Éphémères pour Mouchetée par Jacques Juneau

     La pêche à la mouche en surface à l’aide d’imitation d’éphémères représente le plaisir ultime du moucheur. Voici donc tout ce que vous devez savoir pour en tirer le maximum.

    Pêcher la truite mouchetée avec des reproductions d’éphémères représente pour le moucheur québécois l’activité la plus classique et en même temps celle qui procure les émotions les plus excitantes et les images de la plus grande beauté sauvage. Outre l’élégance du lancer, ce royaume de la longue canne et de la soie flottante offre le spectacle incomparable de la dérive de l’artificielle à la surface se mêlant aux vrais insectes flottant comme autant de mimi-voiliers et passant au-dessus des méfiants prédateurs qu’on veut leurrer, tout cela faisant frémir le cœur de tout pêcheur à la mouche.

Un mot sur l’équipement

Éphémères pour Mouchetée par Jacques Juneau
     Comme la truite mouchetée est principalement pêché en lac chez nous, l’équipement doit être adapté à la situation. Il ne faut pas lésiner sur la qualité de la canne et la soie parce que la pêche à la surface d’un lac est basée sur de délicates présentations d’artificielles bien contrôlées. La longueur, l’action et les autres caractéristiques des cannes ainsi que les marques de soies flottantes demeurent affaires de choix personnel pourvu que la qualité y soit.

    À la pêche à la mouche sèche plus qu’à tout autre, les artificielles utilisées doivent surtout être montées avec des matériaux de qualité. N’hésitez donc pas à magasiner dans les bonnes boutiques spécialisées offrant des artificielles de qualité et de bons conseils que vous ne retrouverez pas dans les chaînes et les grandes surfaces.

    La boite à mouches protégeant vos précieuses artificielles, elle doit être aérée pour prévenir la moisissure et la corrosion et offrir suffisamment d’espace pour ne pas abîmer les collerettes des mouches, si importantes pour leur flottaison. N’oubliez pas que les lunettes à verres polarisés protègent les yeux, permettent de mieux voir les émergences et les gobages et réduisent l’aspect éblouissant de la surface. Elles peuvent même permettre de repérer la truite dans son habitat et de mieux la garder à l’œil au moment de la passer à l’épuisette.

Introduction à ce groupe d’insectes

     Le succès de votre sortie de pêche repose en partie sur vos connaissances de ces insectes aquatiques, qui forment l’ordre des éphémères, et des artificielles qui les imitent. Par exemple, il peut s’avérer très important de savoir que les activités d’émergence des éphémères reviennent régulièrement durant les mêmes périodes, années après années, chaque espèce suivant son calendrier propre.

    Le cycle de vie de l’éphémère commence lorsque la femelle se déleste de ses œufs, lesquels descendent jusqu’au fond du plan d’eau. Après sa sortie de l’œuf, l’insecte passe la plus grande partie de sa vie au stade nymphal au cours duquel il effectuera plusieurs mues. La truite profitera bien sûr de ces nymphes pour se nourrir, mais bien davantage lors de l’étape suivante alors que l’éphémère montera vers la surface pour « éclore »comme un fruit mûr sous forme d’insectes ailé.

    Flottant à la surface, ce nouvel adulte ne peut pas s’envoler immédiatement parce qu’une grande partie de son énergie a été consacrée à percer le film de la surface, et aussi parce qu’avant ses ailes doivent se déployer à partir de leur position de départ en accordéon jusqu’à leur pleine extension, presque à la verticale. Lors de cette apparition en surface l’éphémère est évidemment très vulnérable, le grand nombre d’insectes qui font surface attirant toujours l’attention de la moucheté.

    Ce moment privilégié que le pêcheur à la mouche appelle émergence* est sans doute l'événement le plus joyeusement anticipé par tous les moucheurs.
Cependant, sachez que ce petit voilier attendant que ses ailes lui permettent de quitter la surface n'est qu'un adolescent immature qui s'envolera pour rejoindre la protection des arbres. C'est ce stade appelé subimago (« dun » en anglais) que la mouche sèche imite le plus. Mais alors, qu'est-ce qu'un insecte adulte? Eh bien ce subimago abandonne son enveloppe de pré-adulte une dernière fois, à l'air libre sur une branche ou une roche de la berge, et il en sort un imago (« spinner »), soit un adulte mature dont le seul but est de se reproduire pour assurer la perpétuation de l'espèce. L'accouplement a lieu lors du vol nuptial et la femelle vient pondre ses œufs à la surface sitôt après. Les insectes des deux sexes meurent à la suite de la reproduction et le cycle recommence grâce aux œufs qui éclosent. Le court laps de temps passé à l'air libre correspond exactement à la définition du terme éphémère.

    Par ailleurs, il est bon de savoir que les émergences* d'éphémères sont déclenchées par la température de l'eau. Comme le subimago a besoin de la chaleur du soleil pour sécher ses ailes, l'émergence se produit souvent au cours de la période la plus chaude de la journée au printemps. En été, par contre, s'il fait trop chaud, l'insecte risque de périr de déshydratation et l'émergence n'aura lieu qu'en fin de journée.

    À la fin de l’été et au début de l’automne, des conditions climatiques comme celles qu’on trouvait au printemps conditionnent les émergences. Il faut donc estimer le moment de l’activité en fonction du contexte. Un dernier exemple : en été, si le temps se couvre et devient humide en plein après-midi ou qu’il se rafraîchit, les émergences auront lieu plus tôt.

Calendrier des émergences

     Si vous êtes sur un lac en début de saison, disons deux semaines après la fonte des glaces, et que vous observez tout à coup des marsouinages à la surface, vous vous demanderez probablement de quels insectes la truite peut bien se nourrir. Il y a peu de possibilités, et la plus probable est qu'elle gobe les nymphes d'une espèce précoce qui quitte les profondeurs en groupe pour se rapprocher des berges où elles vont émerger. Contrairement aux autres insectes de son ordre, cette mystérieuse espèce d'éphémère du début de saison sort de l'eau en montant sur des roches ou de la végétation, et c'est hors de l'eau qu'elle va muer, à l'abri des poissons.

    Vous pouvez alors vous servir d'une imitation de nymphe de teinte et de grosseur correspondant à celles de notre «modèles. Son vrai nom, Siphloplecton basale, est inconnu d'à peu près tout le monde, et évidemment vous n'avez guère de chances de trouver des patrons de nymphes commerciales la reproduisant exactement. Ainsi, optez pour une nymphe de grosseur #6 dont le corps est fait d'un ensemble de fourrure brune comportant une touche d'olive. À défaut de cette artificielle, une Casual Dress #6 ferait l'affaire.

    Si vous avez manqué l'émergence, vous pouvez toujours vous reprendre en après-midi et en début de soirée lors du vol nuptial. Vous les reconnaîtrez facilement, car à cette période ce sont à peu près les seules éphémères à se promener autour de l'embarcation près des berges, un peu comme si elles vous suivaient. Elles sont brun grisâtre et leurs ailes claires portent de petites taches sur le devant. La Great Speckled Lac Olive est une imitation qu'un ami monteur pourra facilement vous confectionner (voir photo au bas de la page).

    À partir de la fin de mai et surtout tout au long du mois de juin, vous pouvez facilement repérer, aux mêmes endroits près des berges, de plus petites éphémères dans les mêmes teintes que celle du tout début de saison. Il s’agit en fait de Baetisca laurentina qui, à la différence de l'éphémère précédente, émerge en après-midi près du bord, mais sur l'eau. Employez le même de type de mouche sèche, mais en format #10.

    À la mi-juin, alors que dans les rivières apparaissent les spectaculaires Stenonema dont la plus connue est la vicarium (la fameuse March Brown), en lac le même phénomène se produit mais surtout autour d'une moins célèbre femoratum que vous pourrez concurrencer avec des Gray Fox pâles. Portez vraiment attention à ces émergences en juin, car la truite est alors complètement sortie de sa léthargie et se nourrit abondamment de cette éphémère. C'est la grande émergence du début de saison en lac, et elle nous reviendra en fin août et début de septembre (un coup double à ne pas manquer). Il est toujours impressionnant d’être témoin de ces émergences en fin de saison. Vous les verrez principalement aux endroits où se regroupent les gros géniteurs en route vers les frayères. Pêchez-les avec une sèche standard comme la Gray Fox, en vous assurant qu'elle n'est pas de teinte foncée, ou une Pale Gray Fox de grosseur #8-10.

    De l’ouverture de la saison à la fin du mois d'août vous rencontrerez sûrement notre prochaine élue, laquelle ressemble aux trois autres mais dont la couleur se situe entre les teintes de brun olive et les tons pâles. Pour être certain de l'identifier, observez les ailes marbrées de taches brunes et le corps dont les segments bruns ressortent fortement sur un fond beige. On la nomme parfois la March Brown de lac et son nom est Heptagenia pulla.

    Vous la retrouverez également en rivière où elle se confond avec les éclosions de Stenonema vicarium et prolonge la présence de cette belle éphémère si réputée.

    La March Brown représente au moins deux éphémères importantes, de la même couleur et de la même grosseur, et il n'est donc pas étonnant de la retrouver dans toutes les boîtes des pêcheurs à la mouche du Québec. N'oubliez pas que cet insecte immature émerge en eau peu profonde près des rives à toute heure de la journée. Ce n'est cependant qu'en fin de soirée que les femelles reviennent pondre et déclenchent une frénésie alimentaire souvent observée dans les lacs la nuit venue. Heureusement, vous pouvez utiliser le même patron.

    En juillet, les grosses nymphes qui s'enfouissaient dans le fond du lac en attendant des conditions favorables deviennent fébriles. Contrairement aux éphémères précédentes, celles-ci émergent sans migrer vers les bords. Durant les trois premières semaines de juillet, si vous voyez des émergences qui s'étalent loin des rives et sont le fait de grosses éphémères brunes, à coup sûr vous venez de rencontrer Ephemera simulans, mieux connue sous le nom de Brown Drake. Ces insectes sont très gros et émergent lentement, si bien qu'il est assez difficile de les manquer. D'ailleurs les oiseaux (même les goélands) se précipitent sur ce festin, et la truite en profite également. Comme il n'existe pas de modèle commercial acceptable sur le marché, je vous présente au bas de la page l'une de mes créations qui m'a procuré de grands moments.

    Si vous trouvez que cette mouche brune est grosse, préparez-vous à la sortie d'Hexagenia Iimbata qui débute à la mi-juillet et se poursuit jusqu'à la fin août. En effet, c'est la plus grosse de nos éphémères. Cette espèce prolifique émerge entre le coucher du soleil et 23 h. Les truites ont suivi la montée des nymphes qui vivaient en eau profonde enfouies dans la vase. Les gourmandes n'hésitent pas à s'attaquer aux gros subimagos en surface pour faire ripaille dans l'obscurité ... Il n'en tient qu'à vous d'en profiter.

    Une grosse Grizzly Wulff au corps pâle convient très bien à ces moments. Cependant nous connaissons un modèle ressemblant davantage à l'éphémère locale. Nous vous conseillons donc de monter de monter ou de vous faire monter une imitation de Limbata créée par notre ami Claude Matte et dont la parure apparaît sur la photo au bas de la page.

Regard sur quelques émergences de rivière

     Voici brièvement quelques-unes de mes éphémères préférées pour pêcher la mouchetée en rivière.

    En juin, nous retrouvons la célèbre March Brown dont nous avons déjà parlé, suivie immédiatement de sa cousine la modestum ou Gray Fox vêtue d'une robe plus claire. C'est en eau rapide qu'apparaissent ces de x importantes éphémères du début de saison. On utilise les modèles classiques dans la grosseur d'hameçon #10.

    Au début e juillet on retrouve la grosse Ephemera guttulata ou Green Drake et la délicate Stenacron interpunctatum canadense, communément appelée Light Cahill. Elles vivent dans les mêmes fosses d'eau tranquille. Les Green Drake émergent au centre de la fosse tandis que les Light Cahill apparaissent plus en bordure. Vous obtiendrez facilement des artificielles de grosseur #6 pour la Green Drake et de grosseur #10 pour la Light Cahill dans les boutiques de pêche à la mouche.

    Au mois d'août, lorsque l'action se fait plus rare dans les lacs, on observe en rivière une importante émergence, celle d'Ephemera varia. La White Wulff de grosseur n° 10 la représente très bien. Elle occupe les fosses d'eau lente comme les deux précédentes, car la nymphe vi enfouie dans la vase, d'où le nom d'enfouisseuse communément attribué à ce type de nymphe.

    A la fin de la saison, presque à la fermeture, un dernier rendez-vous nous est proposé avec une éphémère rougeâtre qui porte le nom de Isonychia bicolor. Adepte des eaux rapides, cette nageuse incomparable à l'état de nymphe migre pour sortir de l'eau où se fera la mue en subimago. On pêche donc en sèche le retour de l'adulte qui vient pondre ses œufs à la surface de l'eau rapide. Quelle béatitude lorsque les gros géniteurs de truite mouchetée qui ont quitté le lac pour aller frayer en rivière s'attablent à une émergence de bicolor!

    Vous ne trouverez probablement pas d'imitation de cette éphémère sur le marché. J'ai ainsi dû créer ma propre version dont je vous livre la parure. Vous y trouverez une touche bien québécoise puisqu'on emploie des poils de dos d'orignal pour former la queue de l'artificielle.

Approche de la mouchetée en lac

     Lorsque la truite mouchetée se nourrit de nymphes se préparant à émerger, de subimagos en surface ou lors de la ponte des femelles, ne croyez pas qu'elle abandonne sa méfiance naturelle. Bien au contraire, se sachant plus vulnérable elle accroît sa vigilance. Approchez vraiment en douceur des lieux où la truite se manifeste. Déposez l'artificielle délicatement. Celle-ci doit bien flotter à la surface, car plus la truite se nourrit d'un type d'insecte particulier, plus elle devient sélective et rejette tout ce qui n'est pas identique à son menu du moment.

    Vous serez récompensé de vos efforts, votre émotion sera à son comble et vous éprouverez une grande fierté d'avoir réussi à déjouer un adversaire aussi sélectif lorsque l'artificielle disparaîtra dans la bouche de ce superbe poisson. Ce sont là les meilleurs incitatifs pour inclure dans votre boîte à mouches la sélection d'artificielles mentionnées ici. Elles seront productives tout au long de votre saison de recherche de la truite mouchetée.

Note

     Une fois que l'éphémère a réussi à percer le film de l’eau après des efforts considérables, elle doit prendre le temps de déployer ses ailes (elle est très vulnérable durant cette période et les truites profitent amplement) avant de se diriger vers la protection des arbres.

     Toutefois, cet insecte n'est encore qu'un adolescent (subimago, photo A), et c’est justement ce stade que la mouche sèche artificielle imite le plus. Par la suite ce subimago abandonne son enveloppe et se transforme en imago (photo B), soit un adulte mature dont le seul but est de se reproduire.
 
    * Le mot émergence convient beaucoup mieux pour décrire le moment où des éphémères passent du stade nymphal au stade adulte et apparaissent en masse à la surface. L'expression commune «éclosion» est une traduction libre du mot anglais « hatch », mais la vraie éclosion est plutôt le passage de l'œuf au stade de nymphe.

Quelques modèles recommendés

Great Speckled Lake Olive

Great Speckled Lake Olive
Hameçon : à sèche #6.
Fil: Gris.
Queue: Fibres de plume de flanc de malard.
Corps: Mélange de fourrure brun grisâtre avec une touche olive.
Ailes: Fibres de plume de flanc de malard.
Collerette: Hackle blue dun, si possible tirant sur le brun.
Tête: Fil de montage enroulé et verni.

Pale Gray Fox

Pale Gray Fox
Hameçon: à sèche, #8 à 10.
Fil: Jaune pâle.
Queue: Fibres mélangées de hackle gingembre et de hackle grizzly pâle.
Côtes: Fibre de plume de queue de paon nettoyée de son duvet.
Corps: Fourrure de ventre de renard de couleur crème avec une touche de jaune pâle.
Ailes: Fibres de plume de flanc de canard branchu.
Collerette: Un hackle gingembre et un hackle grizzly.
Tête: Fil de montage enroulé et verni.

March Brown

March Brown
Hameçon : à sèche #8 à 10.
Fil: Brun.
Queue: Fibres mélangées de hackle brun et de hackle grizzly.
Côtes: Fibre de plume de queue de paon nettoyée de son duvet.
Corps: Fourrure de renard beige.
Ailes: Fibres de plume de canard branchu.
Collerette: Un hackle brun et un hackle grizzly.
Tête: Fil de montage enroulé et verni.

Juneau Brown Drake

Juneau Brown Drake
Hameçon : à sèche #6.
Fil: Jaune.
Queue: Fibres de hackle brun sous fibres de plume de flanc de canard branchu.
Côtes: Tige de plume de paon nettoyée de ses fibres.
Dessus du corps: Fibres de plume de queue de paon recouvrant le dessus du corps et retenues par les côtes.
Corps: Fourrure de renard foncée avec une touche de jaune.
Ailes: Fibres de plume de flanc de canard branchu.
Collerette: Hackle brun Variant ou un brun et un grizzly.
Tête: Fil de montage enroulé et verni.

Matte Limbata

Matte Limbata
Hameçon : à sèche #4.
Fil: Noir.
Queue: Pincée de poils de corps de chevreuil.
Côtes: Fil de couleur perle (« pearlescent »).
Corps: Fourrure beige avec marques de crayon brun sur le dessus.
Ailes: Poils bruns de queue de chevreuil.
Hackle: Un hackle brun et un grizzly.
Tête: Avec la fourrure du corps.

Juneau Bicolor

Juneau Bicolor
Hameçon: à sèche #10.
Fil: Noir.
Queue: 2 poils noirs pris dans la bosse d'un orignal.
Corps: Mélange de fourrure brun rougeâtre avec une touche de noir (deux parties de brun moyen, une partie de rouge et une partie de noir).
Ailes: Inexistantes puisqu'elles sont totalement transparentes sur la Bicolor.
Hackle : Un gingembre (en arrière) suivi d'un brun plus près de la tête.
Tête: Fil de montage enroulé et verni.

Référence

» Texte & Photos: Jacques Juneau (2004).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

Page 8 sur 36