloppe et finalement « grimper » sur la surface. Or, c'est justement lors de cette transformation que l'insecte devient le plus visible, puisqu'il est littéralement éclairé par toute la lumière venant tant de la surface que de tous les côtés, grâce au phénomène de réfraction, d'autant plus qu'il doit se contorsionner violemment afin de pouvoir quitter définitivement son enveloppe devenue désuette.

     D'ailleurs, au cours de plusieurs plongées sous-marines, j'ai constaté à quel point tous les insectes, si minuscules soient-ils, sont extrêmement visibles sous l'eau et ce, jusqu'à ce qu'ils aient traversé le film de la surface, alors qu'ils deviennent pratiquement invisibles.

Nouveau style de montage

     Partant de ces observations et constatations, j'ai donc entrepris d'effectuer des montages de mouches s'apparentant aux modèles de noyées, mais sans respecter les normes classiques de conception, notamment en ce qui a trait aux ailes, au corps et à l'aspect général. D'abord, au lieu de rechercher l'éclat ou le contraste des couleurs, j'ai plutôt cherché à agencer les teintes des matériaux afin qu'elles soient toutes harmonisées dans les différentes composantes des mouches. Ensuite, j'ai transformé les ailes standards rigides en ailes molles, immatures et simples. Enfin, j'ai remplacé la traditionnelle soie floche par du dubbing de fourrure, ou un enroulage de plume d'autruche ou de queue de paon.

     Les résultats en situation de pêche furent surprenants. Tous les modèles que j'avais confectionnés eurent un succès instantané tant en lac qu'en rivière. Puis mon père a constaté que toutes les mouches dont je lui avais fait cadeau et que j'avais montées selon ces principes, sans toutefois lui en révéler davantage, fournissaient des résultats supérieurs à toutes celles qu'il avait pourtant l'habitude d'employer sur les lacs qu'il fréquente depuis déjà de nombreuses années.

     Pour les débutants ou les monteurs de mouches occasionnels, ce type de noyée facilite énormément la tâche, puisque normalement la plus grande difficulté réside dans la confection des ailes qui se veulent rigides, uniformes, égales... Or, la tâche délicate et assez ardue de bien découper, égaliser, tenir, monter et séparer parfaitement deux ailes de plumes de dinde ou d'oie finit souvent par décourager les adeptes qui n'ont cependant aucun problème avec toutes les autres étapes de confection.

     L'utilisation d'ailes molles, soit de perdrix, de canard ou de tout autre oiseau sauvage (j'ai même employé les ailes d'un étourneau «assassiné» par le chat du voisin...) facilite énormément l'étape d'attache, puisque les deux ailes sont collées ensemble et que leur apparence n'a que peu d'importance, sinon d'être «naturellement immature». Comme vous pouvez d'ailleurs le constater sur les photos, les résultats sont surprenants, voire «naturellement esthétiques», ce qui évidemment ajoute au plaisir et à la véritable fascination que procure le montage de nos propres mouches.

Suggestions de modèles existants

     Certaines mouches commerciales, ou du moins mentionnées dans la documentation et donc imitables par un ami ou un monteur professionnel, peuvent être utilisées par les confrères moucheurs qui n'ont pas encore fait «le grand saut» dans l'art du montage. Les modèles suivants peuvent donc, selon moi, correspondre par leur aspect général aux critères que devrait rencontrer une «mouche noyée émergente» : French, Partridge, Drowned May, Maltland's, Moser, Duk's Dun, Carey Spécial, Melvin Olive et Dark Hendrickson. Ces mouches sont toutefois d'origine étrangère, et leur disponibilité peut parfois s'avérer problématique.

Green Light

Hameçon : Mustad 9671 #8
Fil : «Camel».
Queue : Fibres de crête de faisan doré mâle.
Corps : Soie floche vert moyen.
Côtes : Deux fibres de queue de faisan, préalablement spiralées l’une sur l'autre.
Hackle : Fibres de plume beige d'un canard sauvage.
Ailes : Fibres de plume d'un canard sauvage, d'un coloris allant du beige au marron.

Chesnut

Chesnut
Hameçon : Mustad 9671 #10.
Fil : «Camel».
Queue : Fibres de hackle beige.
Corps : Mélange de dubbing «Adams Grey» (3/4) et de dubbing roux (1/4).
Côtes : Mince tinsel or.
Hackle : Fibres du même hackle que celui utilisé pour la queue.
Ailes : Fibres de plume d'un canard sauvage, d'un coloris allant du beige au marron rougeâtre.

Hazel Legs

Hazel Legs
Hameçon : Mustad 3906 #10.
Fil : «Camel».
Queue : Fibres d'un backle d'aile de gélinotte huppée.
Corps : Dubbing «March Brown» (1/3), dubbing «Adams Grey» (1/3) et dubbing roux (1/3).
Côtes : Nil.
Hackle : Fibres du même hackle que celui utilisé pour la queue.
Ailes : Fibres de plume de flanc de malard brun.

Mottie White

Hameçon : Mustad 3906 #10.
Fil : «Camel».
Queue : Poils de garde d'un lièvre devenu presque blanc (capturé tard l'automne).
Corps : Dubbing «Light Cahill».
Côtes : Tinsel étroit argenté.
Hackle : Même type de poils que la queue.
Ailes : Fibres de plumes de flanc de malard, dont 3/4 de fibres blanches en dessous et 1/4 de fibres marron au-dessus.

référence

» Par Sylvain Trudel.
» Sentier Chasse & Pêche.

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